« Bring out your dead ! ».
C'est au tintement de la parade du croquemort inspirée par
Monty Python : Sacré Graal (1975) que s'ouvre ce
Megadeth cuvée 2022. « I'm not dead yet ! » semble facétieusement répondre, à la manière du vieillard confondu avec un cadavre dans le long-métrage des Terry, ce bon Dave Mustaine (guitare, voix) tout au long de ce nouvel album. Il faut dire que le bonhomme semble avoir survécu à une apocalypse lors de sa gestation. À tel point que son titre connu depuis des lustres,
The Sick, The Dying... and The Dead!, sonnait comme un oiseau de mauvais augure pour bien des observateurs qui redoutaient qu'il soit prémonitoire, à mesure que sa santé se dégradait. Un cancer de la gorge plus tard, le guitariste semblait pourtant remis sur pied. Mais voilà son bassiste de toujours, Dave Ellefson, le seul à pouvoir supporter ses écarts de caractère depuis 1983, empêtré dans une sombre affaire de détournement de mineurs. Immédiatement congédié par un communiqué laconique, il est remplacé par Steve DiGiorgio, musicien de session de luxe chargé de réenregistrer ses parties basse. Tabula rasa! James LoMenzo, déjà en poste dans les années 2000, rempilait en tant que membre permanent lorsque les tournées reprenaient au-delà de l'Atlantique. Parce-que oui, une petite pandémie mondiale s'est ajoutée au processus entre temps... Kiko Loureiro (guitare, ex-
Angra), déjà présent sur le très bon prédécesseur
Dystopia (2016) et Dirk Verbeuren (batterie), débauché de
Soilwork à la même période, devaient déjà avoir mis en boîte leur contribution depuis un moment... une éternité plus tard, donc, ce seizième opus montrait enfin le bout de son nez, paré d'un Vic Rattlehead emmitouflé dans son meilleur costume de cow-boy et prêt à flinguer tout ce qui bouge.
C'est exactement ce qui se passe dès les premiers instants de l'album. À l'image d'un « gunfight » épique dans le climax d'un western spaghetti, le tempo est accéléré et les riffs percutants du quatuor fondent sur l'auditeur comme la misère sur le pauvre homme. La production limpide laisse pleinement s'exprimer le grain sauvage des guitares tout en réservant une interstice non négligeable à la basse de Steve DiGiorgio qui reste à bonne distance des fantaisies techniques qu'il disperse habituellement. Quand à Dirk Verbeuren, il soutient les galops rythmiques qui ont pignon sur rue avec une précision reptilienne. Armé d'un son de caisse claire claquant au possible et délicieusement organique, il se dégage de son jeu une puissance instinctive et jouissive (là où Chris Adler était davantage automatique) que ses « fills » virtuoses et ses mitrailles de double pédale ne font qu'alimenter. Il participe totalement à cette atmosphère « old school » qui règne sur une bonne partie des morceaux de
The Sick, The Dying... and The Dead!. Cette section rythmique semble toutefois bridée par l'autocrate directeur artistique Dave Mustaine qui se réserve, avec son comparse Kiko Loureiro qui distille bon nombre de soli mémorables, la part du lion. Le rouquin ne dit pas l'inverse dans un « Life In Hell »...
« I'm a disease, and I'm addicted to myself !
I'm all I need, I'm gonna live and die in hell ! »
… qui pue la décennie 1980 à plein nez. En effet,
The Sick, The Dying... and The Dead! offre aux éternels nostalgiques de l'époque
Peace Sells... But Who's Buying ? (1986) ou encore
Rust In Peace (1990) de quoi mettre un peu de beurre dans leurs épinards. En retournant, comme le faisait déjà habilement
Dystopia (2016), aux structures typiques du thrash d'antan que le morceau-titre, « Life In Hell » ou encore « We'll be back » évoquent à l'aide de leur cadence infernale et de leurs soli percutants, ce seizième album exerce une attraction immédiate. Les deux six-cordistes y sont comme des poissons dans l'eau. Un sentiment que viendra confirmer l'excellent « Night Stalkers », cavalcade épique terriblement efficace. Avec ses accords ravageurs qui encerclent un refrain totalement emblématique, sa phase en « power chords » minimalistes sur laquelle le rappeur
Ice-T (vous avez dit nostalgie ?) vient déclamer quelques punchlines bien senties, on retrouve avec un bonheur un
Megadeth totalement clinique, capable d'envoyer des morceaux d'anthologie. Malgré son incipit un brin poussif, l'accélération salvatrice d'un « Dogs Of Chernobyl » rappelle également la capacité du compositeur à bricoler des titres surprenants et évolutifs, qui ne se reposent jamais sur leurs lauriers. Même lorsque le contenu s'avère moins ambitieux (« Sacrifice », « Junkie », « Killing Time », « Soldier On! »), jusqu'à risquer parfois l'anecdotique, on retrouvera tout de même cette cohérence dans l'efficacité décomplexée. Les deux bonus tracks, reprises de
Dead Kennedys et
Sammy Hagar, contribuent parfaitement à planter un décor éminemment rétro.
