« L’état hypnagogique est un état de conscience particulier intermédiaire entre celui de la veille et celui du sommeil qui a lieu durant la première phase du sommeil : l'endormissement. » Décidément, le titre de ce nouvel album d’Evoken va bien au groupe. Donnant ces dernières années l’impression de pouvoir plonger définitivement dans le coma, en raison d’actualités sporadiques et d’écarts longs entre deux nouvelles œuvres, il fait craindre à chaque fois de le voir tomber pour de bon, lui qui a personnifié à chaque rencontre le fatalisme, la mort planant au-dessus de nos esprits hypnotisés. Pourtant, six ans après un
Atra Mors convaincant sans nécessairement se démarquer de ses prédécesseurs, le revoilà à nous intriguer de nouveau avec une illustration pastorale, la campagne s’auréolant d’une lumière d’un autre monde. Un indice, sur un possible détour de la part de ces immuables ? Ou simplement un nouvel exemple de la suprématie d’une formation qui a fait sienne une certaine forme du tragique ?
Les réponses que le contenu de ce
Hypnagogia est censé apporter ne sont pas si évidentes, à son écoute. Tragique, le concept l’est, avec cette métaphore du soldat mortellement blessé de la première guerre mondiale qui, torturé par les souffrances qui l’entourent et terrorisé à l’idée de ne plus revoir les êtres qui lui sont chers, va passer un pacte avec Dieu pour vivre au travers d’un journal intime et des lecteurs qui poseront leurs yeux dessus. De son côté, le groupe n’a pas menti en annonçant son album le plus ambitieux et varié. Sans être en terre inconnue, car les Américains approfondissent en premier lieu la direction déjà abordée par
Atra Mors, on peut affirmer sans prendre de risque que jamais Evoken n’aura été aussi loin du cliché du groupe de funeral doom qui laisse trainer paresseusement le même riff pendant dix minutes (et plus si affinités). Les claviers sont omniprésents, autant que l’alternance entre riffs pesants (mais pas spécialement écrasants…) et pauses atmosphériques très aériennes où le piano et les violons sont souvent convoqués. Des lead de guitares très mélodiques font régulièrement leur apparition, jusqu’à prendre une place très (trop ?) importante, comme lors de la seconde partie de « Schadenfreude ». Evoken serait-il sur
Hypnagogia plus doom/death atmosphérique que funeral ? C’est en tous cas ce que la production particulièrement équilibrée et léchée semble avoir pris comme parti. Si « Too Feign Ebullience » pourrait presque passer pour un ancien morceau du groupe, ce n’est que jusqu’à ce break très ambiant, particulièrement apaisant. A l’image de sa pochette, les couleurs sont assez inhabituelles, surprenantes par moment, comme sur « Ceremony of Bleeding ». Mais attention, l’ambiance mortifère qui a fait la gloire des Américains n’est pas totalement absente, on la trouve, discrète, au sein des chœurs de « The Fear After », et, encore mieux, au détour d’un morceau colossal comme « The Valorous Consternation ». Probablement le moment le plus mémorable, en tension de l’album, avec son accélération death et ce final, assez ultime.
Un changement dans la continuité qui laisse l’esprit divaguer, un peu de la manière dont ce nouvel album invite à le faire, entre veille et sommeil. Clairement, malgré une surabondance de mélodies flottant en volutes au sein d’une production presque aérienne, la sensation générale est celle d’un engourdissement des sens. Non pas mort progressive, mais réalité vécue à travers un voile : c’est à la fois la force et la faiblesse de ce nouveau longue-durée car si on constate avec surprise que Evoken se fait plus contrasté que cette image d’apôtre de la Faucheuse qu’on aime lui donner, son kaléidoscope de couleurs délavées n’a pas l’intensité de ses prédécesseurs, la variété donnant également l’impression d’écouter un groupe indécis sur ce qu’il cherche à transmettre. Mais cela n’est que le point de vue de tastevins ayant déjà été rempli par des œuvres indépassables telles que
Quietus et
Antithesis of Light ! Que ce soit durant « Ceremony of Bleeding » et sa solennité constante, des voix claires semblant invoquer une armée de cadavres, ou « The Weald of Perished Men » et ses incursions doucereuses livides et écroulées,
Hypnagogia montre une formation qui maîtrise son art funèbre tout en y apportant des touches particulières, à la fois lisibles et étranges, sorte de convergence mythologique entre Esoteric et le défunt Unholy. Une majesté indiscutable, à ceci près qu’elle ne laisse pas assez transparaître cette humanité vers laquelle paraissent tendre désormais les Américains, laissant chaque écoute se terminer par un point d’interrogation sur la profondeur intrinsèque d’un nouveau monument dont, malgré un nombre conséquent de contemplation, nous n’avons pas fini de percer le mystère.
Certaines choses sont cependant sures. La grande qualité, la cohérence des compositions sont bien présentes, le son est extrêmement abouti, et la relative évolution qu’entreprend Evoken est à saluer. En revanche
Hypnagogia semble presque faire face à une impasse : il n’a pas la lourdeur définitive de ses prédécesseurs, et s’il cherche des moments plus « beaux » dans le sens premier du terme, il n’en est pas moins jamais réellement éclatant ou transcendant dans ce registre. Comme si Evoken n’avait pas, ou pas encore, complètement la maitrise des émotions qu’il souhaite transmettre. En résulte un disque intéressant, esthétique et énigmatique. La suite, cela sera aux maitres eux-mêmes de nous dire s’ils la souhaitent définitivement ancrée en direction de ce nouveau cap…
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