Si je devais choisir mon œuvre préférée parmi tous les travaux qu’a réalisé Dan Seagrave dans les années 90, l’artwork du premier album des Canadiens de Gorguts figurerait très certainement dans le peloton de tête en compagnie de ses quelques réalisations pour Entombed, Morbid Angel, Benediction, Pestilence et Suffocation. Pourtant, on ne peut pas dire que ce soit là le travail le plus représentatif de l’Anglais mais je ne sais pas, il y a quelque chose qui me plaît beaucoup dans cet artwork à commencer par ce choix de couleurs. Entre ce violet rosacé et ce vert criard utilisé afin de souligner le titre de l’album ainsi que le logo de Gorguts, il y a là quelque chose de finalement assez audacieux pour le style et l’époque.
Tout ça pour dire qu’il était grand temps que nous nous penchions ici à Thrashocore sur la discographie des Québécois finalement assez peu représentée en ces pages puisqu’à l’heure où j’écris ces lignes, seule trône une chronique de
Colored Sands par mon cher collègue Ikea. Aussi ai-je décidé dans ma grande bonté d’âme de rendre justice à nos chers amis canadiens en m’attardant sur leurs deux premiers albums (le reste sera à la charge de Neurocatharsis - un jour).
Formé en 1989 à Richmond, petite ville située à l’est de Montréal, Gorguts va suivre le même chemin que beaucoup d’autres groupes de la même époque. Après deux démos et notamment
...And Then Comes Lividity parue en 1990, les Québécois sont alors approchés par R/C Records (également connu sous le nom de Roadracer Records, sous-division du label Roadrunner sur laquelle sont sortis quelques albums mythiques de Death, Type O Negative, Immolation, Mercyful Fate ou encore Obituary). Fort de cette signature, Gorguts sortira l’année suivante un premier album intitulé
Considered Dead.
Illustré comme on l’a vu par Dan Seagrave, ce disque sera enregistré aux Morrisound studios en compagnie de l’inévitable Scott Burns. Il rejoint ainsi la longue liste d’albums produits par le célèbre gourou de Tampa qui, à la manière d’un Tomas Skogsberg en Europe (mais avec tout de même moins de réussite si vous voulez mon avis), aura su donner un son et une identité (beaucoup de compression et une approche souvent très mécanique) aux productions Death Metal de la fin des années 80/débuts des années 90 aux Etats-Unis mais aussi en Europe (Cancer, Loudblast, Pestilence...). Ainsi en dépit d’une concurrence féroce Gorguts, grâce à cette signature sur R/C Records, va très vite s’imposer comme un groupe majeur dans le paysage musical de l’époque.
Il faut dire que ce
Considered Dead constitue une entrée en matière plutôt convaincante qui, sans atteindre le niveau d’originalité de certains de ses contemporains (Atheist, Death et Nocturnus en tête), prouve déjà que Gorguts n’est pas tout à fait un groupe comme les autres. Car malgré des défauts de jeunesse, on sent déjà poindre l’envie de s’émanciper des cadres du Death Metal tel qu’il se définissait à l’époque (structure des compositions, choix rythmiques, place de certains instruments comme la basse...). Sorti le même jour que l’excellent
Effigy Of The Forgotten de Suffocation, ce premier album des Canadiens partage finalement bien plus de points communs avec la musique des New-Yorkais qu’avec celle des Floridiens évoqués un peu plus haut. Bien sûr
Considered Dead ne possède ni le groove ni le niveau de brutalité déployé par Frank Mullen et ses acolytes mais dans l’esprit on y trouve tout de même beaucoup de similitudes, notamment dans la manière dont est construite chaque composition. Structures relativement complexes, riffs rythmiquement très marqués et pas toujours faciles d’accès, passages mid-tempo étouffants et parfois même un peu lourdingues, accélérations redoutables, growl des cavernes (avec d’ailleurs en featuring sur "Rottenatomy", "Bodily Corrupted" et "Hematological Allergy" un certains Chris Barnes)... Bref, un Death Metal plutôt typique des années 90 à la fois sombre, technique et relativement brutal (notamment pour l’époque) qui a en plus le bon goût de ne jamais délaisser l’aspect mélodique. En effet, au-delà de cette courte introduction acoustique mystérieuse et tellement marquée par le début de cette fameuse décennie, Luc Lemay et Sylvain Marcoux proposent un réel travail d’atmosphère grâce à des leads et des soli toujours impeccables. A noter que Gorguts a même fait appel à James Murphy pour un petit solo (sympathique mais non plus mémorable) sur "Inoculated Life", dernier titre de l’album.
