J’en ai entendu dire que ce nouvel album de
BORGNE était long. Pourtant il ne fait qu’une heure avec 8 pistes, là où le précédent,
Règne des Morts faisait 78 minutes avec un morceau en moins. L’album d’avant aussi faisait une heure avec seulement 6 pistes. Non, finalement les morceaux de
[∞] sont « courts », et reviennent plus aux durées de ceux d’
Entraves de l’âme. Un seul dépasse les 10 minutes, et c’est vraiment d’un poil : 20 secondes. La moyenne est plutôt autour de 7. Alors oui, c’est toujours plus « long » que certains groupes qui se contentent de l'essentiel, mais on reste cette fois-ci dans des durées raisonnables. Et surtout, je serais tenté de dire que la durée n’est de toute façon pas un défaut, si les compositions sont de qualité. Qu'il ne faut pas confondre la durée et les longueurs. Se plaindre d’un album long, c’est juste constater qu’on n’a pas de temps à consacrer à la musique. On est responsable de notre incapacité à ingurgiter tant de bonnes choses. On n'a qu'a fragmenter l'écoute. Les longueurs quant à elles, ce sont des passages en trop, inutiles, qui font sembler le temps long. Ce n’est pas le cas ici. Et c’est très facile d’en faire la vérification, en faisant commencer l’album par la piste que l’on veut, on se surprend à esquisser un sourire d'approbation. Oui, s’enchainer tout l’album d’une traite peut être éprouvant parce qu’il est riche, mais chaque piste réussit à nous tenir en haleine, prise à part de l’ensemble.
Une nouvelle fois
BORGNE, et donc sa tête pensante Bornyhake (également active pour
PURE et
ENOÏD), parvient à créer des ambiances prenantes, aux images fortes. Il a toujours été doué pour imposer des paysages désolés, ténébreux, inquiétants et malsains. Il nous refait le coup une énième fois, avec la même efficacité, mais avec en plus des envies de nous prendre à contrepied, des envies de changer par moment le monde visuel habituel. C’est ainsi que tout du long de l’album, il s’amuse à nous tirer par moment violemment par le col et nous plonger dans une ambiance tout à fait différente, mais d’une logique évidente. Sur « I tear apart my blackened wings pt.1 », c’est dans des eaux troubles qu’il nous fait voyager. Des sons marins, une longue partie instrumentale centrale qui fait penser à une plongée, une montée en puissance poussée par des choeurs en fond... Il y a quelque chose de majestueux sur cette piste. On entre dans un univers parallèle qui n’avait pas encore été exploré par le Suisse, mais qui n’a rien de farfelue, parce que c’est ajouté avec naturel.
Et ces sensations d’explorations sages se ressentent tout du long. Dès le début d’ailleurs, avec « La porte du chaos » qui est ouverte avec des sons indus à la fois agressifs et spatiaux. Les deux premières minutes invitent tout de suite à un monde différent de ce qu’on connaissait du groupe. On aura vite fait de vouloir comparer avec les compatriotes de
DARKSPACE, et par la suite aussi certains sons y feront référence, mais sans que le résultat n’en soit trop proche. La saleté est plus forte ici.
BORGNE a toujours un pied dans les brûmes même lorqu’il a l’esprit dans les étoiles. Et pour la première fois en 8 albums, c’est surtout
LEVIATHAN qui m’est venu à l’esprit. J’ai ressenti à plusieurs reprises des frissons similaires à ceux provoqués par
The Tenth Sub Level of Suicide.
Je ne vais pas révéler toutes les surprises de l’album, mais il en est riche et chaque piste bénéficie d'une empreinte personnelle. Titres au tempo lent (« Un temps périt »), voix féminines éthérées, chœurs mâles en fond, voix claires sur guitare acoustique (« I tear apart my blackened wings pt.2 / Sun »), utilisation de samples et machines martiales pour ambiances à la
NKVD (« Mis à mort, mis à nu»)... C’est riche, c’est accrocheur, on a envie de replonger dedans à répétition. Petit bémol, le chant en français. J’adore le chant en français, mais chez
BORGNE, comme chez
PURE d’ailleurs, il est trop audible. Ce qui est habituellement une qualité ne l’est pas nécessairement ici, tout simplement parce que la musique de
BORGNE vise à nous hypnotiser, à créer des images fortes, et que les vocaux étant à la portée de notre compréhension, ils donnent envie de se concentrer sur leur sens, et donc à casser légèrement l’hypnose. On se surprend à écouter les paroles pour les comprendre, et donc à décrocher de la musique. Il faut faire l’effort de ne plus penser au sens, mais de se laisser bercer également par les vocaux... Alors le voyage est total...
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