Oui, j'ai conscience de ne pas être complètement fini :
"Ruun" m'a déçu. Pas mauvais pour autant, il souffrait surtout de la comparaison avec son grand frère
"Isa", apportant finalement trop peu de choses nouvelles pour s'en détacher. Depuis des années, Enslaved cultive un style unique et l'a toujours fait évoluer progressivement depuis
"Monumension". Mais pour ce dixième album, les norvégiens ont décidé de franchir un cap qui risque de faire couler beaucoup d'encre et de dérouter une partie de leur auditoire. Et moi je dis : tant mieux.
Avant même de mettre le CD dans votre platine, vous vous arrêterez probablement quelques instants sur l'artwork de ce nouvel album qui marque déjà une évolution par rapport à leurs précédentes productions. Enslaved ne nous avait pas offert un visuel aussi léché depuis
"Monumension", à mille lieux des croûtes que proposaient
"Isa" ou
"Ruun". Leur logo a également été légèrement redessiné au passage, plus incisif et plus esthétique. De quoi régaler vos petits yeux avant vos oreilles.
Comme je vous le disais en introduction, "Vertebrae" est différent. Pas *fondamentalement* différent car le style reste immédiatement reconnaissable, mais c'est comme si le groupe avait sauté un ou deux albums d'un coup. Quoiqu'il en soit, cette nouvelle production n'attendra pas pour vous le faire savoir : le morceau d'ouverture "Clouds" illustre à merveille l'évolution de leur musique, moins violente, moins épique et surtout très très influencée par le rock progressif des années 70. Les lignes de chant clair (et leurs arrangements), les claviers et les solos (absolument magnifiques et impressionnants de feeling) nous renvoient directement à cette époque. Dans l'ensemble assez homogènes, les compositions sont longues et prennent le temps de s'installer, alternant lourdeur et passages plus atmosphériques où les deux types de chant se succèdent et se croisent. Le chant clair de Herbrand a d'ailleurs sérieusement empiété sur le territoire des hurlements de Grutle, ce dernier se retrouvant même parfois en trop. La quasi-absence de traitement sur ses relents de glaire n'arrange évidemment rien ; on se demande même s'il n'y a pas eu un problème dans le mixage tellement il contraste avec l'ensemble.
Mais si "Vertebrae" dégage une telle sensation de cassure avec leurs précédentes productions, c'est sans doute par son atmosphère pour le coup résolument... différente. Hypnotique, lumineux, voici pour moi les deux mots qui caractérisent le mieux cette évolution. Cet album vous ape dès les premières minutes pour vous plonger dans une ambiance pesante, monochrome et surréaliste, à l'image de l'artwork qui l'accompagne. Mais au cours de ces 50 minutes, Enslaved s'écarte de temps à autre de la noirceur qui le caractérise pour laisser passer la lumière, à travers certaines envolées lyriques qui percent comme un rayon de soleil à travers un ciel chaotique (le solo de "Ground", l'intro de "Reflection" et l'arrivée du chant clair, la fin de "Center"...). Certains n'apprécieront peut-être pas ce coup de frein global de leur musique mais personnellement, je trouve aujourd'hui Enslaved plus intéressant dans ses inspirations progressives que dans la culture de ses racines pagan black qui s'effacent peu à peu, de manière inexorable apparemment.
Contrairement aux apparences, "Vertebrae" n'est pas un album facile d'accès et sa richesse nécessite un certain nombre d'écoutes pour en faire le tour. Enslaved a voulu jouer sur les contrastes et s'en sort admirablement bien, même si je déplore toujours quelques passages moins inspirés, comme d'habitude (ceci n'engage que moi évidemment). En tous cas, les norvégiens viennent ajouter une excellente oeuvre à une discographie déjà bien fournie, un album frais et très personnel qui témoigne de l'inspiration encore vivace de ses géniteurs.
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