Telluric Effluvium - Dissolution of the Threefold Self
Chronique
Telluric Effluvium Dissolution of the Threefold Self
Je suis allée de surprise en surprise avec TELLURIC EFFLUVIUM et, ma foi, la sensation de tomber dans un guet-apens musical est suffisamment rare par les temps qui courent pour ne pas s’arrêter sur le cas de ce quatuor basé à Denver dans l’Etat du Colorado où la scène extrême semble se porter comme un charme, pour ne pas dire qu’elle s’impose au vu de son foisonnement et de sa qualité.
C’est tout d’abord cet artwork en noir et blanc, somme toute très classique avec ce squelette finissant de se débarrasser de son enveloppe charnelle en mode automutilation qui m’a attirée, mon appétit pour le Death Metal tendance nécro-dégoulinant ayant été excité au premier regard. Hum… toi et moi, nous sommes faits pour nous entendre, me suis-je dit ! Mais voilà, TELLURIC EFFLUVIUM ne joue pas tout à fait dans la même cour que BLOOD INCANTATION, OF FEATHER AND BONE et Consorts, non. Du Death Metal, oui, il y en a là-dedans, mais phagocyté, digéré par un despotique Funeral Doom de très belle facture. Oulala, encore mieux !
Le pedigree de ces fiers gaillards, de deux d’entre eux en particulier, avait aussi de quoi susciter mon étonnement. Kevin Berstler que l’on trouve ici à la guitare et au chant est à la tête d’autres projets divers et variés, du Black Metal avec POISONOUS WIND et NYTHGRAPH (dans sa version atmosphérique) au Goregrind avec CACAORCASS en passant par le Death/Doom avec GHOST SPAWN et enfin le Slam/Brutal Death avec MONUMENTAL DISCHARGE au sein duquel officie également Ibrahim Jimenez, bassiste du groupe qui nous préoccupe aujourd’hui. Nous y sommes aujourd’hui habitués, mais la facilité déconcertante avec laquelle de nombreux musiciens naviguent entre les genres me fascinera toujours, et quand ils se paient de surcroît le culot de se distinguer dans chacun d’eux, ça frise l’indécence. En l’occurrence, le sieur Berstler et ses comparses ne feront pas exception.
Car le plus stupéfiant avec ce nouveau projet reste l’incroyable maîtrise dont TELLURIC EFFLUVIUM fait preuve avec ce premier longue-durée sorti sans préambule en 2020. Même pas une petit demo en guise de présentation, rien. Parti du néant dans lequel ils se proposent par ailleurs de nous précipiter. Dissolution du triple soi qu’ils nous annoncent… je ne sais si nous sommes autant que cela à l’intérieur de moi-même, toujours est-il que cet album a le don de m’éparpiller façon puzzle à chaque écoute. A l’image de ce corps qui se dépouille de sa chair, la musique de TELLURIC EFFLUVIUM se déleste de toutes fioritures inutiles pour aller à l’essentiel : l’émotion à l’état brut, l’immersion totale dans un abîme sans limite de temps et d’espace, qui s’étirent à l’infini, se contorsionnent, s’enroulent sur eux-mêmes.
Chacun des titres de Dissolution of the Threefold Self propose un thème musical autour d’une mélodie filetée, modulée, distordue au gré des bulles de notes qui s’échappent des guitares. Ces guitares grondeuses sont aussi pourvoyeuses de riffs particulièrement raffinés, bouleversants et rapidement obsédants, propres à fendre l’armure des plus endurcis, tandis que la basse, fière et austère, s’impose naturellement, la frappe mesurée et délicate mais néanmoins variée du batteur venant couronner le tout d’une aura d’élégance gloomy sans pareil. Quant au growl, bien que profond et autoritaire, il se veut paradoxalement réconfortant pour celui qui se laissera engourdir par son phrasé lénifiant. Une parfaite parité entre les instruments et les vocaux, unis pour vous emporter, dans un même élan, vers les ténèbres de votre âme.
TELLURIC EFFLUVIUM évite les écueils du « trop » et du « pas assez », parvient à atteindre cet équilibre fragile entre noirceur et sensibilité et, enfin, excelle dans le périlleux exercice d’alchimie stylistique. Avec deux morceaux de plus de douze minutes, entrecoupés d’un titre deux fois moins long mais d’égale qualité, la chute est inexorable, la descente longue et lente, jusqu’à ce saisissant final, sublime, avec "Dissolution of the Threefold Self (III)" et son ultime récompense lorsque les pieds du batteur trouvent leur chemin vers les pédales. Vous êtes arrivés au point de rendez-vous avec votre moi intérieur, étiez-vous vraiment prêts pour cette vertigineuse introspection ?
Pour un premier album, Dissolution of the Threefold Self se singularise par une rare maturité et un savoir-faire à toute épreuve, TELLURIC EFFLUVIUM faisant montre d’un travail sérieux et réfléchi, respectant scrupuleusement les codes et le cahier des charges imposés par le Funeral Doom, un style intransigeant, qui, il faut bien le dire, peut s’avérer casse-gueule pour ceux qui s’y aventureraient sans être animés par la foi qu’il requiert, tout en conservant une identité Death Metal très prégnante. TELLURIC EFFLUVIUM nous rappelle avec brio les vertus thérapeutiques du Funeral Doom : l’apprentissage éprouvant mais ô combien salutaire de la patience pour ceux qui en sont dépourvus et l’acceptation de la beauté fulgurante dont se pare parfois l’expression sonore de la mort et de la solitude. La classe, la très grande classe !
| ERZEWYN 22 Janvier 2022 - 1096 lectures |
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