Il en fait, du chemin, le remarquable David Davidson, depuis ses débuts avec son premier album,
Sanity's Aberration, lorsque Revocation s'appelait encore Cryptic Warning! Et si, du haut de sa petite vingtaine d'années, on lui aurait dit que plus tard, son groupe ferait office de figure de proue d'un death thrash tantôt prog tantôt tech, enchaînant les sorties intéressantes, je pense qu'il n'y aurait pas cru un instant - malgré son talent inné pour la guitare et ses études au prestigieux Berkley College of Music. Et pour cause: il fallut attendre l'EP parfait - n'ayons pas peur, osons utiliser ce mot -
Teratogenesis pour voir le groupe prendre un vrai envol et se démarquer de ses compères. Faisons un bref rappel succinct des précédents albums:
Summon the Spawn puis
Empire of the Obscene servent de brouillon à un groupe qui a encore du mal à se trouver une identité. La donne change un an plus tard avec
Existence is Futile, où le groupe n'a désormais plus peur d'afficher son amour pour le jazz, bien que l'idée qui s'en dégage est encore immature: jouer un thrash exceptionnellement agressif, parfois trop, et montrer que leur jeu est au-dessus de la moyenne.
Chaos of Forms se repose un peu plus, dans le sens où il s'apparente à un album de thrash plus classique, sans grande importance mais sans grand défaut non plus. C'est donc à partir de
Teratogenesis que l'on sentit le groupe diversifier ses compositions et complexifier son jeu, alternant entre les riffs brutaux totalement gratuits de "Bound by Desire" et le jazz allumé de
"Teratogenesis". Inutile de vous détailler la suite car nous le verrons après: le groupe était lancé et tira par la suite de nombreuses leçons de leurs premiers essais.
C'est donc fort d'une carrière qui a su prendre un excellent tournant que le groupe sortit son neuvième effort (comptons, dans l'ensemble,
Sanity's Aberration et l'EP original
Teratogenesis,
Summon the Spawn étant intégré à
Empire of the Obscene) le 28 Septembre dernier. Le sieur Davidson nous l'avait dit: il s'agit du plus "death metal" de leurs albums et on veut bien le croire quand on prend deux ans de recul! Pour rappel, l'icônique batteur Phil Dubois-Coyne a laissé sa place au tout aussi talentueux Ash Pearson, passant ainsi d'un jeu tirant pleinement ses racines dans le jazz et dans la funk à un jeu bien plus agressif et extrême. Bien que l'excellent Deathless (personnellement mon album préféré du quatuor) semblait déjà donner ses lettres de noblesse à ce death mature et riche, il faudra attendre l'album suivant, Great is Our Sin, pour pleinement ressentir la différence. Et
]The Outer Ones n'aime pas patienter: fort de cette formule, il démarre sur les chapeaux de roues avec un riff composé à 100% de tremolo picking très catchy et agressif, soutenu par une batterie qui ne lésine pas sur les blast beats ("Of Unwordly Origin", donc). Répétez ce riff une deuxième fois (il est si bon, autant carrément l'intégrer plus tard dans le refrain!) et enchainez avec un autre riff beaucoup plus rythmique, essentiellement basé sur la technicité et les dissonances au travers de la méthode du "let ring": et aussi surprenant que cela puisse paraître, le groupe venait subtilement de nous révéler l'intégralité du ton de leur nouvel opus en trente secondes. Tu parles d'une efficacité!
"Of Unworldly Origin" pose donc les bases de l'album. Rapide, efficace, ne s'arrêtant à aucun moment, alternant entre une intro agressive et une partie instrumentale/solo plus posée, il s'apparente sur bien des points à l'opener de leur précédent album, "Arbiters of the Apocalypse". Rien n'est particulièrement prog: la construction est relativement standard et c'est tant mieux, car il est inutile de noyer l'auditeur avec des signatures alambiquées dès le premier morceau. Le piège se referme alors sur nous: le premier titre terminé, la sorcière nous ayant envoûté, nous voulons en savoir plus et sommes désormais condamnés à entamer une lente descente vers un monde horrifique, sombre, dont on ne ressort qu'au bout d'une petite heure.
Vous l'aurez compris: le groupe se replonge dans l'horreur lovecraftienne, timidement amorcée sur
Existence is Futile.
Great is Our Sin, lui, avait plus pour but de nous faire prendre conscience des méfaits de l'homme tout au long de l'Histoire de l'humanité (une autre forme de l'horreur, en quelques sortes), le nom de l'album étant lui-même tiré d'une phrase de Charles Darwin dans son Voyage of the Beagle: "
If the misery of the poor be caused not by the laws of nature, but by our institutions, great is our sin". Le prolifique guitariste souhaitait simplement utiliser son imagination d'une façon différente, sans pour autant trahir l'essence de sa musique (si j'en crois ses paroles dans une interview pour Distorted Sound Mag). On replonge ici dans une forme d'horreur brute, premier plan, qui s'illustre dès la pochette exceptionnellement macabre dont on jurerait qu'il s'agit d'une représentation de quelqu'un décrivant de manière spontanée le mot "horreur".
