Beherit - Drawing Down The Moon
Chronique
Beherit Drawing Down The Moon
« J’ai vu s’ouvrir l’univers des ténèbres où tournent les planètes noires. Elles tournent dans son horreur inconnue : sans ordre, sans éclat et sans nom. »
Cette phrase pourrait résumer à elle-seule Drawing Down the Moon. Un album à part qui en a décontenancé plus d’un lors de sa sortie en 1993 et qui continue de susciter des réactions extrêmes. On adore, on déteste ou bien on reste sceptique. De l’art ou du cochon ? À la vue de la note, vous avez certainement deviné dans quel camp je me situe. J’élève ce dernier au rang de culte, ni plus ni moins. De l’art et de l’art noir, voici ce que vous délivre Beherit à travers une œuvre jusqu’au-boutiste et éminemment spirituelle.
Une nouvelle fois, la bête immonde s’est engouffrée dans notre monde afin de répandre son funeste message et exciter une terreur indicible au plus profond de nos êtres. La voix inhumaine de NHV, tantôt désincarnée (cf. l’introduction) tantôt bestiale (le rampant « Black Arts »), sort du chaos déclamant blasphèmes et odes noires. Des abominations qui acquièrent une certaine beauté et qui n’auraient pu avoir autant d’impact sans cette bande son monstrueuse réalisée par les Finlandais. Tout semble être fait, dans un premier temps, pour choquer et agresser que ce soit par les mots ou la forme, avec une musique crade, raw et primitive à souhait. Beherit est excessif dans tout ce qu’il fait. C’est en cela que la formation peut rebuter. Pourtant rien dans la création ou l’exécution ne parait forcé, tout est inné. Le Mal coule dans les veines et l’entité est comme animée par une force atavique. Les passages bien rugueux ainsi que les brulots ont toujours la part belle, avec notamment « Down There… » ou encore « Werewolf, Semen and Blood ».
Cependant la bête mue et offre beaucoup plus de variations sur ce premier long format sans dénaturer sa nature propre. La formation progresse mais en toute logique. Vous retrouvez d’ailleurs – plus ou moins réarrangés – « Werewolf, Semen and Blood » (tiré du split avec Death Yell) mais aussi deux morceaux de l’excellent court format Down There… sorti, en 1991, sous le nom de The Lord Diabolus – suite à des problèmes rencontrés avec le label de l’époque. Vous avez donc des changements de rythmes, des touches horrifiques mais utilisés sans retenue et où viennent se greffer de nouveaux éléments. À l’écoute de Drawing Down The Moon, la maîtrise des musiciens est frappante. Tout est là ! L’esprit, l’ambiance, la bestialité et des hymnes immortels – repris x fois. Difficile de se lasser d’un « Salomon's Gate » ou de la sublime « The Gate of Nanna ». En se démarquant quelque peu des codes, Beherit se dévoile enfin, délivrant une œuvre puissante et singulière.
Les nombreux ralentissements, les pistes instrumentales et les titres plus mid tempos aèrent clairement l’ensemble et mettent en relief les différentes atmosphères instaurées par la formations – je commence, inconsciemment, à faire des parallèles avec Impaled Nazarene et la scène black metal grecque. Malgré la crasse et la rudesse ainsi que les gros coups de boutoir assenés, la musique vous happe totalement grâces aux mélodies entêtantes souvent couplées à des effets parfaitement dosés (les chœurs sur « Nocturnal Evil », par exemple). Vous êtes possédés et suivez docilement la cérémonie sacrificielle menée la sombre entité. Vous vous massez auprès de silhouettes informes, dessinant une colonne, semblant monter tout droit vers une ouverture dans les cieux. Un bal monstrueux accompagné par des grognements, des susurrements de serpents faits hommes (« Black Arts »), des voix spectrales et des sonorités électroniques d’outre espace (« Intro (Tireheb) » et «Nuclear Girl »). L’aspect occulte dégouline de chaque composition, vous tiraillant entre épouvante et extase.
Drawing Down The Moon est à la fois grouillant et chaotique mais, paradoxalement, parfaitement cohérent. Beherit mélange habilement divers éléments tout en restant ancré dans l’ancien. Vous retrouvez ici des références plus terre-à-terre liés au paganisme (« Summerlands » est une belle parenthèse inattendue), là un texte extrait de La Bible satanique – plus précisément, des neuf représentations sataniques – d’Anton Szandor LaVey (cf. l’introduction). Quant aux sons plus modernes, ils ne font que renforcer le côté primitif et spatial. Les musiciens se donnent corps et âmes à l’art noir, laissant libre cours à leurs aspirations profondes et s’affranchissant des frontières. En résulte un album réussi, habité – empli de symboles et de magie –, unique et intemporel.
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