Si Internet est incontestablement devenu le meilleur outil en matière de partage et dénichage d'informations mais aussi découvertes de groupes ˗ que ce soit grâce aux différents webzines, réseaux sociaux, blogs, sites de distros et labels, etc. ˗ les autres médias n'en restent pas moins porteurs. Car tous et toutes ne sont pas forcément enthousiastes face à cette nouveauté, cette facilité d'échange ainsi que la consommation de masse qui en découle, tout étant mis à disposition sans grand travail de recherche à effectuer de la part des fans. Un fait se vérifiant surtout auprès de la scène UG (Black Metal plus particulièrement) où beaucoup essaient de garder au mieux cet esprit, en ne donnant que très peu, voire pas, de renseignements, favorisant les petites structures, les éditions limitées ou encore les formats cassette et vinyle. D'où la dimension particulière que revêtent les fanzines DIY. C'est d'ailleurs par ce biais, et notamment une compilation de France D'Oïl Productions incluse avec un chapitre de L'Antre Des Damnés, que j'ai connu Tümëur. Les deux titres de la formation présents sur le CD, à savoir « Je hais le peuple pour notre éternelle bêtise » (
Gangrène) et « Mon Désert » (
De l'hypnotisme morbide à la sublimation, à paraître), m'ont véritablement accrochée dès la première écoute tant par leur rugosité que leur misanthropie exacerbée.
Accrochée mais aussi touchée par une musique d'un désespoir blafard dont les mélodies puent le spleen à plein nez. Et ce sont toutes ces petites choses qui, mises bout à bout, vont pousser à en entendre et connaître plus. Tümëur est donc un one-man band français formé en 2011 par un homme répondant au doux pseudo d’Éclat Cadavéreux, officiant également au sein d'Humus aux côtés de Dunkel (Drakonhail, Sale Freux, Trou Noir). Des affinités et une confiance des plus fortes qui se cristalliseront, une nouvelle fois, par la production ainsi que la distribution des œuvres du projet, via Les Créations Clandestines et France D'Oïl Productions, gérés par Dunkel. Uniquement disponibles en cassette et en nombre très restreint, sortiront dans l'ordre ˗ sous la bannière de LCC ˗ la demo
Calvaire en 2012, suivie des deux longues-durées :
Sédition (2013) puis
Gangrène (2015). « Je hais le peuple pour notre éternelle bêtise », issu du dernier cité, est le premier morceau à avoir tourné, l'exhumation va logiquement débuter par celui-ci. Une expérience douloureuse où chaque minute entame un peu plus votre moral, passant d'un état d'ataraxie à un trouble profond.
La chronique d'une mort annoncée s'ouvrant sur « Ma Dernière Balle » et son introduction tant cristalline que mélancolique ˗ extrait du requiem de Faure, Offertoire ˗ suivie par brouillard opaque et bourdonnant. Une musique terne qui vous est crachée en pleine face, portée par des guitares grésillantes, une batterie très synthétique et étouffante ainsi que les vocaux extrêmement arrachés, voire maladifs, se transformant en longues plaintes (« Je hais le peuple pour notre éternelle bêtise »). Éclat Cadavéreux semble avoir renfermé dans un écrin de nacre toute sa haine, sa rancœur, son dégoût envers l'humanité matérialisés en une crasse visqueuse. Car au cœur de cette bruine se détache clairement des riffs très mélodieux dégageant un sentiment de fragilité et de nostalgie, fortement influencés par la scène ukrainienne. Les touches classiques ainsi que les passages au piano ˗ sur l'intro de « Je hais le peuple pour notre éternelle bêtise » ˗ accentuent ce côté sur le fil du rasoir et donnent des airs aristocrates à l'ensemble. Flirtant avec le dépressif,
Gangrène ne force pourtant pas le trait malgré ses flots noirs arrivant sans cesse, un peu comme dans le fabuleux film Le Feu Follet, dont Tümëur en aurait fait une retranscription musicale mais dans une version rurale et moins egocentrée.
Des petites caractéristiques auxquelles vous pouvez ajouter le parti pris du chant en français, la voix particulière d’Éclat Cadavéreux ainsi qu'une production des plus raw ˗ que n'aurait pas renié les Légions Noires ˗ permettant à Tümëur de se démarquer et ne pas être une énième copie du Drudkh des premières années. De plus, les temps morts sont inexistants sur
Gangrène, exempté de passages low tempo, ambient ou atmosphériques s'étirant à l'infini. Pourtant les titres sont relativement longs ˗ plus de huit minutes pour « Ma dernière balle » et « Je hais le peuple pour notre éternelle bêtise » ˗ mais le groupe ne desserre jamais l'étau. Malgré le malaise ressenti à cette agression sonore et des propos très négatifs, les lignes de guitare épiques couplées avec de petits arrangements bien sentis vous ensorcellent au gré des minutes. Toutefois, l'intensité va malheureusement aller decrescendo sur la face B. Vous sentez sur les deux derniers morceaux, « Mourir de vivre » et « Le présent reste le passé », un manque de variation avec notamment des riffs plus redondants ainsi que des influences trop marquées. Un petit bémol qui n'entamera cependant pas l'appréciation globale de cette œuvre ni même l'écoute.
Cet esthète, amoureux des belles lettres, déploie avec aisance ses diverses passions afin de créer un univers musical des plus racé où se côtoient misanthropie, désespoir, majesté mais aussi déraison, brutalité et saleté. Une atmosphère d'une sobriété glacée, brute et aride à l'image de l'artwork en noir et blanc ˗ les falaises sauvages et magistrales d'Étretat défilant sous vos yeux. Une découverte miraculeuse et rafraîchissante sortant des réseaux souterrains qui vient défier, malgré elle et de façon très inégale, les blockbusters. À suivre !
« Mon existence est une campagne triste où il pleut toujours. » Léon Bloy
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