La musique, dès lors, se fait beaucoup plus atmosphérique (et cela peut être amusant de parler d'atmosphérique pour du death metal, mais poussez votre lecture quelques lignes plus loin!). Exit les riffs efficaces et alambiqués, partant un peu dans tous les sens, de
Deathless ou même parfois de
Great is Our Sin et ses morceaux rapides. Place maintenant à des chansons au riffing très lourd, mid-tempo voire low-tempo, qui servent d'appui pour placer une atmosphère particulièrement macabre (on se souviendra des toutes premières notes de "The Outer Ones", qui annoncent d'emblée quelque chose de mauvais). Les exemples sont légions: "That Which Consumes All Things", et son passage hypnotique à la fin, "Fathomless Catacombs" et ses riffs dissonnants et sa construction chaotique, "Vanitas" et "A Starless Darkness", qui conclut l'album de manière intéressante puisqu'on a clairement ici une ouverture vers le death progressif (on est à des kilomètres du thrash), plus réfléchi et mature. Et, au fur et à mesure que nous nous plongeons dans l'horreur de l'album, la musique nous accompagne et se densifie: on commence donc l'écoute par un morceau très efficace, à la construction relativement simple, et transitons lentement vers quelque chose de plus poussé: une construction chaotique dans "Fathomless Catacombs", une instrumentale dense avec "Ex Nihilo" et une sensation progressive dans "A Starless Darkness", le tout présenté de plus en plus lentement. Le piège s'est refermé et nous a emporté avec lui.
N'allez pas croire que cet album joue exclusivement la carte du mid-tempo: on retrouvera quelques irréductibles gaulois avec "Of Unworldly Origin" et surtout "Blood Atonement", qui voit le tremolo picking faire son grand retour avec des mélodies venues d'un autre monde, imposant une étrange atmosphère, mélancolique, faisant par plusieurs fois penser à "Witch Trials" sur l'album Deathless. Cette atmosphère, les musiciens y sont bien habitués, puisqu'on la retrouve déjà sur l'excellent "The Tragedy of the Modern Ages" dans
Existence is Futile il y a presque dix ans. Un mélange de dynamisme, de mélodie mais, quelque part, de tristesse timide dont on aurait vraiment du mal à mettre des mots dessus.
Revocation nous offre donc, en cet an de grâce 2018, un septième album, au rythme d'un album tous les deux ans voire tous les ans, qui se démarque par une emphase sur le mot "death" de leur étiquette maintenant compliquée à décrire tant ils accumulent les influences. Thrash metal? Plus vraiment, même si la production laisse encore le doute planer. Technical? Assurément. Progressive? Ce n'est pas incohérent. Jazz-like? Totalement. Funk-like? Pourquoi pas (peut être pas sur ce disque, cependant). Death? Bien sûr! Bref, vous voyez, les influences sont nombreuses, ce qui complexifie la dissection du disque. D'autant plus que le groupe aime osciller entre ces influences et c'est ce qui le rend très intéressant à suivre. Cette fois-ci, c'est le death qui est à l'honneur, entre les blast beats, les voix gutturales ou l'absence de chant clair - le plus gros contraste avec le précédent album puisque Dave déclarait en avoir mis plus que jamais -, la seule trace se trouvant dans "Luciferous" et qui donne un aspect maléfique et presque incantatoire. Bref, le groupe semble décidément être résolu à exploiter jusqu'à la moëlle la moindre de leurs influences, toujours en ajoutant cette méthode de composition unique qui dénote presque complètement le groupe de ses comparses. Ce nouvel album ne révèle rien d'autre que l'aisance stupéfiante avec laquelle David Davidson maîtrise à sa guise les styles qui lui sont à coeur, pour l'adapter à sa formule, créant toujours ainsi quelque chose d'unique, inlassable. Tout autant de raisons qui me forcèrent à soupirer la chose suivante, une fois ma première écoute terminée: "Bon, vous en avez pas marre de produire l'album de l'année à chaque fois les gars?"
6 COMMENTAIRE(S)
15/11/2018 22:18
12/11/2018 22:24
Le chant clair n'a jamais été le fort de Davidson ça c'est sûr, mais il a toujours apporté une nuance intéressante à sa musique, je trouve.
12/11/2018 15:09
12/11/2018 14:38
12/11/2018 12:05
En tout cas la chronique donne envie, sur le papier ca m'a l'air bien. Musicalement j'ai toujours trouvé que Revocation avait un talent certain mais le chant "clair" justement venait toujours, comme d'habitude, tout gâcher.
12/11/2018 09:14
Cohérent et accrocheur de bout en bout il s'agit sans doute de la meilleure du groupe depuis l'éponyme en 2013.