Vous connaissez les clichés sur la Suisse. Le chocolat, la neutralité, la culbute amicale entre moutons noirs et blancs (Comment ? J'ai mal interprété l'affiche ?)... Aujourd'hui, un m'intéresse en particulier : celui de l'élève soigneux, appliqué jusqu'à faire preuve d'orfèvrerie dans des accessoires aussi triviaux que des montres. Une sorte de perfectionnisme dans la bagatelle, vain et vaniteux.
D'être excessivement appliqué est une impression que donne souvent Rorcal. Une impression dont les Suisses, dans leurs meilleurs moments (
Világvége en tête), parviennent à s'extirper pour emporter dans leur musique. Bousculer, émouvoir, par des compositions policées, réfléchies de bout en bout. Ce n'est malheureusement pas le cas ici.
Il s'agit pourtant d'une œuvre de Rorcal dans le texte. Le concept porté à bout d'instruments semblant résulter d'intensives lectures en bibliothèque, les durées à rallonge, les titres abscons (pour qui n'a pas pris Grec Ancien en option au collège), la volonté d'emporter tous et toutes dans son obsession du moment : tout est là et tout porte en lui sa propre invitation au voyage autant qu'à l'ennui, où l'histoire antique affichée en grande pompe devient pompeuse, cf. une pochette affreuse me paraissant aussi lisse que le film
300 de Zack Snyder avec ses slo-mos jolis pour rien, ses figures épiques tellement appuyées qu'elles paraissent uniquement esthétiques, sans faire ressentir la moindre sensation d'humanité, d'élan.
Autant dire que le constat est désastreux : donnant toujours l'impression d'être « rondement mené » dans son entre-deux black metal / post hardcore,
Creon exaspère rapidement à attacher autant d'importance à la forme sans offrir un fond particulièrement intéressant. Et pourtant, je reconnais encore ici le Rorcal que j'aime, celui qui fait que j'ai à chaque fois une curiosité à son égard à chacune de ses annonces de nouvelles sorties, même après un split avec Process of Guilt seulement bon et un
La Femme sans Tête sans queue non plus, tant il semblait n'avoir aucun sens au-delà de la simple performance marquant l'anniversaire du groupe. Ainsi, les parties black metal possèdent ce souffle typique, coupant, rêche, portées qu'elles sont par des hurlements venteux qui n'en finissent plus de s'étaler. La bande parvient même à prendre directement avec elle lors d'un premier titre époustouflant, enveloppant puis abrupt. Il n'y a d'ailleurs pas de baisse de régime ici, l'ensemble suivant le même galop vif, majoritairement loin des tempos doom d'autrefois ou de la synthèse
Világvége et ses tremolos écrasants. Et malgré d'évidentes qualités d'exécution, c'est toujours frustré que je ressors de ce
Creon indéniablement bien fait, similaire à un péplum à gros budget parfaitement réalisé mais sans saveur, cinématographique dans le mauvais sens du terme, tant j'aimerais voir les images que se fait Rorcal dans son esprit et non simplement entendre sa bande originale.
Peut-on déclarer qu'un album est réussi à partir du moment où, au-delà d'un rendu sans faille apparente, il n'émeut pas ? Doit-on obligatoirement applaudir dès qu'une formation a réfléchi à toutes les considérations décoratives possibles et donne au final à bailler poliment, tant à chaque nouvelle tentative (et croyez-moi, il y en a eu plus que quelques-unes), on ne trouve rien à dire, pas même une remarque positive ? Honnêtement, je n'ai aucune envie de répondre à ces questions en plusieurs paragraphes à l'écoute de
Creon, plutôt celle de retourner écouter une énième fois
Világvége qui possède certes son lot de défauts, mais pas celui de me laisser tiède. Un disque pour amateur de barbes bien taillées et de mimiques sombres faites devant le miroir, de
Animale(s) de Celeste et de ce qu'il y a de plus prétentieux chez Ridley Scott.
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