Pourtant, et en dépit de ces qualités évidentes,
Considered Dead manque tout de même encore un peu de maturité et de personnalité pour véritablement se démarquer face à la multitude d’albums (incroyables et intemporels) sortis au tout début des années 90. Bien entendu, si j’avais écrit ces quelques lignes en 1991, cette idée n’aurait probablement même pas germé dans ma tête mais voilà, nous sommes en 2016 et rétrospectivement si l’on jette un regard attentif à tous ces albums qui ont contribué à l’histoire du Death Metal,
Considered Dead n’est probablement pas le plus marquant qui me vient à l’esprit ni même celui sur lequel je vais avoir envie de me (re)plonger encore et encore.
Naturellement, si la production de Scott Burns n’aide pas particulièrement à la bonne compréhension de l’album, empêchant aux compositions des Canadiens de respirer comme elles le devraient et limitant ainsi très clairement leur impact, c’est surtout le riffing atypique et pourtant encore trop en retenue de Luc Lemay et Sylvain Marcoux qui fait de ce premier album un disque, certes solide, mais pas encore tout à fait abouti surtout en comparaison de son successeur qu’est l’excellent
The Erosion Of Sanity. Encore une fois, je m’exprime ici avec le regard de celui qui évoque une partie d’un sujet tout en connaissant la suite des évènements mais cela n’en est pas moins vrai pour autant. De fait,
Considered Dead souffre selon moi d’un manque de moments marquants et se retrouve parfois plombé par des passages encore trop anecdotiques et/ou confus. Cette production trop étouffante ainsi que ces riffs parfois trop verts créés une espèce de fausse dynamique plus ou moins pénalisante en termes de brutalité là où
The Erosion Of Sanity se montre dans l’ensemble beaucoup plus coriace et véloce. Enfin, bien qu’on l’entende déjà très distinctement, la basse d’Éric Giguere n’a pas encore tout à fait la place qu’elle mérite. Comme chez Atheist, celle-ci apporte avec ses rondeurs et son groove métallique une couleur bien particulière au Death Metal de Gorguts. Malheureusement, elle se trouve ici légèrement en retrait même si pour être tout à fait honnête, elle reste tout de même bien mieux représentée que chez 95% des autres groupes.
Comme beaucoup de premiers albums,
Considered Dead n’est pas exempt de défauts. Nous les avons évoqués et s’ils sont à prendre en considération (bien que cela soit tout à fait subjectif) ils ne sont certainement pas ce qu’il faut retenir de ce premier essai longue durée. Non,
Considered Dead est surtout le premier album d’un groupe talentueux qui en 1991 n’avait pas encore pris pleinement possession de toutes ses capacités. Ainsi, en dépit d’un certain manque de personnalité et de quelques défauts de jeunesse, il reste un album majeur du genre qui a ouvert la voie au Death Metal technique tel qu’on le connait aujourd’hui. Réédité une première fois en 2006 par le label polonais Metal Mind Productions,
Considered Dead a souffert jusqu’au mois de juin d’une forte inflation liée à sa relative rareté. Heureusement pour tous ceux qui ne sont pas attachés aux éditions "first press", le label Listenable a procédé à une série de rééditions bienvenues. Un conseil, ne les loupez pas.
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