J'ai de nombreuses fois recommencé cette chronique. Elle est le fruit de nombreux brouillons, tous marqués par une fébrilité bien particulière : celle du fan absolu qui attendait cet instant depuis des années, osant à peine en rêver. Je voulais une chronique qui rende justice à la fois au génie musical d'un groupe unique en son genre, mais qui laisse également la part belle aux émotions que cette nouvelle galette véhicule. Comment traduire un ressenti aussi subjectif que celui que procure la musique de Darkspace ? Fallait-il laisser la passion s'exprimer en encensant intégralement ce quatrième chapitre, ou mettre de l'eau dans son vin en plaçant cette chronique sous la sacro-sainte objectivité ? Reprendre les choses depuis le début me semble être, dans les deux cas, une bonne entrée en matière.
En 2008, je découvrais le groupe avec la sortie de
"Dark Space III" (Black Metal Cosmique) de Darkspace">
"Dark Space III", dont le medley était présent sur le sampler du Metallian estival de l'époque (avant que le magazine ne perde toute ses qualités, mais c'est un autre débat). Séduit par l'imagerie et l'univers du groupe, j'avais proprement été emporté par la musique du trio Suisse, complètement unique. Le "mystère" entourant ce dernier n'avait fait que renforcer ma curiosité : peu de concerts, peu d'interviews, peu d'informations. Mystère également musical, jamais je n'avais entendu quelque chose de similaire : Accouplement de riffs glaciaux et monolithiques sur une boîte à rythmes noyée dans des claviers éthérés et des éclats de voix incompréhensibles, envolées puissantes et chevauchées d'étoiles filantes dans un espace froid et inhospitalier... La personnification même d'un voyage dans un trou noir, un disque qui fait perdre pied à l'auditeur, un Big Bang auditif. Oui, lorsque je parle de Darkspace, je perds un peu mes moyens : groupie, fanboy ? Complètement, et assumé, de surcroît. Car Darkspace peut se targuer de n'avoir sorti que des albums exceptionnels, sans varier sa recette mais en la transcendant. Et ce, sans jamais la trahir.
Il peut s'en passer des choses, en six ans. Ce laps de temps est d'ailleurs particulièrement long lorsqu'on attend un digne successeur à un album qui sonnait comme l'incarnation même de la perfection. Comment prendre la relève quand la barre a été placée si haute ? Répondre aux attentes des fans est probablement l'une des raisons du temps de gestation de "Dark Space III I". En attendant, nous avons eu droit à quelques maigres consolations, des amuses-gueules musicaux, comme la sortie de l'album de Svn of the Blind, projet personnel de Zhaaral, ou encore les réalisations glaciales de Wroth/Wintherr sous Paysage d'Hiver, tout deux finalement assez proches de la musique du combo. Qui, rétrospectivement, annonçaient déjà le "virage" stylistique qu'emprunterait Darkspace cette année.
"Dark Space III I" sonne plus organique que ses prédécesseurs. La première démo et le premier opus possédaient un côté "brouillon" qui donnaient une teinte glaciale aux morceaux, le deuxième album poussait le chaos sonore à son paroxysme, quand le troisième sonnait comme l'osmose parfaite de toutes les réalisations de Darkspace. Le quatrième jouit d'un son clair, limpide, puisque la boîte à rythme a été mise bien plus en avant dans le mixage, et que les guitares sont moins "abrasives" que par le passé. Les parties au riffing "classique" (l'ouverture de "4.19") sont clairement découpées, mais les passages "explosifs" où tous les instruments s'assemblent, enrobés par des claviers plus prenants que jamais, sont toujours aussi puissants. "Dark Space III I" reprend encore une fois le meilleur de Darkspace pour en faire une synthèse : c'est avec plaisir que l'amateur retrouvera, notamment, les beats quasi-électroniques de "Dark Space - I" en ouverture de ce nouveau voyage.
Les titres, plus longs que jamais, prennent le temps de se développer aux oreilles de l'auditeur. Darkspace ne cherche pas à tout expédier à la va-vite, au contraire, il n'hésite pas, encore une fois, à étirer des riffs sur plusieurs minutes pour mieux happer l'auditeur dans son univers. La répétition des instrumentations n'est à aucun moment abrutissante puisqu'elle permet à l'auditeur de "prendre ses marques", s'accrocher à son siège lors du décollage et des turbulences inévitables du voyage. D'ailleurs, "Dark Space III I" se fait presque plus "accessible" au commun des mortels à la fois par le biais de sa production, mais aussi par l'incorporation de samples assez nouveaux, en témoignent les respirations lentes et étouffées diffuses tout au long des trois titres, ces bruitages tout droit issus d'un vaisseau spatial, ces voix claires mais trop éloignées pour que l'auditeur comprenne leur sens. La navigation se fait tantôt sur la Mer de la Tranquillité, bercés que nous sommes par les samples ambiants, tantôt parmi les astéroïdes des anneaux de Saturne : les explosions chaotiques, ces "vortex" sonores sont toujours présents et leur effet est toujours le même, prenant, puissant, soufflant l'auditeur à grands renforts de blasts et de hurlements déchirants. "4.20" est, en ce sens, l'apothéose à la fois d'un album et d'une discographie, alternance de turbulences incroyablement maîtrisées et de parties contemplatives proprement sublimes, masse sonore à peine percée par quelques arpèges cosmiques, éclats de voix et chants atmosphériques, pour finir sur un éclat qui meurt lentement dans le paysage sonore. La navette atterrit, et nous n'avons qu'une seule envie : décoller à nouveau, retourner tutoyer les étoiles, subir les trous noirs, cotoyer les nébuleuses.
Difficile de parler de Darkspace de façon objective. Ce groupe
est, par essence, subjectif. Soit l'auditeur parviendra à rentrer dans l'univers de trio, et vivra probablement parmi les plus beaux voyages musicaux de son existence. Soit il n'aura pas assez de patience, de témérité pour percer le minimalisme des compositions, les plages mélodiques et le riffing très étiré et s'ennuiera rapidement. Mais dans les deux cas, le groupe aura le mérite de ne laisser personne indifférent. Pour moi, l'album est exceptionnel, puisqu'il s'écoute en toute circonstances : en se concentrant dessus, en simple musique de fond, en voiture, en pleine nature, de jour, de nuit... Le son épouse n'importe quel instant, s'adapte et se fait entendre sous un jour nouveau, permettant d'attraper au vol de nouveaux détails, de nouveaux éclats que l'on n'avait pas remarqué jusqu'alors.
Six ans, une attente interminable. Darkspace ne pouvait pas décevoir, c'était impossible, inimaginable. Nous attendions du trio qu'il égale
"Dark Space III" (Black Metal Cosmique) de Darkspace
">">"Dark Space III", mais certainement pas qu'il le dépasse. Un pari fou remporté haut la main par les cosmonautes, puisque même après les (très) nombreuses écoutes qu'il aura subi, il parvient encore à me surprendre. Chaque mois, chaque jour valait l'attente tant "Dark Space III I" pulvérise toute concurrence, à des années lumières des groupes de Black Metal classique, se hissant sans aucun mal comme l'album de l'année. Répondant aux attentes les plus folles des fans les plus ardents, les helvètes de Darkspace prouvent, à travers ce quatrième jet, qu'ils restent les maîtres incontestés du genre qu'ils ont créé.
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