On vit une époque formidable. Tant pis pour les nostalgiques d'un passé fantasmé mais il est clair que je suis heureux de vivre dans ce temps-ci, celui du tout disponible, où l'on peut faire de quelques clics de sa souris et d'un après-midi en solitaire une culture dans les domaines qui nous intéressent. La musique suit d'ailleurs cet état de fait, lâchant de plus en plus les barrières de nos catégories étriquées de chroniqueur et il n'est pas rare, entre deux disques appliqués à rester dans des carcans old school (une manière de dire en négatif que le temps est au mélange, finalement), de trouver un nouveau groupe éclatant les murs pour se sentir chez soi quelque soit l'endroit.
Et, vous l'avez peut-être déjà lu dans les pixels que fait couler Liturgy a chacune de ses apparitions,
The Ark Work a pris mieux le pli que d'autres dans cet éclatement des styles. La formation menée par Hunter Hunt-Hendrix est allée loin cette fois-ci, continuant d'absorber ce qui passe sous sa main pour le mêler à sa vision « originale » (que je ne comprends toujours pas, comme la plupart des gens j'imagine). Ainsi, il n'est plus seulement question de placer Krallice, le screamo de Tristan Tzara ou le noise-rock de Lightning Bolt quelque part dans ses écrits à son sujet mais aussi la musique électronique et glitchée de Disasterpeace, le sens de la boucle de The Skull Defekts (camarade de label dont les élans tribaux se retrouvent ici), voire quelques grandes figures mégalomanes, Kanye West en tête. Les New-yorkais ont pris tout le monde par surprise, là où je les voyais se séparer suite aux départs consécutifs de deux de leurs membres – Triple H et Bernard Gann ayant continué un temps l'aventure en duo avant de voir leur rang s'étoffer à nouveau. Un premier morceau laissé sur la toile (« Quetzacoatl ») avait d'ailleurs annoncé la surprise qu'allait créer ce deuxième longue-durée pour le label Thrill Jockey. Un étonnement qui dure... un moment.
Car si les premières écoutes de front de ce nouvel album sont marquées par une incompréhension à l'écoute de ce chant clair frôlant souvent le flow du rap (et franchissant clairement la barricade sur « Vitriol » et son mix de beats, basses et textes déclamés), le tout finit par s'appréhender avec une logique, une cohérence montrant que Liturgy ne s'est pas laissé aller à ses nouvelles lubies sans réfléchir. Une évolution naturelle en somme, particulièrement au regard de ces expérimentations électroniques qu'a entraîné la courte aventure du groupe sans base rythmique, obligeant à accomplir la frénésie de Greg Fox par des sons synthétiques et que l'on retrouve ici soit comme accompagnateurs de la batterie, soit comme mélodies à la fois martiales et mathématiques (« Fanfare », « Kel Valhaal »).
Mais trêve d'analyse pénible : sur
The Ark Work, Liturgy a changé de forme, certes, mais est au plus près de ce qui l'anime. Ce qui s'aborde au départ comme un collage divertissant d'influences diverses devient rapidement un seul ensemble, celui d'une entité que l'on pourra accuser de beaucoup de choses... sauf de tricher dans ce qu'elle cherche à transmettre, cette lumière coupante, ce sentiment épique emportant tout sur son passage avec le bonheur des anges. Fervent – mais apôtre d'une religion nouvelle issue de l'ère digitale – Liturgy renoue avec cette impression d'élévation n'en finissant plus de monter déjà vécue sur
Renihilation et
Aesthethica. Elle s'est simplement affinée et affirmée, usant de tous les moyens nécessaires pour se rendre encore plus fluide, organique et totale qu'auparavant, à l'image de ces quatre premiers morceaux qui, malgré de nombreux détours à la fois aux niveaux de leurs architectures que des genres, s'écoulent dans un seul et même mouvement avançant le torse bombé. Une splendeur qui fait voir avec une acuité nouvelle cette cité divine entraperçue sur
Aesthethica, dont les fuites incessantes laissent ravi et rêveur bien qu'elles n'aient pas tout à fait perdu cette tension laissant lessivé en bout de courses (les guitares, moins stridentes mais toujours aussi tourbillonnantes) : il faut s'armer d'un peu de courage pour affronter les onze minutes de « Reign Array » et leur onirisme visant au plus près le système nerveux, de même que « Total War » où les lignes ballottent et s'ébrouent d'exaltation avant d'aller rejoindre un lit de silence où l'on veut aussi se plonger, après aussi intense exercice. La troupe d'Hunter Hunt-Hendrix est bien toujours cette candide erreur entre pureté et violence, naïve et surdouée, que j'ai appris à apprécier.
En effet,
The Ark Work est à sa manière un disque d'une radicalité rare, plus black metal que le black metal lui-même, risquant de fait de laisser bon nombre sur le côté pour diverses raisons. Si cette musique pleine d'embranchements étonne par sa capacité à filer droite, elle n'évite pas par moment de se perdre en sa fin, lors d'un « Vitriol » où Liturgy paraît effectuer le pas de trop. Cela ne gêne que peu l'écoute de cet album dont l'immédiateté s'impose au fur et à mesure comme sa force majeure, à l'heure où l'on voit chacun présenter sa macédoine-maison comme une « expérience exigeante ».
Peu me chaut que cet essai soit ou non déterré plus tard par des archéologues du futur comme un vestige ayant préparé les arts nouveaux :
The Ark Work est, pris seul, un exemple de plaisir musical à l'état brut, où les New-yorkais atteignent une fois de plus cette beauté explosive que j'ai connu avec
Renihilation. Une œuvre amenée à faire date et dont on n'a pas fini de parler. Concernant ceux qui crieront une nouvelle fois à la supercherie, qu'ils ne s'inquiètent pas : Liturgy leur garde une résidence privée également faite de nacre, de blancheur immaculée secouée de temps à autre par des vagues purificatrices. Les chiottes, exactement.
Par gulo gulo
Par AxGxB
Par Jean-Clint
Par Raziel
Par Sosthène
Par Keyser
Par Keyser
Par Lestat
Par Lestat
Par Sosthène
Par Sosthène
Par MoM
Par Jean-Clint
Par Sosthène
Par AxGxB
Par Deathrash
Par Sikoo