Un morceau, ça peut vous faire changer d’avis sur un disque qui, sans lui, finirait rapidement aux oubliettes. Et si cela serait sans doute un peu fort de parler ici de « mauvais album devenu géant grâce à un titre », c’est un peu ce qui m’est arrivé avec
Meanderthal de Torche.
Ceux qui connaissent l’œuvre reconnaîtront certainement de quel monument je parle, aussi court que phénoménal, deux grosses minutes où les niveaux de plaisir et d’adrénaline ne trouvent d’équivalent que quand on se souvient de nos parties les plus acharnées, dans un état obsessionnel comme on peut l’être à l’adolescence, sur
Tony Hawk Pro Skater et
Crazy Taxi ou encore quelques battements de cœur générationnels et intenses vécus à cette période de sa vie, que certains auront peut-être en mémoire : Nick et son ring de boxe dans
Hartley, Cœurs à vif,
Parker Lewis, les rotations lourdes de
Smash… Il y a tout ça dans « Healer », cette bande-son oubliée de la fin des années 90 où la nostalgie ne prend pas la forme d’une tendre distance mais d’un revécu – merci à ce son maousse, aussi moelleux que vigoureux. Un titre où Torche mérite son nom et se transforme en porteur d’une flamme qui a marqué au fer mes années maladroites, maussades, mais avec quelques fulgurances dont les Ricains font ici leur pain.
Et ça suffit. Ça suffit à rendre les morceaux qui l’entourent – on accordera tout de même un traitement spécial à « Across the Shields » et « Fat Waves », préparant les beautés juvéniles de
Harmonicraft et
Restarter – plus ébouriffants qu’ils ne le sont en eux-mêmes, sans ce coup d’éclat assimilables à des fléchettes visant juste sur la cible sans atteindre son centre (comme les trop sages « Sandstorm » et « Without a Sound », aux décollages à chercher ailleurs). Ça suffit à faire voir ce qui le précède comme une belle entrée en matière contenant déjà ses instants forts – tel que le feux d’artifice « Triumph of Venus » ; la lead galvanisante de « Grenades » ou les slaloms de « Speed of the Nail ». À faire de « Across the Shields » une merveille d’émo-tion, révélant ce qu’a toujours été Torche, à savoir non pas « un groupe de sludge devenu pop », mais un frère de
Big Business et ses hymnes d’un monde où les amplis se mettent à la hauteur des sentiments, et les hurlent. Ça suffit, enfin, à laisser tranquillement le disque descendre vers les rêves, s’alourdir comme nos paupières et le soleil à partir de « Sundown », la fatigue bienheureuse après l’explosion d’énergie (on regretterait presque que « Little Champion » vienne temporairement secouer les draps).
Pour autant,
Meanderthal tient sur un pilier certes mastoc mais se fortifiant d’éléments qu’on ne peut enlever à Torche le long de ces trente-six minutes. Ainsi, la voix de Steve Brooks se déploie et s’envole après les débuts engourdis du premier album des Ricains. La grosse demi-heure durant laquelle tout cela se déroule rend également l’écoute peu frustrante, une modestie de surface qui donne surtout la sensation de ne pas perdre son temps, filant à toute vitesse à défaut de ne pas toujours atteindre son but. Certes, on pourra noter un final bien trop long (le morceau-titre concluant avec peine, à force de répétitions, l’ensemble), appuyer que, un peu à l’image de l’artwork de Aaron Turner, ce deuxième longue-durée est une esquisse de ce qui deviendra sur
Harmonicraft et
Restarter un bonheur coloré et foisonnant pour les yeux,
Meanderthal se présente chez moi comme un disque plein d’un charme encore un peu gauche mais ô combien attachant. Soit le début d’un pic pour Torche, formation inconstante mais si belle quand elle atteint les cimes.
Et puis merde, « Healer » quoi.
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