Il n'y a qu'à entendre le panache rock 'n roll d'un « Célebutante », d'apparence pourtant assez anodine, pour finir de s'en convaincre. Et même si l'ambiance est à la célébration du passé, Dave Mustaine ne s'interdit quelques incartades dans l'actualité en passant certaines thématiques au vitriol. En envoyant quelques balles perdues aux influenceurs à la manière du Duc de Boulogne, en moquant l'hybris des nouveaux conquérants spatiaux du millénaire, le parolier démontre qu'il n'a rien perdu de sa verve. Et ce même si la voix avec laquelle il exprime ces quelques diatribes semble de plus en plus affectée par le temps et les épreuves de santé, à tel point qu'il adopte sur
The Sick, The Dying... and The Dead! une tessiture encore plus grave qu'à l'accoutumée. On retrouvera ces grognements caractéristiques qui font le charme – comme la principale limite – de
Megadeth depuis de nombreux années. L'omnipotent frontman rappelle aussi à travers « Mission To Mars » sa capacité à exceller dans un registre heavy plus accessible, exploré avec un brio inégalable dans
Youthanasia (1994), à l'époque où son organe était au faîte de ses possibilités. Ces accords électrisants du pré-refrain auquel succède un leitmotiv catchy à mort érigent ce titre en tube gravitationnel, peut-être la plus grande réussite de ce nouvel album. Et lorsque le morceau décolle pour révéler son issue dramatique dans une nouvelle accélération foudroyante, c'est une véritable bombe que
Megadeth fait exploser entre nos oreilles. Pas de doute, Dave Mustaine reste un compositeur de génie aux dents encore bien longues, un homme en (ré)mission.
« Blast-off, I'm on my way, I'm a shooting star
A man on a mission...
I hang with the man on the moon, I'll be there soon
I'm a man on a mission to Mars »
Alors, où se situe
The Sick, The Dying... and The Dead! dans la galaxie
Megadeth ? Il surfe sur la dynamique d'un
Dystopia (2016) accompli et confirme au moins le retour en force du quatuor après un début de décennie 2010 assez poussif. Comme son grand frère et d'autres sorties plus lointaines, il démarre sur les chapeaux de roue avant de baisser pavillon en milieu d'album pour connaître un léger ventre-mou, classique enchaînement de morceaux moins marquants qui ont quand même le mérite de rester plaisants (on pourra se surprendre à fredonner le refrain accrocheur de « Junkie » entre le fromage et le dessert). Mais l'affaire se termine très fort, avec deux titres ultra convaincants qui laissent une belle impression en bouche. En définitive, ses coups de semonce impressionnants, son orientation « old school » et sa production impeccable en font un album très plaisant, au goût certain de revenez-y. À l'image d'un
The System Has Failed (2004) auquel votre webzine préféré avait rendu ses lettres de noblesse en son temps, ce seizième effort diffuse lui aussi son doux parfum de survivant et vient grappiller sa place parmi les bonnes sorties de MegaDave, celles qu'on rangera du bon côté de l'étagère et qui ne prendront pas trop la poussière. Après une telle apocalypse, pas de quoi niaiser!
5 COMMENTAIRE(S)
28/09/2022 20:03
Megadeth en a encore sous le pied, contrairement à Metallica, rincés depuis trente ans déjà lol
28/09/2022 11:53
Par contre, certaines m'ont niqué les oreilles, dont Junkie.
Et puis, il y a Dogs of Chernobyl qui m'a semblé plutôt digne d'un album de Gwar, c'est tout à fait le genre de pistes qu'ils composent, quand ils n'ont pas vraiment d'inspi et refont la même chose.
Du bon et du moins bon du coup.
28/09/2022 07:18
27/09/2022 22:48
J'ai vraiment du mal à croire que c'est le même groupe qui sortait des merdes comme "The World Needs A Hero" ou "United Abomination" il y'a 20 ans.
27/09/2022 20:35
Au final, je me retrouve avec un excellent disque entre les oreilles, qui fleure bon la période 83-97. Un mix intelligent de toute cette époque, sans pour autant sonner passéiste et/ou nostalgique.
On pourra le trouver meilleur ou moins bon qu'un autre album. La belle affaire ! C'est d'abord un disque qui procure un plaisir d'écoute non négligeable, qui, certes, flatte le fan des vieux albums que je suis. Mais pour le coup, j'accepte volontiers la gratouille sous le menton de MegaDave, et je ronronne de bonheur d'entendre de nouveau du speed/thrash millésimé.
A l'écoute de ce nouvel opus j'ai juste envie de dire : "Merci Dave c'est ce que je voulais entendre. T'es encore là"