Étant donné qu’approche l’heure où la discographie d’Evoken sera pleinement chroniquée en ces pages – il serait temps –, autant profiter de celle-ci pour faire un mea culpa : je n’aurai décidément pas parlé des créations de la formation comme il se doit. En effet, un rapide retour sur mes dires au sujet des Ricains m’a fait me rendre compte que je réduisais souvent leurs œuvres à des monuments dédiés à la Mort. Oh, bien sûr qu’il y a de cela – et
A Caress of the Void n’échappe pas à cette sensation de voir la Faucheuse s’inviter dans notre esprit – mais chaque album de la bande tire aussi son attrait des nuances qu’il apporte à cette impression générale. Morts nous serons et morts nous sommes déjà, les battements du cœur se ralentissant au point de poser des questions éthiques à d’hypothétiques réanimateurs. Seulement, s’arrêter à cela n’est aborder qu’une part de ce qui se trame ici, entre chaque coup vibrant dans le poitrail, leurs échos portant un monde en eux.
Des mondes qui s’entremêlent et se nourrissent les uns les autres, chaque album d’Evoken pouvant se voir comme une avancée vers plus d’humanité, le marbre d’un blanc laiteux et létal de
Quietus précédant les méandres mentaux et lovecraftiens de
Antithesis of Light, jusqu’à la robe de bure, costume d’apôtres mortifères, de
Atra Mors (on passera sous silence ici
Hypnagogia mettant, avec le recul, malheureusement fin à l’excellence marquant la formation).
A Caress of the Void se situe donc logiquement entre le tableau d’Escher de
Antithesis of Light et la procession de
Atra Mors. Il étonne pourtant, notamment dans ce son plus massif et presque gluant, s’éloignant de l’âpreté death metal de son prédécesseur pour un rendu plus organique, tel un torrent de boue noire encerclant son funeral doom / death. Cela ne gêne en rien l’écoute, le quatuor continuant d’être un des rares groupes funéraires à conserver tout ce qui fait l’attrait d’un certain death metal, à commencer par les visions d’horreurs grimaçantes qu’il donne à voir dans ses images funèbres.
Rien d’aseptisé dans ce son si particulier, habillant parfaitement la violence dont est capable un titre comme celui donnant son nom à l’album. Pourtant, on note dans ce marasme extrêmement physique par moments – « Of Purest Absolution » par exemple – un gris qui s’invite, spiralant dans la terre liquide que deviennent nos humeurs, un gris qui hypnotise et abîme. Constat sans appel : voici le disque déprimant d’Evoken, celui où la noblesse de son funeral évoque davantage une aristocratie en déroute qu’une construction de génie fou ou quelques hagiographies de saints de l’outre-monde. Austère, il finit par assujettir sur le temps long par son parfum particulier, entre insalubre d’un son et beauté de certaines leads rappelant
The Gault, séduisantes, liquides et profondes, parfaites pour la noyade dans le Grand Rien (« Mare Erythraeum » ; « Astray in Eternal Night »).
De là à dire qu’on tient ici leur
Anhédonie, il n’y a qu’un pas !
A Caress of the Void reste un disque d’Evoken, marqué plus que jamais par la patte de Nick Orlando et ses riffs tenant d’un death metal extrêmement ralentis, laissant voir dans leurs miasmes tout leur surréalisme morbide. Cependant, ces quelques moments de lâcher-prise, de larmes coulant froidement (l’éloquent final de « Suffer a Martyr's Trial (Procession at Dusk) »), changent la vision d’un groupe où catatonie et mélancolie viennent finement se mêler à ses atmosphères antiques.
Il y a des caresses qui sont des gifles, de celles nous rappelant notre état d’être fragile. Si ma préférence reste pour
Antithesis of Light,
A Caress of the Void talonne son prédécesseur de près, accentuant la part humaine d’Evoken sans atténuer son aura monumentale. La suite, où la formation poursuivra cette démarche mais sans le génie de Nick Orlando, prouvera que l’on se situe bien ici au sommet d’une discographie décidément sans pareille.
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