Il y a des groupes qui ont sorti de tels monuments qu'on aborde toujours le moment de parler d'eux avec une certaine crainte, de peur de ne pas leur rendre un hommage à la hauteur de leur talent. Et il y a Evoken, ce groupe qui est entièrement un monument, dans lequel on entre à chaque fois avec une sensation de solennité, de petitesse face à lui, d'incapacité à retranscrire les émotions qu'il nous procure tant il paraît s'inscrire au-delà du temps, ses pierres résonnant d'un âge avant les âges, ses portes s'ouvrant dans une atmosphère d'éternité sur laquelle passé, présent et futur n'ont aucune influence. Il va falloir parler de
Antithesis of Light. Et cela ne va pas être facile.
« Mort. J'étais mort. Et mort, j'entrais dans le temple »
Car si chaque réalisation se démarque par des ambiances plus ou moins éthérées ou rêches ainsi qu'une évolution dans les sonorités – l'époque des touches black sur la demo
Shades of night descending paraît lointaine –, la formation reste cette machine à broyer implacable. Une main faite de marbre qui vous serre le cœur, faisant naître en vous des sentiments de désespoir voire d'abattement. Evoken est un appel au Néant, une vision extatique de la Mort trônant seule et fièrement, mise parfaitement en musique par un doom/death funéraire des plus froids et singuliers. Éléments que l'on retrouve donc sur
Antithesis of Light. Un diamant noir parmi d'autres dans la discographie du groupe, où vous retrouvez ces notes de synthétiseur à la fois grandiloquentes et spectrales ainsi que ces lignes de guitares aristocratiques, mélancoliques mais allant à l'essentiel sans faire dans l’excès (cf. le morceau titre). Pourtant ce dernier va plus loin dans cette volonté d'assujettissement et de violence austère. D'ailleurs rares sont les sorties à m'avoir autant déstabilisée et poussée dans mes derniers retranchements que celle-ci, se plaçant de ce fait comme la pièce maîtresse du groupe et chef-d’œuvre à part entière. Se rapprochant plus d'un
Embrace The Emptiness par son âpreté, tout est accentué ici : atmosphères lugubres et angoissantes (avec notamment la courte introduction ou encore le début de « Accursed Premonition »), production brute et décharnée ou encore le côté death plus prédominant. Le temps semble s'être figé dans l'univers terne et déshumanisé de Evoken et le batteur vient éteindre vos dernières lueurs d'espoir lors de poussées de violence. Des frappes cliniques et vicieuses qui vous assomment dès le morceau « In Solitary Ruin », offrant un contraste étonnant avec les mélodies plombantes et entêtantes sortant du chaos. Une singularité qui fait la beauté et la force de
Antithesis Of Light.
Pénétrer dans ce disque revient à pénétrer dans un mausolée. Un mausolée où l'architecture nous écrase de sa grandeur, pensé de ses fondations, solides malgré un enchevêtrement dont seul son créateur connaît les règles géométriques qu'elles appliquent, son sol, lisse, carré, et en même temps troublant au point qu'il paraît nous inviter, narquois, à un repos sans fin, à ses hauteurs, nous privant du ciel pour nous contempler de toute leur puissance. Un bâtiment qui, à chaque instant, à chaque mur, lacet, colonne, autel, décoration, montre qu'il existait avant nous, qu'il nous survivra, que notre existence faite de chairs, d'efforts, de rêves, d'émotions, n'est qu'une blague maintes fois répétées à ses oreilles ennuyées, mais dont il garde toujours pour lui la chute. Une œuvre morte, qui respire pourtant, d'un souffle lent, sentencieux, noble, un vent glacial nous caressant les os, nous élevant à quelques centimètres de ses dalles et nous dictant sa démarche. Un lieu statique, qui bouge pourtant, se meut dans une autre dimension que la nôtre, où l'oubli, l'ennui et l'éternel font Loi. Avec un écoulement liquide où le goutte-à-goutte se fait à rebours,
Antithesis of Light s'agrandit au fur et à mesure qu'il nous réduit, dans une étrange initiation de laquelle on ressort éteint et amoureux morbide, nouvel apôtre du fatidique aussi bien que transi prenant son bonheur dans l'abdication.
Si les influences étaient encore palpables sur les autres réalisations, Evoken prend davantage la tangente ici avec un album à la fois très personnel et intemporel. Une musique faite pour marquer durablement les esprits, vous aveuglant de sa lumière tant froide que crue et dont l'intensité n'a pas cessé de faiblir avec les années. Un petit plaisir masochiste que l'on ressort souvent, toujours avec cette même frénésie et ce sourire béat sur les lèvres.
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