Réglé comme du papier à musique avec la sortie d’un album tous les deux ans (plus/moins quelques mois) depuis
Isa, les Norvégiens d’Enslaved reviennent aujourd’hui aux affaires avec un le bien nommé
In Times. De prime abord, pas de grands bouleversements, l’artwork ayant été une fois de plus confié à Truls Espedal dont le travail d’illustration accompagne Enslaved depuis 2001 et la sortie de
Monumension. Si elle ne figure pas parmi mes préférées, cette pochette colle néanmoins parfaitement avec cette idée d’espace et de transcendance du corps et de l’esprit qui caractérise la musique des Norvégiens.
Alors que
Riitiir s’étirait sur plus de soixante-sept minutes, Enslaved semble vouloir revenir à un format moins effrayant en redescendant cette fois-ci sous la barre des cinquante-cinq minutes. Pour ce faire, le groupe n’a pas choisi de raccourcir ses compositions mais plutôt d’alléger le nombre de titres sur l’album.
In Times offre donc six nouveaux morceaux contre huit pour
Riitiir. Soit, en considérant la longueur moyenne d’un titre d’Enslaved, un bon quart d’heure en moins.
Doit-on y voir en parallèle le signe d’un quelconque retour en arrière? Et bien oui, presque... Car loin de marcher dans les pas de son prédécesseur, Enslaved a choisi avec
In Times de prendre à contre-pieds tous ces auditeurs bourrés de certitudes. Le groupe semble ainsi vouloir rebrousser chemin pour revenir quelques années en arrière vers des titres plus directs et agressifs mais aussi paradoxalement plus accrocheurs. Des titres rappelant ainsi ceux des excellents
Isa et
Ruun. L’aspect plus progressif et alambiqué de son prédécesseur laisse ainsi place à des morceaux bien plus catchy où l’équilibre entre les séquences Black Metal et les passages plus mélodiques et progressifs se fait dorénavant dans des proportions bien plus équitables. En cela "Thurisaz Dreaming", titre d’ouverture, est assez éloquent, renouant ainsi avec un visage d’Enslaved qui depuis la sortie de
Ruun en 2006 avait plutôt tendance à passer au second plan. Loin d’être un cas isolé, on retrouve ainsi tout au long de ce treizième album plusieurs passages où le growl arraché de Grutle se fait beaucoup plus présent que par le passé et où le reste d’Enslaved semble suivre ses pas à coup de séquences beaucoup plus soutenues. Un équilibre retrouvé qui fait ainsi d’
In Times un album particulièrement dynamique que l’on ne voit pas passer malgré des titres dont la durée dépasse systématiquement les huit minutes. Ainsi, ceux qui ont éprouvé à l’égard d’
Axioma Ethica Odini et
Riitiir un certain ennui ou bien quelques pertes de l’attention devraient a priori adhérer beaucoup plus facilement au nouvel album des Norvégiens. Certains lui reprocheront probablement encore quelques longueurs ("Building With Fire", "In Times") mais c’est vraiment histoire de chipoter car
In Times est un album bien plus direct que ses deux prédécesseurs.
Mais si la musique d’Enslaved a retrouvé une certaine immédiateté, le groupe n’en oublie pas pour autant son amour pour la musique progressive et mélodique. En la matière, l’un des plus gros atouts des Norvégiens est assurément Herbrand Larsen dont la voix est devenue au fil des années l’une des principales richesses d’Enslaved. Ainsi cohabitent la force et la pureté d’un chant parfaitement posé, capable de transporter l’auditeur dans ces sphères lointaines et vaporeuses évoquées ici à travers les mots et la musique. Herbrand Larsen vient alors compléter la voix de Grutle Kjellson en y apportant finesse, subtilité, douceur ainsi que ce petit côté accrocheur qui fait bien souvent toute la différence. On ne parlera pas de tubes pour évoquer les morceaux d’
In Times mais il faut néanmoins leur reconnaitre cette capacité à accrocher l’oreille et à s’insinuer au plus profond de notre cortex (notamment sur "Building With Fire", titre le plus mélodique de l’album). Et même lorsqu’il s’agit simplement d’épauler Grutle, restant alors en arrière-plan, il est facile de mesurer l’impact d’une telle voix (en atteste les excellents "One Thousand Years Of Rain" ou"Nauthir Bleeding" (ce superbe pont à partir de 3:44)). Mais Herbrand Larsen a plus d’une corde à son arc et se montre tout aussi capable d’accompagner de son chant mélodieux des passages beaucoup plus sombres comme par exemple sur "One Thousand Years Of Rain" à 4:34. Bref, une belle diversité dans la voix qui apporte ainsi énormément à la musique d’Enslaved.
