Gorguts - Colored Sands

Je sais, je ne devrais pas mettre les warnings à chaque fois que je m’essaye à chroniquer du death metal mais tout de même, appréciez l’ironie : l’album du genre le plus plébiscité cette année est chroniqué sur son webzine français attitré par un de ses pratiquants les moins fervents ! Hasard, coup du sort, collègues aux goûts douteux (coucou) ? Sans doute un peu de tout cela, ainsi que le fait que Gorguts n’a pas rendu les choses faciles avec un Colored Sands cassant de nombreux barrages entre sa catégorie-reine et d’autres scènes, au point de donner au départ une impression d’ovni inclassable.

Et au risque d’étonner en posant mes couilles sur la table d’un public dont je ne possède décidément pas le calibre, ma maigre connaissance et moi-même déclarons que pourtant les rappels possibles à Deathspell Omega ou au hardcore chaotique ne sont ici que secondaires car, avant tout, Colored Sands EST le death metal. Pas un simple résumé, pas un simple dépassement, mais ce que le genre devrait être constamment, c’est-à-dire une œuvre capable de secouer la semoule, faire se recroqueviller en pleine descente, donner la force de Titans bouffant les galaxies et l’apaisement mystique de religieux d’un culte obscur. Il paraît que cet album est celui du retour du Roi et, même si celui-ci signa ma véritable découverte du groupe, le statut lui est accordé pleinement tant se dessinent ici des liens entre le psychédélisme de Morbid Angel et les tourments d’Ulcerate, la limpidité d’un Mithras à son plus spatial et l’abyssal d’un Nile à son plus mythologique, la beauté technique d’un Baring Teeth et le mystère d’un Chaos Echoes… mais aussi la preuve définitive que le death metal peut être le contenant parfait aux volontés d’atmosphère en vogue aujourd’hui, alors que le préfixe « post » se décline à toutes les sauces.

Cependant, une fois le name-dropping mis de côté, Colored Sands s’impose par une véritable identité, unique, faisant qu’il n’est pas que « synthétique », « maîtrisé », « astucieux » ou « fluide » – ce qu’il me démange de rajouter « pop » aux autre adjectifs, tellement tout ceci s’inscrit aisément dans le crâne ! – et celle-ci se situe dans ce bête constat : Gorguts n’est pas une bande de jeunes s’essayant au vieux comme on commence à être habitué dans le versant old-school du death metal actuel, mais un groupe de vieux mettant les pendules à l’heure aux jeunes. Capable d’être hallucinant de barbarie dès l’entame de « Le Toit du Monde » et posément entêtant lors de ses différentes accalmies, baroque et délicieusement grotesque lors de l’orchestral « The Battle of Chamdo » tout en découpant finement le manteau de chair sur la conclusion tragique d’« Absconders », cela toujours avec la cohérence du vieux briscard au-delà des questions d’épatement, de « next-gen » et autres thèses du death bac + 5. Ici, ça sent la course de fond et le vécu jusqu’à une production étouffée rappelant les nineties (bien que l’on puisse regretter un son de batterie ne faisant pas honneur au jeu de John Longstreth, un peu oublié dans le rendu final).

On le voit, il est difficile d’avoir un discours clair sur cette œuvre excessive et pourtant ne donnant jamais la sensation de trop. Après tout, le death metal n’est-il pas le style extravagant par excellence, avec ses rappels aux monstres indescriptibles de Lovecraft, ses batailles dans l’outre-espace ou ses rêves de boucheries multicolores maintes fois répétées ? Vous voulez lire un texte explicite sur ce qui prend, tabasse, s’échappe puis recommence ? Demandez aux scribouillards des livres Warhammer ou Dan Simmons, pas à moi. Je préfère retourner écouter Colored Sands pour la trentième fois, toujours avec le même plaisir même si sur la longueur, sa qualité d’œuvre dominatrice fait regretter un petit manque de dérapages incontrôlés. Oui, voyez à quoi j’en suis réduit niveau critique, devant une création autant placée sous le signe de la grâce…

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