Rotting Christ - Triarchy of the Lost Lovers
Chronique
Rotting Christ Triarchy of the Lost Lovers
Le troisième album d’une formation est souvent considéré depuis belle lurette comme étant l’album de la maturité ou bien celui qui confirme ce qu’un groupe ou un artiste a pu faire sur ses deux premières réalisations, voire les prémices d’une évolution. Pour les frères Tolis et Jim Mutilator, après s’être faits une renommée tant bien que mal avec leurs deux premiers albums Thy Mighty Contract et Non Serviam, l’on peut constater que leur travail a commencé à payer. Même si le groupe a perdu entre temps leur claviste Magus Wampyr Daoloth, il a surtout signé un contrat de six albums avec l’un des labels les plus imposants alors dans le metal extrême: Century Media. Qui dit Century Media, dit évidemment une meilleure exposition et une meilleure distribution de leur musique et surtout des moyens plus conséquents pour enregistrer, plus que les Grecs ont eu jusqu’alors sous la main et qui ont du quitter leur home studio, avec cette fameuse batterie électronique, pour aller enregistrer ce troisième album aux fameux Stage One Studio, sous la houlette d’un certain Andy Classen qui commençait à étoffer son curriculum vitae. Avec cependant une nouveauté pour les musiciens, c’est d’avoir un timing serré pour enregistrer, là où ils avaient plus de temps dans leur propre studio. Mais sans doute qu’avoir un peu plus de pression et, surtout, plus de moyens ont fait que Rotting Christ a accompli ici une très belle œuvre avec ce fameux Triarchy of the Lost Lovers.
Si Thy Mighty Contract et Non Serviam constituent deux pierres angulaires du black metal grec et demeurent parmi les albums fondateurs, entre autres, du genre, Sakis Tolis et ses compères nous surprennent quelque peu avec cette livraison dans des sentiers dans lesquels l’on ne les attendait pas forcément. C’est à partir de cet album que le trio se détache de ses sonorités purement black metal pour nous proposer quelque chose de plus mélodique et qui annonce bien la couleur des deux albums suivants A Dead Poem et Sleep of the Angels. Si les influences et la coloration black metal demeurent dans une manière de faire, dans cette façon de procéder pour ce qui est du jeu de guitares et dans le chant de Sakis Tolis, l’on a surtout ici à faire avec une musique dont le tempo a bien ralenti par rapport aux précédents efforts, même si l’on n’est pas dans les territoires du doom metal. Toutefois je ne peux m’empêcher de faire un certain rapprochement avec le Paradise Lost d’Icon et de Draconian Times, dans cette manière d’allier puissance et mélodies, deux données qui sont bien mise en avant sur ces neuf titres. Si le tempo est foncièrement moyen, il y a tout de même des accélérations, je pense notamment aux titres Archon, le plus rapide de cet album, et à cette partie centrale du titre Snowing Still ou bien encore celle de One With the Forest, où l’on retrouve des blasts de la part de Themis Tolis. Pour autant, l’on n’est pas dans un reniement des fondamentaux de la musique de Rotting Christ, juste dans une évolution assez constante et où les aspérités mélodiques ont pris le dessus, avec des compositions qui restent assez directes sans pour autant être simplistes.
