En mai 1998 le petit von_yaourt est très jeune, et il ne s'est toujours pas remis de l'arrêt du Club Dorothée fin août 1997. Devant la suppression de sa dose de violence cathartique récurrente, le petit yaourt s'est reporté sur une autre forme d'art qui pourrait faire office d'exutoire à sa volonté farouche de lapider Ségolène Royal avec du chabichou pas frais : le black metal, dans lequel il se plongera avec passion pendant quelques années. Il découvre alors au détour de la presse spécialisée les titres « Hymne au Vampire : Acte II » et « À la mémoire de nos frères », et c'est un coup de cœur immédiat qui le poussera à s'intéresser de plus près à une scène black metal française qui n'en était qu'à ses balbutiements. Car il faut le dire, si la France a toujours eu du retard en matière de metal sur les autres grandes scènes mondiales, côté black metal en 1998 c'est même un grand désert qui fait bien triste figure à côté du foisonnement Scandinave qui envahit nos platines. Certes la plupart des groupes qui allaient se faire connaître au début des années 2000 existaient déjà, et les Légions Noires s'amusaient à faire leur tambouille dans leur coin depuis le milieu des années 90, mais aucun album de black metal français ou presque ne s'était fait remarquer jusqu'alors, à l'exception notable des deux premiers Blut Aus Nord, groupe pionnier à l'influence non négligeable sur le reste de l'Hexagone. Vous pouvez chercher chez-vous (un indice s'affiche en bas de votre écran), car même en incluant le premier album de Lord – groupe dont on ne se souvient plus guère que pour avoir participé à un reportage de Zone Interdite – sorti quelques mois avant
Les Blessures de l'Âme, je ne crois pas que plus d'une dizaine de véritables albums de black metal français soient sortis auparavant, ce premier essai de Seth faisant office de précurseur du black metal français. Et celui qui répond
Exile de Anorexia Nervosa a perdu. Originaire du sud de la France, où il tissera des liens avec Season Of Mist, Heimoth rejoint Bordeaux et forme Seth avec Asvild un peu avant que les Toulonnais ne défrayent la chronique (du Midi) en se mettant à nourrir leurs compagnons canins avec des os de vieux. Le groupe sort donc son premier album après une démo et un EP qui les feront connaître dans le milieu, à une époque où le black metal commence à faire peur à la ménagère ; et le fait surtout sur le jeune mais néanmoins actif label Season Of Mist, dont la promotion sera très efficace.
Si l'actualité du label marseillais était particulièrement chargée avec les albums Bethzaida, Anata et ...And Oceans tous sortis à la même période, il était pourtant difficile de passer à côté de Seth, dont le visuel travaillé a marqué les lecteurs d'alors, comme l'a montré la
photo mystère récemment consacrée à la célèbre moue de Vicomte Arkames, vocaliste des débuts du groupe. Nul doute toutefois que les Bordelais seraient tombés dans l'oubli malgré leur effort esthétique et l'ésotérisme omniprésent dans ses paroles et visuels si la qualité musicale n'avait pas été au rendez-vous. Outre la thématique du vampire – traitée de manière adulte, vous aurez du mal à faire croire à votre petite sœur que c'est un concept album sur Twilight –
Les Blessures de l'Âme marquera par son ambiance prenante, à mi-chemin entre l'émerveillement et la suffocation, portée par un black metal riche, plutôt complexe même au regard des canons de l'époque, qui se rapproche nettement de l'école suédoise, avec en sus quelques teintes de Immortal et Satyricon. D'un tempo majoritairement moyen, le style de Seth demeure plutôt classique, avec quelques touches de clavier, comme c'était la mode à l'époque, pour contrebalancer l’âpreté des guitares au trémolo soutenu et appuyer les harmonisations de rigueur, et créer ainsi une intensité mélodique quasi-permanente. Seth se démarquait pourtant de la concurrence grâce aux fréquentes incursions d'une superbe guitare acoustique qui contrastaient à merveille avec les pointes de vitesse qu'elles appelaient invariablement, où le talent des Bordelais s'exprimait pleinement notamment grâce à la remarquable prestation d'Asvild, batteur reconnu officiant aujourd'hui entre autres pour Ad Patres. On s'émerveillera d'ailleurs devant les subtilités de son jeu sur la fin de « Hymne au Vampire : Acte I » et sa frénésie sur l'accélération de la deuxième minute de « l'Acte II », qui portent littéralement ces deux classiques du black metal français. Les excellents riffs de guitare de Heimoth, la voix si particulière de Vicomte Arkames qui donnait un cachet particulier à l'ambiance de ce premier album, et donc le jeu d'Asvild auront tous participé à faire de
Les Blessures de l'Âme un des albums cultes de l'histoire du black metal français.
