Un disque de funeral doom qui demande à faire son deuil de plusieurs choses, est-ce si incongru ? C’est bien ce que demande Evoken,
Mendacium comme énième rappel à ceux qui n’ont toujours pas compris : oui, le groupe n’est plus le même depuis le départ de Nick Orlando, le surnaturel ayant suivi ses pas vers la sortie. Les Ricains jouent toujours avec le temps mais ne se situent plus en dehors de lui, revenant sur Terre à l’allure de marche funèbre de
Atra mors, puis du doom / death gothique, plus désespéré que mortifère, de
Hypnagogia…
Et maintenant avec
Mendacium, qui ne sera toujours pas le retour d’Evoken tel qu’on l’a connu sur
Antithesis of Light,
A Caress of the Void ou même
Embrace the Emptiness et
Quietus. Celui-ci est mort et enterré, mort de sa belle mort, panthéonisé par les œuvres qu’il a laissées derrière lui, majeures dans ce courant si à-part quand il est fait talent, si commun quand on n’en fait que suivre la route toute tracée. Il y a de quoi se faire avoir : un logo revenu à ses origines (celles de
Shades of Night Descending), quelques saillies purement death metal (rares mais mémorables, cf. « Matins » ou le final de « Terce »)… L’envie de proclamer le retour du roi est grande, passant sous silence les deux albums antérieurs, vus comme des erreurs de parcours.
Qu’on m’excuse, mais ce n’est pas comme cela que je considère
Mendacium, suite logique de ses deux prédécesseurs directs dont il est une somme dépassant les parties. Particulièrement physique comme
Atra Mors, il enrichit son canevas long, lourd et lent d’enluminures gothiques paraissant issues de ce que le doom a pu compter de plus corbeau dans les années 90. Voilà le retour vers le passé, inédit, qu’effectue Evoken : celui d’un funeral qui redonne vie – ! – à une période révolue, tire tout ce que le doom anglais du début des années 90 pouvait avoir de majestueux et solennel, le romantisme sous sa forme quintessentielle.
Regardez-moi cette pochette digne d’un
Silent Hill 2 version Megadrive, un item à attraper à côté d’un cadavre qu’on craint voir s’animer à notre approche. Ecoutez ces claviers issus d’un autre temps, au bord du dungeon synth mais avec le lustre de l’époque, celui qui ne cherchait pas à sonner vieux mais désuet, voyant la beauté que contenait cette faïencerie musicale.
Mendacium, jusqu’à son concept prêtant à sourire tant il se veut profond et papal – pas comme ça que je me souviens d’Avignon –, s’inscrit comme une profession de foi envers la période qui a vu naître la formation plus que sa propre discographie, pile poil entre horreur visuelle et mélancolie macabre. Ah ! Si ça ne tenait qu’à moi, je dirais que l’on a là le meilleur album de My Dying Bride depuis
The Dreadful Hours !
Cette grosse heure fait définitivement plus imaginer une tragédie romanesque ayant lieu dans la perfide Albion qu’une histoire anticléricale dans une ville du sud de la France. Cela est à peine mentir – mais un peu tout de même, restant dans le thème de
Mendacium et sa traduction –, tant on trouve ici une classe qui chapeaute l’ensemble de ce funeral doom extrêmement riche avant d’être extrême, braconnant sur les terres d’Ataraxie lors de ses moments mordants, conservant les reflets cold de
Quietus (« Lauds ») avec un goût plus prononcé pour les mélodies, la paix en horizon presque atteignable (« Sext ») avant de ricaner et éteindre tout espoir (« None », cassant le rythme ternaire des noms de titres par un jeu de mots scabreux).
Certes, on pourra trouver ici des éléments qui correspondent à ce que les amateurs de la première période de la formation ont pu adorer, cette voix lancinante (qui touche de près l’emphase sur « Terce »), ces grognements extrêmes particulièrement râpeux à certains moments (« Compline »), cette production opaque et cristalline à la fois rappelant le marbre laiteux de
Quietus… Mais cette volonté de s’habiller de façon plus élaborée désormais, les coutures moins apparentes qu’autrefois malgré la multitude de couches – ce qui n’est pas un mince exploit mais fait perdre une part du charme du projet –, prouve que l’on n’écoute plus cette entité terrible, difforme au point de figurer l’indicible.
Peu importe. Evoken est mort, vive Evoken ! Mort comme le death metal évidemment – qu’il déterre mieux que la plupart dans sa forme d’origine car sans chercher à répondre à un cahier des charges, usant librement de ce style libre au départ – mais aussi mort comme celui qui pouvait nous emmener aux confins de lieux inconnus, terrestres comme extra-terrestres. Je ne regrette pas l’ancienne forme et accueille la nouvelle, pointant simplement une certaine grossièreté des sentiments jouant sur un fil ténu entre kitsch et belle naïveté – le solo crevant le ciel de « Lauds » en exemple le plus probant (il n’a rien à faire là et je suis très content de sa présence). Plus proche, plus formel mais aussi plus incisif et plus charnel,
Mendacium est la création d’un groupe qui ne cesse de se renouveler dans un genre où le remue-ménage est rare, le neuf se mariant à l’ancien dans un vacarme où l’on ne sait plus ce qui appartient à quoi. « Précieux », dans tous les sens du mot.
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