Quand on embrasse une longue carrière en musique, comment durer, garder l’inspiration et l’envie de créer ? Enslaved se pose-t-il seulement ces questions ? Après un quart de siècle d’existence, de multiples changements de direction musicale, une constance sans faille et ce quatorzième album, on peut parfois douter. On avait laissé les vikings sur un
In Times tout juste convaincant et le départ de Herbrand Larsen, claviériste et chanteur emblématique depuis la forte alchimie trouvée par le groupe depuis le début des années 2000. A l’annonce de la sortie de ce très sobrement intitulé
E, le doute est certain cette fois.
Et soyons honnêtes, ce nouvel album balaye les inquiétudes. Rien que par la prestation du petit nouveau Håkon Vinje (vingt-cinq ans seulement), qui remplace brillamment son aîné. Les similitudes sont bluffantes, à peine son chant peut paraître plus froid et moins charmeur. Mais en tous cas il maintient sans effort la musicalité du groupe, l’alternance des voix chère aux Norvégiens n’étant aucunement bouleversée. Une alternance que l’on retrouve dès le premier couplet de l’ambitieux « Storm Son » qui ouvre la voie tout en douceur et plénitude. Les chœurs relaxants dans la première partie répondent à ceux, quasiment incantatoires, de la seconde, qui accélère le rythme et introduit un black metal aux accents épiques. Malgré la volonté d’Ivar Bjørnson de prendre un nouveau départ avec ce disque et l’aboutissement d’une formule avec son prédécesseur selon lui, aucune vraie surprise ici, encore que l’on déceler une certaine fraicheur retrouvée. Les nombreux chœurs qui parsèment l’album y sont pour beaucoup, donnant enfin la dimension ancestrale et profondément humaine, voire tribale, recherchée par le groupe, délaissant l’individualisme pur pour la coopération. « The River’s Mouth » contraste fortement avec ce premier morceau étiré : ici on trouve clairement la chanson la plus typiquement metal du lot, la seule misant sur un format ramassé de cinq minutes. Les riffs martiaux et un refrain assez accrocheur suffisent pour un résultat simple pour du Enslaved, mais plutôt efficace.
Mais évidemment la constante est toujours de mêler black metal et musique progressive. Evidemment l’ombre des seventies planent sur
E, à en écouter les savoureux lead de guitare du très mélodique « Axis of the Worlds ». Et on constate une fois de plus qu’Enslaved brille toujours plus quand il s’agit d’être audacieux et de surprendre. La preuve ? « Sacred Horse » est assurément le moment le plus progressif de l’album, et aussi le plus mémorable. La courte ouverture paisible est vite soufflée par le bouillonnement des riffs agressifs assez reconnaissable des Norvégiens. Le calme reviendra le temps d’une deuxième partie à l’atmosphère mystique prenante. Si cet ensemble de six pistes, franchement homogène en qualité, parait manquer de moments forts comme celui-ci, ce n’est que là-dessus que l’on peut aller chercher le défaut. Pour le reste, la production soignée au possible et l’interprétation sans faille ne surprend pas de la part d’un groupe qui nous a dernièrement habitué à des standards de qualité inatteignable pour l’immense majorité de la scène black metal. Le jeu de Cato Bekkevold parait toujours aussi transparent, dans le sens positif où il parait toujours s’effacer derrière la musique pour ne jamais s’emballer, être toujours parfaitement à propos. Si bien sûr on attendait d’entendre comment allait sonner le successeur d’Herbrand Larsen au poste clé du chant clair et des claviers, définitivement Håkon Vinje s’en sort rudement bien. Il suffit de poser une oreille sur « Feathers of Eolh », qu’il porte à lui seul entre envolée tragique et retombée intimiste. Quant à son travail sur les ambiances, il est plus détaillé et discret, là où son prédécesseur comptait souvent sur quelques nappes imposantes et emphatiques. Tout cela contribue encore au climat assez brumeux de l’album. De climat il sera question une dernière fois avec la conclusion très réussie « Hiindsiight », mêlant saxophone, passages nostalgiques très riches et riff flirtant avec le doom (style que les groupes extrêmes et progressifs d’expérience abordent rarement, mais souvent avec brio quand c’est le cas). Le final planant très « floydien » clôture l’album sur une touche très agréable.
Enslaved prouve une nouvelle fois que sa faim de création ne le quitte pas, même s’il manque probablement un ou deux sommets à ce
E pour en faire l’album qui aurait convaincu tout le monde. Le changement de personnel est des plus concluant, et le groupe continue à réussir là où un certain Opeth a échoué, à savoir faire de la musique progressive pour faire une musique différente, et non pas un exercice de style. Du très solide de la part d’un groupe qui dure, et qui décidemment arrive toujours à faire rimer régularité et qualité.
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