Le quatrième « full-length » de LUTOMYSL s'intitule
Decadence ; sorti d'abord sous forme d'une tape limitée à 666 exemplaires chez Propaganda en avril 2005, puis en CD en 2006 chez le bon label angelin Mercenary Musik, sa distribution dans le milieu aura été plutôt moyenne, et c'est bien dommage pour une telle œuvre. Cette année 2005, Pavel "Lutomysl" Shishkovskiy, l'être torturé derrière ce one man band, loue les services d'un batteur pour l'occasion, son précédent opus,
I(')MQUI(nt)ESs/cENCE, étant entièrement rythmé par une boîte à rythme. Avec Amorth, qui a notamment fait de la session chez DRUDKH (en étant présent sur l'excellent
Blood in our Wells notamment) ou chez ASTROFAES, l'homme se dote d'un pilier de la scène ukrainienne pour donner une nouvelle dimension à sa musique avec ce
Decadence. 3 disques étaient sortis depuis la création du groupe en 2001 suite à la fin de PROFANE SOLITUDE : le premier opus,
Вызов (
The Challenge), présentait déjà une grande classe, une grande maturité dans des compositions abouties déjà marquées par cette patte unique inspirée il est vrai par les russes de FOREST. Si
Зима людства (
Winter of Humanity) ne confirmait pas la puissance du premier jet de notre homme,
I(')MQUI(nt)ESs/cENCE faisait mieux que redresser la barre et s'imposait comme un chef-d'œuvre du genre que LUTOMYSL porte en lui : le "Jet Black Metal Art", qu'on pourra définir à l'écoute de ses œuvres comme une musique fulgurante, uniformément noire et terriblement mélancolique, sans aucun compromis.
Decadence arrive donc à un moment décisif de la carrière de LUTOMYSL, puisqu'il intervient après un grand disque. En 2005, on pouvait légitimement se demander si l'homme allait être à la hauteur de son
I(')MQUI(nt)ESs/cENCE déjà touché par cette grâce unique. Et Pavel Shishkovskiy n'est pas homme qui déçoit. Plus de clavier ici, seules la guitare, la basse et la batterie se livrent une lutte sans merci durant 40 grosses minutes d'un malheur pur et sans trêve. Sous une production impeccable, vicieuse, touchante, au grésillement éteint mais malgré tout perceptible, le mal-être copule avec la haine pour donner des compositions dans l'ensemble fluides, qui s'enchaînent en tout cas sans aucune pitié. L'homme, lançant sa nouvelle offrande avec deux perles (« First Rays » et « To Bearers Of Gleam »), annonce la couleur :
Decadence sera grand,
Decadence n'épargnera personne avec ses riffs contemplatifs et mélancoliques à en crever. L'alliage de brutalité, avec ces riffs incisifs confrontés à une batterie assénant ce blast beat typiquement ukrainien, ravageur et obsédant, et de tristesse, avec ces riffs terrifiant de pureté et d'efficacité rythmés par une batterie qui se fait parfois plus lente, bat son plein. Là où l'homme nous achève, c'est quand il balance à la figure d'un auditeur touché en plein cœur ces passages possédés, diablement efficaces. Ces passages où la voix, une voix qui gerbe tout bonnement la vie, les instants de bonheur qu'on peut passer, une voix portée un Lutomysl qui s'époumone avec cet accent slave marqué comme les sillons creusant les cernes d'un insomniaque, ces passages où la voix se tait pour laisser place à un Black Metal d'un panache sans pareil et d'une froideur absorbante et paralysante, notamment sur « First Rays » ou sur « To Bearers of Gleam », deux véritables tueries. Ces moments intenses sont légion sur cet opus : « In The Darkness », notamment, propose une densité dans l'émotion rarement atteinte par LUTOMYSL… et par ailleurs.
Mais l'heure est venue… vous savez, ce moment où la lucidité vous choppe par la manche et la tire en vous susurrant à l'oreille : « fais gaffe mon gars, tu t'emportes ! ». Saleté de conscience professionnelle ! Qui vous fais dire que ce
Decadence comporte quand même quelques longueurs, notamment sur le titre éponyme ou sur « Quintessence », titre qui tire un peu trop sur la corde quand même. Oh, pas jusqu'à la casser, non mes aïeux, mais il faut bien relever ces quelques passages en trop, moins inspirés que les autres. Mais à l'évidence, la qualité unanimement reconnue au
De Profundis, le chef-d'œuvre de LUTOMYSL qui viendra 3 ans plus tard, ne doit pas faire oublier cet album tout aussi exceptionnel : certes, ici l'homme ne maîtrise pas tout à fait sa formule puisqu'il se laisse aller à quelques petites longueurs et facilités, mais il tient déjà de quoi pérenniser son « Jet Black Metal Art » et de fait la grâce qui ne le lâchera plus, à l'image d'un
Catharsis qui confirmera, tout en étant quand même un cran en-dessous, la grande qualité qu'on a pu déceler sur ce
Decadence, offrande d'un groupe fantomatique, hantant le malheureux être qui pose ses oreilles frelatées sur ce véritable don du coeur dévasté et dégoûté par toute forme de vie. A noter, l'opus ne connaît aucune pause entre les morceaux, un peu à la manière de l'ultra compact
Sorrow de HATE FOREST : vous l'avez compris, bande de chafouins, ce
Decadence mérite vraiment qu'on se l'infuse entre les deux oreilles et qu'on se prenne ses balles de noirceur entre les deux yeux !
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