Raffiné. Si je devais résumer en un mot le label Debemur Morti, ce serait bien par celui-là. En effet, quelque soit l’artiste présenté sous sa bannière, c’est toujours ce côté extrêmement travaillé, esthétique, à la fois à-part et cohérent avec le reste du catalogue du label, qui me marque immédiatement – Archgoat étant l’exception qui confirme la règle. Blut Aus Nord, Aevangelist, Terra Tenebrosa, Au Champs Des Morts, Infestus, Throane... Malgré les avis contrastés que l’on peut avoir sur ces formations, on ne peut que trouver entre elles un dénominateur commun dans cette intention de plonger dans une certaine idée de l’obscur, à milles lieux des clichés – Archgoat étant l’exception qui confirme la règle (bis) –, travaillant comme Pierre Soulages le noir en tant que matière pour mieux révéler sa spécificité et, en même temps, sa richesse.
Raffiné. C’est, en toute logique, le premier mot qui m’est venu en tête à l’écoute de ce nouveau disque d’Ulcerate,
Stare into Death and Be Still, première réalisation au sein du label Debemur Morti. Il est clair que les Néo-Zélandais n’auraient pas pu trouver meilleur endroit où faire paraître leur sixième album : clairement marquée par la scène française, comme le montre ses interviews ainsi que les rappels à Deathspell Omega décelables dans ses créations, la bande menée par Paul Kelland trouve ici la maison parfaite où installer confortablement son post-death metal couronné à plusieurs reprises, que ce soit avec l’indomptable
The Destroyers of All ou la victoire totale
Shrines of Paralysis, deux mètre-étalons ayant aujourd’hui valeurs d’influences majeures d’une scène souhaitant emmener le metal extrême vers plus d’atmosphère et d’audace à la fois.
D’audace, pourtant,
Stare into Death and Be Still semble au départ en manquer. Ulcerate assume pleinement le virage mélodique que ce nouveau longue-durée emprunte. Moins tarabiscoté, mais sortant toujours les biscottos à la moindre occasion jusqu’à considérer le cerveau comme un muscle à faire travailler (le nombre de tours d’échauffement reste conséquent avant de prétendre pouvoir entrapercevoir les qualités de la bête), il nous offre le style particulier des Néo-zélandais sous son versant le plus accessible, voire accrocheur. Un mot que je ne pensais jamais employer pour la formation et pourtant, comment qualifier autrement ses charges toutes leads dehors guidant le morceau-titre, « The Lifeless Advance » ou encore « Exhale the Ash » ? Impossible à mettre en défaut sur le plan formel, qu’il décide de prendre à bras-le-corps, le groupe paraît alors gagner en maîtrise ce qu’il perd en atmosphère, faisant craindre les premières fois de décevoir comme lors du rutilant mais trop superficiel
Vermis.
La note empêche tout suspens : ces questionnements préalables, ces doutes, classiques dans mon approche d’une formation que je vois toujours prendre le risque de rater ses mélanges ambitieux, ont trouvé au fur et à mesure des écoutes de quoi les rassurer puis les éteindre.
Stare into Death and Be Still est fataliste dans son raffinement, un long geste ample et magnifique qui ne mène à rien, à part l’inéluctable. Là réside le supplément d’âme que donne le trio à son déballage épatant. Tout entier dédié à son discours, qu’il cherche simplement à habiller des plus beaux mots, Ulcerate paraît avoir fait vœux de contrition – jusqu’à un batteur moins directement impressionnant qu’autrefois, se situant en arrière-cour pour mieux soutenir l’ensemble – pour transmettre son ambiance de défi envers la mort. « Regarde en elle et sois calme », voilà le mantra que répètent ces notes épiques et virulentes, leur aura dorée se trouvant prisonnière d’un gris mortifère, ton sur ton, terne sur terne, par une production alternant le spectral (ces quelques instants clairs et osseux comme chez The Cure, cf. « There is No Horizon », « Visceral Ends » ou encore « Dissolved Orders ») et le massif avec, encore et toujours, la volonté affichée de « dire ».
Cette maîtrise technique dont fait preuve cinquante-huit minutes durant Ulcerate ne transmet au final pourtant pas la même sensation que l’on peut avoir devant la contemplation du travail d’un artisan orfèvre, patient et maniaque. Elle transmet l’émotion qui naît d’un tracé, certes agile, mais continu d’un monde à vifs se dessinant dans notre esprit. Un monde dont la voix de Paul Kelland et les élans du guitariste Michael Hoggard se font l’écho, au travers d’une histoire âpre (le démarrage sauvage de « Drawn Into the Next Void ») mêlant recueillement et avancée luttant contre le destin. Une histoire tenant indéniablement de la tragédie, les différents mouvements qui constituent
Stare into Death and Be Still semblant à chaque fois statiques, contenant dans leurs chamboulements la sentence les mettant à l’arrêt, tel un homme proche de la mort et décidant de mener dignement le combat contre cette dernière, même s’il est perdu d’avance.
Car Ulcerate s’est humanisé sur
Stare into Death and Be Still. Auparavant animal mythologique et suicidaire (
The Destroyers of All) ou encore monstre halluciné par l’envie de faire couler le sang (
Shrines of Paralysis), il acquiert par ses mélodies et les émotions qu’elles procurent, une certaine proximité le rendant plus empathique, émouvant et... forcément moins unique. Certes, l’écoute reste exigeante, éprouvante même, les Néo-zélandais assurant leur position sur le trône d’un post death metal que les copieurs ne sont pas prêts de pouvoir revendiquer. De même, la durée de l’ensemble, en soi déjà dense, oblige toujours à certaines dispositions pour pouvoir l’apprécier à sa juste valeur. Mais, pour la première fois avec eux, on est surpris de trouver dans certains titres un déroulé plus prévisible et classique qu’autrefois à force d’allers et retours (« Inversion », ce que la bande a fait de plus proche d’un tube ?).
Rien de dérangeant pour autant,
Stare into Death and Be Still montrant que Ulcerate, loin de se reposer sur ses lauriers, ose une nouvelle variation de son style, en perpétuel changement. Si cette œuvre est, dans mon top personnel, a priori moins exceptionnelle que
The Destroyers of All et
Shrines of Paralysis, les préjugés négatifs que j’ai pu avoir à son encontre ont été rapidement balayés, au point de trouver en elle une forme d’aboutissement de ce que le groupe expérimente depuis
Everything is Fire. Ulcerate, ici plus sûr de lui que jamais, solennel et maître de soi, risque-t-il de devenir plus tard convenu dans son death metal non-conventionnel ? Le temps, comme pour toute chose, apportera ses réponses. En tous cas, ce n’est pas
Stare into Death and Be Still qui risque d’éteindre l’admiration que je voue à la formation.
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