Cette chronique a vu le jour pour deux raisons. Premièrement, j'espère naïvement qu'elle me permettra de briser le cercle obsessionnel dans lequel je me suis enfermé depuis que j'ai eu la merveilleuse idée de ressortir
"50 Contre 1" l'année dernière. Deuxièmement, je tiens beaucoup à ma place au sein de la belle team deThrashocore. Et, quoiqu'ils disent, je sens bien poindre chez eux un soupçon d'agacement, à voir revenir de façon systématique les deux mêmes pochettes dans le fil des écoutes.
Ceux qui ont cliqué sur cette chronique en connaissance de cause, l'ont d'ailleurs très probablement fait soit avec un sourire en coin, soit en soupirant de lassitude, les yeux levés. Dans les deux cas, je ne peux que les comprendre : des mois que je poursuis un lobby enragé, forcené, pour convertir tout amateur de Black Metal me passant sous la main à l'art si particulier de la formation française. Pénible comme un Témoin de Jehovah, et aussi tenace qu'un représentant d'Action Contre La Faim. Tapi dans l'ombre, attendant qu'une proie innocente passe à ma portée pour lui sauter à la gorge :
"Je vois que tu aimes les disques inspirés... Connais-tu la douce parole de notre prophète Sa Meute ?" Tout en sortant fébrilement de mon grand manteau, sous des yeux mi-ébahis, mi-apeurés, les deux
full-length du projet français.
Si j'étais (et suis encore) fasciné par le fantastique
"50 Contre 1", j'avais tendance à occulter son grand frère, sorti deux ans plus tôt en totale autoproduction, le bien-nommé
"Hyperborée". Pourtant, on y retrouve les prémices de ce qui allait devenir le Sa Meute que nous aimons tant : une entité se complaisant dans le mystère, jouant un Black Metal teinté de Doom sentencieux, basé sur des guitares tournant dans le grand froid, des compositions racées, des rythmiques presque tordues, et bien entendu l'organe si particulier d'Animal - qui, sur ce premier long-format, semble encore se chercher un peu. Plus
raw, moins abouti que son successeur,
"Hyperborée" n'en reste pas moins un disque de très haute volée - surtout pour un premier long format.
Qui n'aurait pas encore cédé à mes assauts répétés, ni à l'attrait quasi-ésotérique de la musique des lycanthropes, ne devra pas s'arrêter à la jaquette de cet
"Hyperborée" : si la version CD se pare d'un croquis de jeune femme du Nord (Kaevum n'est pas loin, surtout en tenant compte du titre de l'opus), la version LP, pressée par Stronghold Diaphora en 2007, se pare d'un magnifique cliché Nat Geo de hibou en plein repas - le verso, quant à lui, laissant la place à
un félin noir absolument ignoble. Pas de paroles dans le gatefold, un simple cliché sous-exposé d'un paysage en pleine nuit... Il faudra donc tendre l'oreille, le chant se faisant plus cryptique que sur
"50 Contre 1". Le premier contact est froid, Sa Meute ne se laissera pas aborder par n'importe qui, la voix comme l'âpreté choisie de la production en ont laissé, et en laisseront encore, beaucoup sur le côté.
Et le groupe ne prend pas de pincettes, jetant directement l'auditeur en plein milieu du blizzard, accompagnant la Meute en pleine chasse, perdu au milieu des tourbillons de vents que sont les guitares de "Werewolf Cry", au rythme lent volontairement cassé par un batteur, qui, définitivement, n'aime pas s'enfermer dans un seul style de jeu : si la prestation du forgeron est aussi carrée que solide, ce dernier saute de mid-tempo en blast-beats, ne se faisant jamais prier pour ponctuer les temps fort de grandes saillies sur le tom basse - qui sera remplacé, sur
"50 contre 1", par l'inénarrable timbale d'orchestre qui donne tout leur sel à des titres comme "Le Bouclier et la Lance" (que l'on retrouve, moins puissant mais toujours aussi rageur, sur ce premier méfait). Qu'à moitié assuré comme rassuré, l'organe grandiloquent d'Animal hésite un peu plus à se lancer dans les grandes harangues qu'on lui connaît : le chant est plus typique, voix de gargouille couplée à des saillies en chant clair presque incantatoire, nous contant des récits de bataille, légendes mythologiques... Et autres parties un peu plus étranges (et chantées en Anglais), du récit de la beuverie en solitaire attendant la mort ("Her Shadow") jusqu'au combat pour la liberté ("Slaves", pour "esclaves" et non pas "peuple du Nord"). Moins commandant que simple hoplite,
"Hyperborée" est plus "classique" que ce à quoi l'on pourrait s'attendre. Mais n'allez pas croire qu'il en devienne ennuyeux pour autant : çà et là sont semés au fil des compositions des tournures biscornues, des plages quasi-ambiantes, une voix qui grogne, hurle, déclame, quand elle n'imite pas elle même les cris d'animaux, perçant le brouillard de guerre. Et les passages plus "attendus" sont, quant à eux, redoutables d'efficacité. A recommander aux néophytes comme aux gourmets, le chef d'orchestre mettant tout le monde d'accord.
On pourrait dire que
"Hyperborée" est moins bon que son frère. Moins travaillé sur le fond comme sur la forme, prenant beaucoup moins de risques, pas assez jusqu'au-boutiste dans les thèmes qu'il choisit d'aborder... Qu'attendez-vous d'un premier essai ? Car, pris indépendamment de
"50 Contre 1", l'album reste un vrai pavé jeté avec force dans la mare stagnante du genre. Sa Meute commence déjà à y développer ce qui le rendra, par la suite, aussi unique qu'essentiel. Les approximations éparses et l'urgence ressentie de ce premier
full-length, bien loin de la production et des compositions en acier trempé de son successeur, lui confèrent un charme diablement attirant. L'occasion pour ceux qui découvriraient le groupe avec cette chronique de se pencher sur l'une des plus belles perles de l'underground français, et celle, pour ceux qui continuent encore aujourd'hui de poncer
"50 Contre 1", de prendre un peu de rab' avec des titres inédits.
Plus de véritables nouvelles de Sa Meute depuis 2011, avec la sortie d'un split devenu introuvable - et pas forcément intéressant puisqu'on y retrouve deux titres que nous connaissons déjà. Ce qui reste un immense regret, le groupe semblant encore avoir tant de choses à nous raconter, est également une grande force : le temps de deux
full-length fantastiques, la horde d'Animal a laissé une trace indélébile dans l'underground français avant de retourner dans l'ombre. Lui conférant, à jamais, le statut et l'aura de "groupe culte", qu'il mérite amplement.
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