Si le mot "Hadopelagyal" peut sembler inventé de toute pièce avec une succession de syllabes a priori sans queue ni tête, il fait pourtant référence à la zone hadale (du dieu grec Hadès, maître des Enfers) ou zone hadopélagique (pélagos signifiant "pleine mer") correspondant aux fosses océaniques de subduction comprises entre -6000 et -10994 mètres (merci Wikipedia dont j’ai fait un copier/coller que je me suis tout de même permis de réarrangé). Bref, ce sont donc les bas fond sous-marins auxquels fait référence le nom de ce duo allemand formé à Leipzig en 2016 et qui réunit dans ses rangs un certain Hekla (Necropolissebeht, Pale Spektre) accompagné depuis trois ans et un sérieux remaniement de line-up par Andreas H. des excellents Lihhamon (groupe malheureusement à l’arrêt depuis maintenant un petit moment).
Que ce soit sous cette forme ou sous une autre (notamment celle d’un trio à ses débuts), le groupe n’en est pas à son premier coup d’essai puisqu’il signait en 2018 la sortie d’une première démo cassette intitulée
XXXVI XXXI N XXV XXVIII O. Une démo relativement confidentielle qui pourtant ne manquera pas d’attirer l’attention de Ván Records qui dès l’année suivante en proposera une édition vinyle relativement limitée. Deux ans plus tard (en 2020 donc), Hadopelagyal poursuit ses pérégrinations de manière discrète avec la sortie de deux splits. Le premier en compagnie des très bons Kosmokrator toujours sur Ván Records, le second avec Thorybos cette fois-ci sur Amor Fati Productions. Il faudra attendre ensuite septembre 2022 pour voir le duo allemand revenir aux affaires avec la sortie d’un premier album intitulé
Nereidean Seismic End sous la bannière, une fois de plus, de Ván Records.
Si vous pratiquez déjà les quelques groupes énoncés plus haut dans cette chronique, ce que propose ici Hadopelagyal ne devrait a priori pas beaucoup vous surprendre. Jamais là pour faire semblant ni amuser la galerie, Hekla et Andreas H. proposent un Black / Death dense et bouillonnant qui n’entend pas beaucoup lever le pied ni même vous faciliter la tâche. Servi par une production organique signée des mains de Birger Schwidop (bassiste de CNTMPT et Division Speed ayant travaillé en parallèle pour tout un tas d’autres groupes) et Karapan Darvish (Dakhma, Guignol Noir, Lykhaeon, Ungfell...),
Nereidean Seismic End en appelle en effet à ces forces telluriques qui animent les profondeurs de notre planète.
À la manière de formations telles que Portal, Impetuous Ritual ou Antediluvian, les guitares chez Hadopelagyal vont venir bourdonner comme une batterie de bombardiers en plein raid aérien lors de la seconde guerre mondiale. Un riffing dense et menaçant au caractère hautement hypnotique qu’il ne faut pas espérer apprivoiser dès les premières écoutes. En effet, un minimum d’engagement de la part de l’auditeur sera probablement nécessaire pour espérer percer les mystères de ces riffs épais et dissonants dont on décèle davantage la forme massive et menaçante que le fond beaucoup plus vil et pernicieux.
La nature hypnotique de ce premier album est également induite très largement par cette dynamique offrant en apparence bien peu de nuances. En effet, de "Depravity Shall Triumph" à "Intertidal Terrorrealm" en passant par "The Morning Carried A Feeble Sun, A Solitary Sphere Of Embers", "Blades Drawn From The Iron Marrow Of The Sunken Dead" ou "Pitiless Stars In The Clasp Of Putrefaction" c’est toujours pied au plancher que le duo mène ses assauts et notamment Andreas H. qui n’a de cesse de cravacher à coups de blasts soutenus et quasi-ininterrompus. Une force de frappe implacable qui avec ces riffs entêtants nourrissent cette dimension souterraine qui anime chaque seconde de ces quarante et une minutes.
Pour autant, derrière cette nature monolithique et écrasante se cache un travail de nuances, certes discret mais néanmoins très intéressant pour peu que l’on y prête attention. Celles-ci se manifestent en premier lieu par quelques moments moins abrasifs et donc plus pesants lors desquels Hadopelagyal va brièvement calmer le jeu comme c’est le cas sur "Depravity Shall Triumph" à 4:40, "Blades Drawn From The Iron Marrow Of The Sunken Dead" à 4:14 ou "Pitiless Stars In The Clasp Of Putrefaction" à 2:44 et 3:52. On appréciera également les subtilités dans le jeu de batterie d’Andreas H. et notamment dans l’usage dynamique et varié qu’il fait de ses toms et surtout de ses cymbales comme on peut le constater sur "Depravity Shall Triumph" à 3:03 et 4:10, "Intertidal Terrorrealm" à 3:40 ou "The Morning Carried A Feeble Sun, A Solitary Sphere Of Embers" à 1:36. Enfin à travers l’utilisation de plages instrumentales bruitistes comme sur les deux premières minutes de "Depravity Shall Triumph" ou sur l’intégralité de "ἄπειρος καὶ ἐρῆμος ἐστιν ἡ θάλασσα" qui conclu l’album sur une note particulièrement étouffante et anxiogène.
Album dense et chargé aux nuances peu nombreuses et qui plus est subtiles et discrètes,
Nereidean Seismic End s’inscrit dans le registre d’un Black / Death impitoyable et exigeant qui ne fera probablement pas l’unanimité mais saura enthousiasmer les amateurs de ce genre d’oeuvres impénétrables, obscures et infernales. Aussi Hadopelagyal livre un premier essai longue-durée à la hauteur des attentes exprimées après trois sorties toutes plus convaincantes et efficaces les unes que les autres. Certes, l’originalité n’est pas forcément au rendez-vous à l’écoute de ces quarante-et-une minutes mais on ressort de là lessivé, chahuté et endolori par tout ce chaos organique. Une oeuvre physique à ne certainement pas mettre entre toutes les mains.
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