Head of the Demon - Sathanas Trismegistos
Chronique
Head of the Demon Sathanas Trismegistos
Depuis que j'écris pour Thrashocore, je suis devenu pédant. Vraiment pédant. Pédant au point de commencer une chronique en parlant de moi, par exemple. Mais cela va plus loin que ça : j'en suis arrivé à noter mentalement un peu tout ce que je rencontre. La brioche que j'ai prise ce matin ? « 7/10, certes classique, j'avais faim et même le beurre étalé dessus était bon en bouche ». Promener mon chien au bord du lac ? « 4/10, j'avais l'air profond au milieu de la nature, le regard au loin... jusqu'à ce que mon toutou se roule dans les déchets devant les passants. À ne plus faire ». La vie ? « 6/10, quelques moments poignants mais beaucoup trop de passages moyens où on n'a l'impression que son auteur ne sait pas ce qu'il fait »... J'aime prendre l'air expert en toutes circonstances, toujours quelques punchlines prêtes au cas où quelqu'un veut mon avis sur quelque chose (que je lui donne même dans le cas contraire, hé).
Donc quand je croise un disque comme Sathanas Trismegistos, je suis content. Content de ne pas savoir quoi en penser tout de suite, de ne pas arriver à le mettre dans des cases toutes faites, décider d'emblée s'il est bon ou très bon, de finalement le laisser aller, avec moi à ses côtés. Je n'en attendais pas moins des créateurs d'un premier album sans titre déjà énigmatique, dont le jeu répétitif du guitariste Konstantin Papavassilou ainsi que les vocalises rébarbatives de Saibot ont mis du temps avant de révéler tout ce qu'ils contenaient d'atmosphère particulière, démoniaque, giallo, non exempts de défauts mais ne rendant clairement pas indifférent. Chose normale que sa suite laisse un temps également désarçonné, sans trouver autre chose à dire que « tout semble pareil et pourtant, rien ne l'est ».
Car Sathanas Trismegistos montre ici un Head of the Demon qui utilise plus sa tête qu'autrefois, mais sans oublier qu'elle est celle d'un démon. Ce que l'on pouvait déceler de fondamentalement rock ressort désormais pleinement, une production cristalline, famélique, aussi brute que douce à l'oreille accentuant encore un peu plus ce que les riffs peuvent contenir de lancinance dans leurs mélodies directes. Plus de place au mystère, à l'enivrement, à peindre des autels dédiés à « Lui » : son armée est là, parmi nous, prête à le rendre maître en sa demeure. Et il récompense, par des rythmes pas loin d'être enlevés, aussi jazzy, pimpants, entraînants que possible quand on cause doom / black metal (une dénomination choisie par défaut concernant le groupe), où l'on se retrouve pris dans une danse grotesque – l'objet sort par ailleurs durant la nuit de Walpurgis et non, ce n'est pas par hasard.
Clairement : toujours sataniques, mais dorénavant dominateurs, les Suédois ne sont plus cette entité étrange, donnant le sentiment d'être née par erreur. Ils montrent toute l'étendue de leur identité, personnifiant au mieux une vision ancienne de l'Antéchrist, celui qui fête (par cette voix sèche et avinée, lointaine parente de Urfaust), celui qui salit (par des lignes aussi accrocheuses que ternes), celui qui dévoile (par des moments étincelants, trop nombreux pour tous les citer) ou encore celui qui détruit (par cet étalement continu qui, selon l'état d'esprit, s'avérera parfois fatigant là où il enchantait par le passé).
Oui, Sathanas Trismegistos est une œuvre radicale dans sa croyance, qui ne joue pas sur l'effleurement, sur le Mal esquissé de doigts maladroits comme chez sa grande sœur de 2013, mais qui, dans sa ferveur, dans sa maîtrise complète à se faire arme au service de Satan, subjugue autant qu'elle donne à s'ébahir, s'interroger sur ce que l'on vient d'entendre. Entre menace tangible et plaisir hypnotisant, cette musique finit par transmettre ce qu'elle contient de tragique, de fatidique, au fur et à mesure que s'égrènent ses quarante-huit minutes. En effet, Head of the Demon exulte autant qu'il souffre ici, comme pris par sa faute d'avoir choisi le mauvais camp, appelant son règne comme appelant à l'aide. Une émotion complexe, rare, qui ne s'apprécie qu'à des moments choisis, le seul véritable manque de cet album se situant dans son ambiance volatile, parfois trop impalpable pour être prenante.
À la fois plus solide et revêche, plus beau et fugitif, plus travaillé et plus monstrueux que son prédécesseur, Sathanas Trismegistos n'a pas encore terminé de me faire tourner la cervelle, de s'échapper quand vient l'heure de le placer dans une catégorie définie, stylistique et/ou qualitative. La note présentée en haut de cette chronique n'est donc là qu'à titre indicatif, même si l'on se situe à son sujet plus proche du minimum à donner à Head of the Demon sur cet essai que de n'importe quelle faveur. Enfin :
« Ce soir-là, il n'était pas facile de se sentir un héros. Les ténèbres avaient déjà enveloppé le monde, la plaine du Nord avait perdu toute couleur, mais elle ne s'était pas encore endormie, comme si quelque chose de triste eût été sur le point de naître. »
C'est de Dino Buzzati (dans son livre Le Désert des Tartares) et ma foi, si vous trouvez que mon texte est trop rempli d'élucubrations en tout genre (je ne vous en veux pas – honnêtement, je suis même plutôt d'accord), elle vous donnera suffisamment d'indices sur ce que je ressens durant Sathanas Trismegistos, en tant que simple victime inquiète. Brrrrrrrr.
| lkea 8 Mai 2016 - 2773 lectures |
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