Avant de passer à l'analyse purement technique de ce qui reste à ce jour comme l'oeuvre la plus aboutie de Bruce Dickinson en solo, vous me permettrez une longue parenthèse sur William Blake, artiste peintre et poète britannique ayant exercé fin 18ème, début 19ème, et dont le « The Ghost Of A Flea » (1819) orne la pochette de « The Chemical Wedding ». Le légendaire frontman de la vierge de fer, qui dit souvent écrire un album en partant d'une ou plusieurs illustrations, jette ici son dévolu sur un des artistes les plus sombres et torturés de son temps, déjà source d'inspiration pour le groupe de rock progressif ATOMIC ROOSTER sur leur « Death Walks Behind You » (1970). Un album qui a marqué à jamais un Bruce Dickinson fasciné depuis toujours par l'alchimie, les sciences occultes et la poésie mystique (voir « The Chemical Wedding », un film d'horreur à petit budget scénarisé par ses soins pour s'en convaincre).
Formé à la gravure chez James Basire après un apprentissage du dessin dans une école londonienne, William Blake s'exerce d'abord sur des reproductions de sculptures médiévales et développe un goût prononcé pour l'art gothique. En total décalage avec les canons en vigueur à l'époque (oubliez portraits, scènes de genre ou d'après nature), Blake le romantique reproduit des figures allégoriques d'origine littéraires, quant il ne rédige pas lui même une série de livres prophétiques comme « The Book Of Thel » (1789) ou « The First Book Of Urizen » (1794), qui donnent ici leur nom à deux titres de l'album : de la Bible à Shakespeare, en passant par
La divine comédie de Dante et les poèmes de Milton, Blake fait figure d'anti-conformiste et rejette toute forme d'institution après une altercation avec Reynolds, le président de la Royal Academy. De tendance politique radicale (il prend fait et cause pour les révolutions françaises et américaines), farouchement hostile envers l'église anglicane et proche de la doctrine de Swedenborg, Blake, qui essuie en outre un cuisant échec commercial lors d'une importante exposition en 1809, a tout de l'artiste maudit et ne sera réhabilité qu'à partir de 1860, soit plus de trente années après sa disparition. Le visionnaire, qui laissera quantité d'illustrations et de gravures aussi habitées que singulières -
gravure à l'eau forte et colorée à la main, un procédé inhabituel à l'époque– rejetait tout ce qui avait trait au matérialisme et ne jurait que par inspiration, imagination et génie poétique. Spiritualité trouble, univers visuel puissament évocateur et personnalité iconoclaste, on voit bien ce qui a poussé Dickinson à choisir William Blake comme point de départ d'un album musicalement bien plus ambitieux que le très classique –
mais néanmoins excellent -
« Accident Of Birth ».
Après avoir soumis les paroles des morceaux à la
William Blake Society, ses membres permettent à un Dickinson comblé d'utiliser une des gravures de Blake pour illustrer son album. Délaissant très tôt l'idée d'écrire un single destiné à cartonner dans les charts, le scénariste/pilote de ligne et ex-futur frontman de la plus grande institution du heavy metal se concentre sur l'écriture de titres résolument modernes, que les critiques de l'époque se plaisent à décrire comme l'alliance improbable entre PANTERA/FEAR FACTORY et du rock progressif. Improbable, c'est le mot. Car Bruce Dickinson, qui a reconduit l'intégralité du line-up de “Accident Of Birth”, a beau hausser le ton sur un “Killing Floor” bien rentre dans le lard, le lifting brutal reste comparable à celui opéré deux ans plus tard par HELLOWEEN sur “The Dark Ride” (produit par ... Roy Z. Coincidence?). Guitares sous accordées et rythmiques plus marquées côtoient donc le catalogue de leads classieuses habituelles et les envolées lyriques d'un Dickinson pas loin d'être à son top, “The Chemical Wedding” surclassant haut la main toutes les sorties de MAIDEN post “Seventh Son Of A Seventh Son”. Dickinson, qui a beaucoup tâtonné dans des registres divers depuis “Tattooed Millionaire” (1990), semble avoir trouvé dans les écrits de Blake le supplément d'âme qui manquait sur ses productions précédentes. Pour autant, doit-on se passionner pour la divine vision blakienne et ses oeuvres prophétiques pour apprécier “The Chemical Wedding” à sa juste valeur? La parole est à Dickinson :
I Have a simple rule. Does it rock? And if it does, who gives a shit what it's about?