En dehors du chant d’Herbrand Larsen, et malgré l’immédiateté retrouvée d’
In Times, les séquences progressives/mélodiques continuent toujours de trouver grâce aux yeux d’Enslaved. On évoque souvent les Anglais de Pink Floyd pour qualifier la musique des Norvégiens, notamment depuis la sortie d’
Isa. Pour ma part, et bien que je le comprenne, ce parallèle n’est pas aussi évident qu’il l’est pour certains (peut-être aussi parce qu’à l’exception de
Dark Side Of The Moon,
The Wall et
Meddle, je connais mal le reste de leur discographie). Malgré tout, il faut bien reconnaître à Enslaved cette même vision à la fois grandiose et lumineuse ainsi que ce profond désir d’explorer toutes les possibilités qui lui sont offertes. Perceptible dès les prémices de l’album (le pont sur "Building With Fire" avec en renfort un chouette solo), ce lien de parenté se manifeste surtout à partir de la seconde moitié (en dehors du fait qu’on retrouve l’apport du clavier/mellotron sur l’ensemble de l’album) avec les titres plus fouillés et complexes tels que "Nauthir Bleeding", "In Times
" et "Daylight". Outre une introduction aux sonorités pour le moins exotiques grâce à ce steel pan qui devrait rappeler pas mal de bons souvenirs à tous ceux qui ont usé Mario Kart et les circuits Koopa Troopa Beach, "Nauthir Bleeding" reflète très justement cette vision d’un Pagan Black Metal progressif à laquelle est attaché Enslaved. Le groupe y apporte une impression de simplicité mêlé à quelque chose d’imperceptiblement plus aérien et contemplatif. A l’inverse, le titre "In Times", en véritable composition à tiroirs, semble fourmiller d’idées en juxtaposant des séquences progressives (le point d’orgue étant ce break à 5:25 où les voix et les instruments se mêlent pour un résultat qui sent bon la fraîcheur et l’exploration musicale des années 70) et d’autres passages beaucoup plus nerveux. Quant à "Daylight", il semble vouloir faire le pont entre les deux titres précédents avec tout d’abord ce chant clair d’Herbrand Larsen en arrière-plan alors que de son côté Grutle éructe avec puissance, mais surtout lors de ce break incroyable entre 2:59 à 6:25. Si celui-ci renvoi tout d’abord au Post-Hardcore US des années 90, il prend ensuite un autre chemin avec l’arrivée de la voix aérienne et ubiquiste d’un Herbrand Larsen majestueux suivi pour conclure d’un long solo épique. Une belle conclusion à cet album qui risque donc d’en surprendre plus d’un.
Moins exigeant que
Riitiir ou
Axioma Ethica Odini,
In Times s’aborde avec davantage de facilités. Bien qu’il risque à coup sûr de décevoir (c’est d’ailleurs pour cette raison que la chronique m’a échu il y a quelques semaines), il est pour ma part un coup de cœur immédiat tant il accroche l’oreille et invite au voyage. Attention, Enslaved n’a pas pour autant cédé à la simplicité avec ce nouvel album qui montre que le groupe, malgré ses vingt-quatre ans de carrière, continue encore aujourd’hui de nous surprendre. Une belle leçon de la part de ces Norvégiens que je n’attendais pas forcément avec un album de cette trempe qui d’ailleurs se place d’ors et déjà en lice pour le bilan de fin d’année.
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