Borgne - Règne des morts

C’est quelqu’un qui m’a dit que beaucoup de lecteurs ne s’intéressaient qu’à la note et les premières lignes de la chronique, voire pour les plus courageux aux deux dernières au cas où comme dans un livre policier on y découvrirait le fin mot de l’histoire. Alors pour leur faciliter la tâche, je vais être franc dès le premier paragraphe : tu peux prendre cet album sans hésiter. Ne te dis pas que la note est trop basse pour un achat, ce n’est pas le cas. C’est juste que si je me base sur « l’étalon Borgne », Règne des Morts n’arrive pas en tête. Le groupe a fait mieux mais il reste à un très bon niveau. Alors toi qui hésites, n’hésite plus. Vas-y, tu connais sûrement le site du label, Those Opposed Records. En plus il a plein d’autres sorties affriolantes. Et quand tu achètes un certain nombre d’albums tu peux même avoir un cadeau. Même que moi j’ai déjà toutes ses sorties chez moi. Souviens-toi que c’est lui qui a publié des CHRISTICIDE, SÜHNOPFER, DARKENHOLD... Tu peux donc lui faire confiance, allez, vas-y maintenant.

Tu es encore là... Bon tu fais partie de ceux qui lisent plus de deux paragraphes alors... Qu’est-ce que je peux te raconter du coup... Bah je vais faire classique pour commencer et remonter un peu le temps. BORGNE est le meilleur groupe suisse qui ait jamais existé. Comment ça « Et DARKSPACE ?» ? Non, je ne suis pas d’accord. DARKSPACE m’a vraiment retourné sur III, mais II et IV avaient des titres trop longs. 20 minutes, ça me frustre, moi. Donc il faudra me croire, et préférer BORGNE. Cette fois encore il est plus raisonnable sur la durée des morceaux. 7 titres qui font entre 8 et 12 minutes, là on a l’impression d’écouter quelque chose de plus varié, pas un morceau étendu à l’infini avec des parties instrumentales sans fin ! Et au total on se retrouve aussi avec 75 minutes de jeu. Effectivement écouté d’une traite c’est long, mais justement il est plus facile de se découper l’album, de ne pas avoir à patienter un tiers d’heure pour se faire une petite pause !

Bon, je peux sembler de mauvaise foi envers DARKSPACE, mais j’ai vraiment une préférence pour BORGNE. Pourtant mon amour pour le groupe n’a pas été un coup de foudre. Je ne sais plus trop comment je l’ai découvert, mais j’ai acheté son premier album à sa sortie. Il s’agissait de II, sorti en 2007. Oui, je sais, tu as deux commentaires rigolos : « 1. Un premier album qui s’appelle II c’est badasse ». Certes, mais c’est parce que la demo parue 9 ans plus tôt (!!!) s’appelait I. « 2. Comme DARKSPACE il met des numéros romains à ses albums ! Serait-ce une blague suisse ? ». Là, peut-être oui. Mais DARKSPACE a sorti son I après le I de BORGNE. Mais DARKSPACE a sorti son II avant le II de BORGNE. Et puis de toutes façon on n’en a plus grand chose à faire puisque BORGNE n’est allé que jusqu’à IV. Après il ne savait plus trop ce qui venait alors il a décidé de mettre des titres en français. Entraves de l’âme, Royaume des Ombres et cette fois-ci Règne des morts. Mais comme pour essayer de brouiller encore plus les pistes l’homme a un œil donnait aux titres des noms anglais, voire allemand. C’est encore le cas sur le nouvel album, sauf pour deux morceaux. C’est une première, l’un s’appelle « Rien » et un autre « L’odeur de la mort ». Et ce dernier est d’ailleurs interprété en français, avec quelques paroles audibles. C’est une nouvelle saveur pour le Suisse, c’est pas mal mais on préfère en anglais à vrai dire, ça lui « correspond » plus.

