Après un album éponyme tout en maîtrise et en finesse, auquel on aura pu reprocher à raison un certain manque de spontanéité au profit d'un aspect plus démonstratif et « clinique » au niveau des guitares, LUTOMYSL est de retour, toujours sur Nihilward Productions, avec un opus magnifiquement orné d'un bel hommage à la tour de Babel, faite ici de corps rampants et pourrissants qui cherchent, dans toute la médiocrité qui les animent, à atteindre un ciel illusoire. Le désespoir, la punition, voilà des sentiments qui règnent en maître sur ce récent monument de mélancolie enregistré par le sempiternel Pavel Shishkovskiy et sa touche reconnaissable entre mille. Alors, le meilleur objet jamais sorti pour un LUTOMYSL, comme annoncé par le groupe lui-même ? Sans aucun doute, le digibook est magnifique et les illustrations qui l'ornent sont totalement réussies. Tout est réuni pour faire de ce nouveau disque un grand millésime, tant son enrobage est chiadé et classe. Et de même, alors que le précédent opus était un poil trop long (durant une bonne heure), ici LUTOMYSL va à l'essentiel avec son
Overcoming Babel qui se limite à quarante-cinq minutes de titres habilement variés.
Le son de ce nouvel opus à la couleur grisâtre prédominante est également plus adapté à l'ossature du one man band que ne l'était celui du précédent album, peut-être un poil trop tendre pour de telles émotions. Certains plans guitares / batterie avaient tendance à diluer la densité des émotions qui s'en voyaient légèrement affectées. Ici, il est agressif et mordant, implacable comme il se doit d'être pour catalyser la fougue nostalgique du projet solo. La batterie est plus limpide, à l'image d'une caisse claire bien claquante et de cymbales fort bien articulées : l'équilibre entre les salves mélodiques de la guitare de Pavel et la batterie est fort bien maintenu et porte l'intensité à son zénith sur certains passages très réussis, notamment les passages lents de « Confession », montagne de tristesse qui s'abat sur les oreilles du pauvre auditeur livré à ce torrent de peine et de fureur. C'est avec ce troisième morceau que l'on retrouve un LUTOMYSL sachant être à la fois rageur et émouvant, tout en étant toujours juste et précis. Une précision qui se ressent dans l'évolution des riffs, toujours méticuleuse et maîtrisée de manière à ce que l'on ne se repose jamais sur une mélodie obsédante, à l'image de l'alternance excellence entre tempo binaire ultra efficace et tempo plus lent sur « In Millstones Of Time » conclu par un final totalement grandiose, tout en subtils mid-tempos.
Mais après cet autre grand moment intimiste,
Overcoming Babel se voit immédiatement relancé par un « With The Bursting Freedom » qui propose une décharge de riffs totalement jouissifs pour l'amateur de ces mélodies alambiquées et lumineuses que l'on connaît à l'Ukrainien. Des riffs animés par la voix d'un Pavel porté par davantage d'assurance sur cet opus, une voix dans laquelle on décerne moins de fragilité et de failles, même si elles pouvaient en faire la force dans un album comme
De Profundis, monument intégral de fragilité vocale. Ici, elle est plus régulière dans le déchirement et exprime une rage uniforme, assassine, ressentie dès les première éructions lancée dans « Behind The Mask », premier titre très dynamique d'un album sincère et assommant de tristesse. Ici, plus d'essoufflement, plus de râles d'agonie pour Pavel qui gère mieux sa respiration pour offrir le meilleur de son organe en permanence. Ouverture salvatrice à laquelle succède le non moins intense « Don't Put Out ! » qui nous avait mis l'eau à la bouche quelques mois avant la sortie définitive de cet album et qui s'impose ici comme un de ses morceaux phares de cette offrande.
La force de cet album réside réellement dans la tangente entre passages plus lents et la fulgurance des passages plus véhéments, à l'image d'un morceau comme « To Ashes », belle montée en puissance qui commence par une lente danse tortueuse pour évoluer vers un torrent de double pédale et de blast surplombé par des riffs éthérés bien connus des forces de police inspectant le travail tout frais de l'Ukrainien, consistant en des accords contemplatifs et des transitions aux harmonies totalement ancrées dans cette patte LUTOMYSL que l'on connaît : des trémolos dynamiques aux sonorités uniques amorcent une succession de riffs souvent très cohérents. Un changement permanent de rythme contribue à renforcer cette grande variété qui se dégage à l'écoute de cet opus très réussi. Le feu crépite dans tous les sens et se voit sans cesse ravivé par le souffle énergique de l'inspiration qui règne à nouveau en maître sur
Overcoming Babel.
Ce qui n'empêche pas cet album de s'éparpiller parfois dans la facilité, à l'image de « Slave » et de ses plans basse / batterie assez délicats à appréhender, voyant la figure de l'auditeur enthousiaste jusqu'alors se décomposer dans un premier temps. « Mais... mais... qu'est-ce que c'est que ça ? ». La surprise de la première écoute est assez désagréable, ces passages n'étant pas vraiment réussis... pourtant la réussite finale de ce morceau moins marquant est à chercher dans l'apparition fantomatique de moments plus posés et lents, libérant cette nostalgie à partir de 0:44 et lui redonnant une vraie étoffe jusque là trop noyée dans ce début assez approximatif. Cette tentative d'agressivité pure est bien trop neutre pour un groupe si transcendant d'habitude et va bien mal à ce LUTOMYSL plus moderne... même si il serait dommage de ne pas saluer les lignes de basse fort bien réalisées de ce « Slave » qui porte pourtant en lui une vraie souffrance à aller chercher en profondeur. Paradoxalement, le morceau le moins marquant du disque est celui dans lequel se distingue le mieux la quatre cordes, trop rarement séparée des guitares dans l'ensemble. L'émotion brut y est pourtant trop rare, d'autant plus qu'il est situé après le temps fort qu'est « To Ashes ».
Et d'une manière générale, c'est peut-être ce manque de spontanéité qui fait défaut à ce LUTOMYSL cuvée 2012, comme il avait tendance à le faire sur le précédent opus. Les défauts du disque constituaient vraiment un amas de détails insignifiants à l'échelle d'un disque « normal ». Le seul problème de LUTOMYSL, la tare majeure de ce one man band est qu'il a déjà tutoyé l'excellence par le passé avec des disques comme
Decadence, suintant la réussite par tous les pores ou encore
De Profundis, ode monumentale à la densité, tant est si bien qu'on en devient terriblement exigeant lorsqu'on se confronte à ce groupe. Si
Overcoming Babel n'est pas le chef-d’œuvre qu'attendaient les fans comme moi, il nous prouve cependant que LUTOMYSL n'a pas encore épuisé son talent, ses moments forts étant là pour rappeler à la mémoire des auditeurs la Grâce qui plane sur chaque élément que touche le créateur de ce projet solo à la discographie quasiment sans faux-pas. Ce n'est toujours pas
Overcoming Babel qui me fera dire le contraire même si une certaine appréhension pointe le bout de son nez pour les réalisations futures du one man band qui j'espère ne tombera pas dans les facilités aperçues ici et là pour ce disque qui reste une franche réussite de « Jet Black Metal Art » et encore plus de Black Metal tout court, LUTOMYSL restant, quoi qu'il fasse, une entité noble planant au-dessus de la populace grouillante de l'Art Noir comme sa bannière flotte au-dessus du fatras d'humains hantant cette classieuse pochette.
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