Ainsi débute la discographie majeure de ce groupe majeur du funeral doom qu’est Evoken – peut-être bien celui qui, en terme de constance et de longévité, mérite le trône de ce genre si particulier. Une formation qui aura mis du temps à se construire, dont l’histoire emprunte des chemins lents et tortueux comme la bande finira par en composer, trouvant ses racines en 1992 quand le guitariste Nick Orlando et le bassiste Rob Robichaud fondèrent Funereus. Par la suite rejoint par le batteur Vince Verkay et le chanteur John Paradiso puis le bassiste Bill Manley suite au départ de Rob Robichaud (Bill Manley finira également par quitter le projet, Steve Moran le remplaçant en 1996), Nick Orlando et ce line-up stabilisé décide de changer de nom après un court instant sous le patronyme de Asmodeus pour finalement faire honneur à Thergothon en reprenant un titre de sa première démo (
Fhtagn-nagh Yog-Sothoth). Evoken est alors né, solidifiant ses fondations après la démo culte
Shades of Night Descending avec l’arrivée d’un certain Dario Derna au poste de claviériste (Infester, Drawn and Quartered, Funebrarum ou encore Ritual Chamber).
Ce jeu de chaises musicales qui précède l’arrivée de ce premier longue-durée n’est pas là que pour rendre compte d’une petite heure de mise en forme de recherches sur metal archives : il marque aussi une passion indéniable à concrétiser ce projet, malgré une naissance qui – on l’imagine – a dû décourager plus d’une fois. Pourtant, c’est bien cette adulation d’un funeral doom qui transpire sur
Embrace the Emptiness. Un funeral doom qui avait alors à trouver ses repères, son territoire déjà défriché par Thergothon, Funeral, Esoteric, Skepticism ou les débuts de Mournful Congregation n’ayant encore pas de limites claires. Une exploration que Evoken va poursuivre.
En effet, ce qui marque durant ce retour aux origines après des écoutes nombreuses des œuvres ultérieures des Ricains est à quel point
Embrace the Emptiness contient, en gestation, l’ensemble d’une discographie extrêmement nuancée malgré un style reconnaissable entre mille. Entre l’allure glaciale et sombre du funeral doom et la malveillance du death / doom, une variété d’ambiances se dessine, sans chercher l’extrémisme à tout prix comme cela sera – malheureusement – trop perçu comme essentiel dans le style par la suite. Non, ici ne se trouve pas un amour irraisonné pour la lenteur, des accélérations pouvant même se remarquer sur « Ascend into the Maelstrom » et « Curse the Sunrise » par exemple (brèves, mais prenantes) ainsi qu’une sophistication dans les mélodies apportées par certaines leads et le travail de Dario Derna renvoyant à un romantisme presque anglais (on pourra penser au My Dying Bride des débuts sur « Tragedy Eternal » ou « Lost Kingdom of Darkness »). Une musique qui ne cherche pas le tempo négatif donc, tout en prenant solidement au col par une sensation de radicalité que le temps n’a pas entamée.
Car au-delà des questions de lenteur, lourdeur, noirceur,
Embrace the Emptiness montre, comme d’autres œuvres de cette époque toujours pertinentes malgré les perfectionnements futurs, que l’important n’est pas dans un « toujours plus » mais une certaine magie transmettant sur l’ensemble une aura propre. Une aura que possède indéniablement Evoken ici, faisant sienne une mélancolie parfois douce (« To Sleep Eternally », où John Paradiso s’essaye à un chant éploré), souvent âpre (tel que le début de « Lost Kingdom of Darkness »), séduisante dans sa beauté morbide (une chose que le successeur
Quietus développera davantage, mais déjà abordée sur, entre autres, « Chime the Centuries End » ou « Curse the Sunrise »). Tout ce qui fait l’étrangeté du groupe est donc présent, à commencer par ce contraste entre des guitares au son cru et des arrangements cristallins, ces sensations à la fois féroces et apaisantes ainsi que la voix de John Paradiso qui, pourtant, se montre plus versatile que par la suite, moins monocorde et plus humaine.
Là réside la particularité de
Embrace the Emptiness sur ce qui lui succédera, au-delà de son caractère fondateur d’une discographie sans pareille. Déjà solennel, Evoken montre une facette plus variée que ce qu’il créera par la suite, une facette attristée, dédiée à la mort mais aussi prise dans les tourments qui la précède (il est d’ailleurs intéressant de constater que les Ricains reviendront à ce type d’ambiances bien des années plus tard, avec
Atra Mors). Cela fait de cet album une œuvre moins marquante que
Quietus et
Antithesis of Light – où Evoken personnifiera alors la Faucheuse, son temple et ses labyrinthes – mais lui donne une place à part, daté qu'il est dans sa manière de figurer les affres avant le trépas (ces claviers délicieusement surannés) et cependant intemporel. Quoiqu’il en soit,
Embrace the Emptiness est un album indispensable, comme toute les réalisations du groupe dans sa période où Nick Orlando officiait en son sein, et une belle porte d’entrée vers cette île des morts que je ne me lasserai jamais d’explorer.
Artwork de la réédition par Solitude Productions
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