Bien évidemment, il ne faudra pas chercher la sauvagerie ni même l’occultisme des débuts dans ce Triarchy of the Lost Lovers, les Hellènes étant passés à autre chose, et c’est sans doute ce qui a déçu à l’époque chez de nombreux fans du groupe, nombreux furent d’ailleurs à les considérer comme des vendus. Mais à bien y regarder, ils ont un peu suivi une évolution qui était comparable à celle qu’ont connu leurs compatriotes de Septic Flesh ou Nightfall, ou bien d’autres formations comme leurs collègues de label Sentenced ou bien Amorphis. Cet autre chose c’est d’abord de laisser une place encore plus grande aux guitares qui nous éblouissent du début jusqu’à la fin par leurs riffs assez simples et souvent pesants - et c’est pour cet aspect que cela me fait penser à Paradise Lost - avec une grande assise mélodique. Et là, pour le coup, Sakis Tolis s’en donne à cœur joie au niveau des leads, des soli et des harmonisations, pour notre plus grand bonheur, car c'est un vrai régal dans ce registre. L’on retrouve tout de même cette patte unique inhérente au groupe, avec évidemment ces passages plus soutenus où reviennent ces fameux riffs en palm-mute, comme sur Diastric Alchemy. Et il faut avouer que c’est hyper bien fait, pas avec de grandes démonstrations, mais avec une certaine classe et beaucoup d’inspiration, à tel point que ces mélodies imparables vous laissent des traces dans votre cortex cérébral pour de longues années. Oui, c’est très beau et c’est même assez touchant. Et en cela, la production assez propre et claire laisse bien respirer tout l’ensemble, même si ça sent bon les productions de la seconde moitié des années quatre vingt dix de chez Century Media, mais ça a aussi ses charmes.
Surtout, ce que l’on va retenir de cet album, c’est qu’il a une coloration tantôt nostalgique, tantôt tragique, voire un peu plus mélancolique, et c’est sans doute en cela que cet album peut être déroutant après ses deux prédécesseurs. Et pourtant, il a tout de même cette marque de fabrique du groupe, que l’on reconnait d’entrée de jeu. Évidemment que le titre même de l’album donne un indice sur son contenant, mais l’on n’est plus dans l’adoration des divinités souterraines, mais dans quelque chose de plus contemplatif. Si l’on a un peu perdu le côté méditerranéen des premiers albums, l’on a toutefois quelque chose de plus onirique et de parfois épique, comme sur The Opposite Blank et Archon, mais c’est contrebalancé par cette forme de poésie que l’on retrouve sur The First Field of the Battle ou l’excellent King of a Stellar War. C’est vraiment là que toutes les aspérités mélodiques mises en avant par le groupe prennent véritablement sens et leur ampleur même, avec une forme de magie qui opère dès les premières secondes pour ne pas vous lâcher jusqu’à la fin de ces trois quart d’heure de musique. N’allez toutefois pas penser qu’il s’agit d’un album d’une certaine douceur, car chaque titre regorge de ces moments plus intenses, notamment sur des passages instrumentaux où l’on est plus dans la cavalcade héroïque que dans l’apitoiement. Il y a surtout un côté passéiste dans l’atmosphère générale de cet album, comme si l’on prenait le temps d’observer les choses et de prendre conscience de ce que l’on avait perdu.
Aussi, si Triarchy of the Lost Lovers n’est pas aussi éclatant et maléfique que ses deux illustres prédécesseurs, il n’en demeure pas moins une excellente réalisation, faisant le pont entre la première période du groupe et celle qui allait se poursuivre sur la fin du précédent millénaire. Rotting Christ se veut ici moins hirsute que précédemment, plus policé si je puis dire, mais infiniment plus mélodique et magnifique. Si les ingrédients et la manière de faire demeurent simples et sans exagérations, il y a toutefois un réel talent d’écriture et une justesse qui se déclinent tout le long de ces neuf compositions qui n’ont pas leur pareil pour faire voyager. S’il y a une avancée d’un point de vue stylistique, elle se fait tout de même de manière assez sereine, point trop abrupte, pour ne point trop décontenancer l’auditeur habitué à la face plus ombrageuse des Grecs, car l'ensemble reste ici toutefois assez sombre. Au final, ce troisième album de Rotting Christ demeure un très bel opus, un excellent exercice de style, dans cette faculté à allier puissance et mélodies, et une formidable démonstration de metal extrême mélodique. Et cela reste toujours aussi agréable de se perdre dans ses mélopées enivrantes encore maintenant et de rester subjuguer par un tel travail.
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