Voilà qui rassurera ceux qui, comme moi dans 95% des cas, écartent sans ménagement concepts et lyrics pour se concentrer sur le seul son. Très inspiré ici, le trio Dickinson/Smith/Roy Z rate le chef d'oeuvre de peu, la faute à un final un peu en deçà du reste ; jetée en pature dans l'arène après le sommet d'intensité de “Jerusalem”, “The Trumpets Of Jericho” fait vraiment pâle figure et si l'efficace “Machine Men” redresse un peu la barre, la sensation que l'album s'est achevé en piste 7 demeure, malgré la reprise du thème du title track sur “The Alchemist” pour boucler la boucle. Dans le même ordre d'idée, le faussement léger “King In Crimson” fait croire un instant à un “Accident Of Birth” Part 2 avant que raffinement mélodique et douce mélancolie ne reprennent le dessus. Tout le reste n'est que pur génie, avec une “The Tower” en chef de file dont le riff principal est une relecture insensée d'un des meilleurs titres de la vierge de fer, j'ai nommé “Wasted Years”! La patte d'Adrian Smith, à jamais le meilleur élément de MAIDEN à mes yeux, se fait sentir tout au long d'un titre parfait de bout en bout : le refrain ultra accrocheur du père Bruce, combiné aux leads somptueuses d'un Adrian extatique dès 2:57 ont sûrement convaincu Steve Harris de l'inanité de poursuivre avec un Blaze Bailey à l'efficacité inversement proportionnelle au whiskey dont il partage le nom. Déchaînés le temps d'un “Killing Floor” tumultueux et rageur, les
ironmen poussent alors un peu plus loin le bouchon de l'humiliation et livrent avec “The Book Of Thel” une cavalcade heavy à l'ancienne de plus de huit minutes à la croisée des chemins “Alexander The Great”/”Rime Of The Ancient Mariner” (en moins bon, soyons honnête). Rien que ça!
Sentir les effluves du grand MAIDEN dix ans après leur dernier chef d'oeuvre, c'est un sentiment incomparable d'autant que contrairement à celle de Kevin Shirley sur “Brave New World” ou “Dance Of Death”, la production de Roy Z est ici très adaptée. Moderne, puissante mais avec ce qu'il faut de subtilité pour saisir toutes les nuances d'un album qui caresse autant les sens qu'il les met en ébulition, l'infinie tristesse des arpèges de “Gates Of Urizen” relayant à merveille la mer de riffs démontée de “Book Of Thel”, solis déchirants à l'appui. Un titre magnifique, hanté par des lignes de guitare aussi tristes et belles que le souvenir d'une âme disparue, qui prépare au mieux le retour héroïque de Bruce Dickinson sur les terres folk de “Jerusalem”. Une montée en puissance rare, dosée à la perfection par un maître (en)chanteur qui excelle dans l'art de dompter la foule (oui, le wo-ho-ho est de sortie). “Jerusalem”? C'est le genre de titre qui vous fait gagner une guerre avec trente morts-la-faim sous entraînés, fonçant couteau entre les dents pour réduire à néant une cohorte de blindés. Le déluge de solis typiquement maideniens à 3:36? C'est Lionel Messi qui part du bas du terrain et dribble dix adversaires pour tromper le gardien après une course folle de 80 mètres. “The Chemical Wedding”? C'est l'oasis heavy metal à l'intérieur duquel ceux qui considèrent que Steve Harris et ses boys n'ont rien sorti de probant depuis 1992 feront un séjour prolongé, partagés entre la satisfaction du devoir accompli par deux ex-renégats (Smith avait quitté le groupe après la tournée “Seventh Son”) et la déception d'un retour au bercail loin d'être aussi significatif.
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