Bon, je me suis égaré un peu en route alors que j’étais en train de refaire mon parcours avec BORGNE. J’ai donc d’abord eu le premier album, II, et il est désormais bien rangé dans un de mes tiroirs magiques, très peu ressorti parce qu’il n’avait pas grand chose à dire. Très quelconque, je lui mettrais 4/10 si je devais le chroniquer. Il m’avait tellement déçu que la sortie du III m’était complètement passée au dessus. Je l’ai découvert récemment, sous une forme un peu différente de l’original, car Those Opposed Records a ressorti en version remasterisée et sur deux CD I, II et III, pour une sortie rebaptisée Return to the Past. J’aimerais vous conseiller cette compilation aussi chaleureusement que le nouvel album, mais sincèrement, la qualité est moindre. Car pour moi BORGNE s’est révélé à partir de IV, en 2009. Et cela correspond justement à un changement de label important. BORGNE est alors devenu la première signature non canadienne du québécois fier de l’être Sepulchral Productions ! Car à moins d’avoir raté un épisode, ce label a toujours signé ses compatriotes : FORTERESSE, SOMBRES FORÊTS, GRIS, MONARQUE... Trouver BORGNE parmi cette liste à la qualité exceptionnelle ne pouvait que me forcer à redonner une chance au Suisse. Et bien m’en a pris car la réconciliation a été soudaine. Son black atmosphérique s’était affiné et les ambiances y étaient fortes. La collaboration avec Sepulchral a continué le long de 3 albums qui ont toujours réussi à s’améliorer. Chaque sortie a dépassé la précédente et si tu as besoin de notes pour comprendre mon propos, je réalise ton souhait :
IV : 7.5/10
Entraves de l’âme : 8.5/10
Royaume des ombres : 9/10
Et encore, quand je mets 7.5/10 à IV c’est parce que je sais que les suivants ont été meilleurs encore, sinon il aurait pu avoir plus s’il ne subissait pas la comparaison.

Alors quand tu vois 8/10 pour Règne des Morts, tu comprends un peu mieux où il se situe. Il ne confirme pas la montée en puissance qui se faisait depuis les débuts et n’atteint pas non plus le niveau de son prédécesseur, mais reste d’un niveau très encourageant, suffisant pour justifier l’achat.

« Pourquoi ? ». La voilà la question importante. Eh bien avant tout BORGNE a toujours le talent pour créer des ambiances. La musique de BORGNE est irrésistible et elle nous entraine dans un monde obscur, sans issue. C’est une sorte de marécage dans lequel nous aurons beau nous débattre, nous ne ferons qu’être engloutis. Le groupe porté par la tête pensante de PURE et ENOID nous mange parfois très lentement et nous fait aimer ça comme sur le nonchalant « Rien » à la mélodie perverse, et parfois il nous croque un membre entier, comme sur « Void Miasma », bien plus rapide et percutant, savamment saupoudré de sons électroniques légers. Et comme à son habitude le groupe joue entre ces deux facettes, mêlant l’agressivité et la lourdeur pour un résultat constamment oppressant. Mais il ne retrouve pas non plus l’excellence de Royaume des Ombres.

Les raisons que je vais énoncer sont particulièrement subjectives, et ne seront pas partagées par tous. Mais avant tout les vocaux m’ont moins marqué. Ils se sont fait beaucoup plus graves que par le passé et transmettent moins d’émotions. Ils font effectivement très evil mais je les préférais plus nuancés, ils apportaient autant de subtilités que la musique. Là je me suis même surpris à penser à NKVD dans la façon de hurler. Il y a la même chaleur, la même monotonie. Deuxième point, je trouve que trop de passages naviguent dans les eaux de DARKSPACE. Je trouvais que les ambiances des albums précédents restaient toujours sur terre, dans un cimetière embrumé, dans une forêt tropicale, dans le marécage sus-cité. Même si les machines étaient déjà employées auparavant et déjà très dans l'esprit de DARKSPACE sur IV, elles prennent encore plus de place ici et nous emmènent dans l’espace lorsque ce n’était pas nécessaire. Cela me paraît légèrement hors sujet dans leur musique.

Ces deux impressions ne font que légèrement baisser la note car Règne des Morts reste un album digne de BORGNE. Ceux qui ne connaissent pas peuvent très bien commencer avec celui-ci, bien qu’il n’arrive chez moi qu’en deuxième voire troisième position dans la biographie du Suisse. Encore de bons moments en perspective !

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