Malgré l'aura nostalgique et ce statut culte qui l'honorent, ce premier essai de Seth n'est pourtant pas exempt de défauts, qui sont surtout le manque de variété et l'absence de folie de la deuxième moitié de l'album. Hormis un « ...À la Mémoire de nos Frères » étonnant avec son intro black/thrash et son riff clôturant à merveille l'album, les titres « Le Cercle de la Renaissance », « Les Silences d'Outre-Tombe » et surtout l'instrumental « Dans Les Yeux Du Serpent » pâtissent de la comparaison avec les trois coups de génie qui ouvrent l'album, les deux « Hymne au Vampire », dont le thème est imparable, en particulier. Sans vraiment détonner, ces trois titres un peu faibles versent plus dans le black symphonique, plus posé et jouant nettement moins sur la montée en intensité qui caractérise l'admirable « Acte II ». Si, à mes yeux d'éternel nostalgique, ce titre demeure l'un des meilleurs de l'histoire du black metal tout en entier, je ne peux m'empêcher de penser qu'il aurait été encore meilleur sans ce clavier bien trop propre sur son final. Bien que l'on sente nettement que cet album fût écrit sans trop se soucier des modes et avec une authenticité indéniable, l'influence du black symphonique ne colle pas vraiment à l'ambiance de certains moments, pour qu'au final on se souvienne principalement des passages sans claviers qui sont de loin les plus mémorables, tels le refrain de « La Quintessence du Mal » ou la mélodie principale des deux actes de « Hymne Au Vampire ». Un sentiment parfaitement personnel, venant de la part de quelqu'un qui n'a jamais pu apprécier
Nemesis Divina ou
In The Nightside Eclipse à cause justement dudit instrument, et qui ne fût heureusement pas partagée par de nombreux amateurs de black sympho, qui continuèrent à suivre la carrière de Seth avec un intérêt croissant, alors que de mon côté sans perdre les Bordelais de vue je n'ai jamais retrouvé la magie des premiers instants dans leurs trois albums ultérieurs.
Et puisque Seth reviendra bientôt avec un quatrième album, quoi de mieux que de rééditer
Les Blessures de l'Âme en révisant son principal défaut : la production ? Plutôt ratée d'un point de vue technique, cette production dessert surtout les guitares électriques et la basse, au son extrêmement sec, sans épargner une batterie claquante et manquant d'espacement, en prenant le soin d'envelopper le tout dans une gestion des volumes douteuse qui met la voix et la caisse claire sensiblement trop en avant. Si je ne peux m'empêcher de penser que la production originelle a contribué à l'atmosphère de l'album, force est de constater que le remaster de Stéphane Buriez effectué à l'occasion de sa récente réédition, toujours chez Season Of Mist, a quelque peu remis les choses en place. Offrant une meilleure spatialisation, des basses bien mieux mises en avant – à tel point que l'on distingue désormais très nettement la basse au début de « Le Cercle de la Renaissance » – et proposant un rééquilibrage global de bon aloi, qui rend hommage au travail des musiciens sans toutefois dénaturer l'ambiance qui fait tout l'intérêt de cet album, ce remaster, justifié (c'est assez rare pour être souligné) aura pour une fois mes faveurs sur la version originale. Si l'on peut regretter un nouvel artwork qui n'a pas les charmes du précédent (et que j'utiliserai pour ma chronique, car le rose et les squelettes se marient fort bien), on saluera là encore l’initiative de proposer les deux inédits du split avec Cultus Sanguine, sorti en 2000, tout en ne s'offusquant pas de l'absence des dispensables reprises du groupe partageant le split et de Depeche Mode. C'est l'occasion de découvrir le très bon « Les Sévices de la Peste », alternant la brutalité de son refrain avec une très belle plage atmosphérique, bien plus dans l'esprit de
Les Blessures de l'Âme que « Corpus et Anima » que l'on retrouvera sur leur second album,
L'Excellence qu'à titre personnel j'apprécie nettement moins, car beaucoup trop symphonique et plus influencé par Emperor.
Premier album de black metal français à sortir sur un label important – la France ayant à l'époque plus de labels reconnus que de groupes reconnus –
Les Blessures de l'Âme fût un très bon mètre étalon pour la scène française, qui ne lui emboitera que partiellement le pas, Seth demeurant un des rares groupes à proposer un black mélodique de qualité, la grande majorité de la scène qui allait exploser deux à trois ans plus tard étant plus emprunte de classicisme, et s'affranchissant des codes du black symphonique. Malgré de jeunes musiciens et quelques fautes de goût, ce premier album transpire la passion et l'authenticité et marquera à toute une génération par la qualité de son riffing, sa hargne et son ambiance. Seth correspondait à son époque avec un black mélodique, rempli d'arpèges, de claviers et de blasts, mais son tournant vers un black metal plus avant-gardiste, parfois teinté d'électro, se fera à contre courant de la mouvance générale de la scène, qui privilégiera le retour à une musique plus primaire. Si les trois albums suivants n'ont jamais eu l'impact de
Les Blessures de l'Âme et ont quelque peu précipité Seth dans l'oubli auprès des jeunes générations, sa côté d'amour parmi la frange plus âgée du public demeure forte, grâce surtout à l'authenticité et la grande qualité de ce premier album. Une réédition pour une fois justifiée et améliorant le son de l'original aura le mérite de faire découvrir ce bijou à ceux qui seraient passés à côté à l'époque (on se demande bien comment), mais surtout à ceux pour lesquels ces temps révolus sont demeurés inconnus, et où le black metal foisonnait d'originalité et d'idées. Une époque révolue, disais-je...
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