Heaume Mortal - Solstices
Chronique
Heaume Mortal Solstices
Décidemment très productifs en ce début d’année les Acteurs de l’Ombre continuent de sortir de leur chapeau des formations venues de nulle part, dernier exemple en date avec ce projet créé par Guillaume Morlat de EIBON et COWARDS qui place déjà la barre très haut avec ce premier jet. Formé en 2011 celui-ci a mis le temps pour que ce premier opus voit le jour vu qu’il lui a fallu trois ans pour le composer, avant que cinq autres années soient nécessaires pour qu’il soit enfin disponible au plus grand-nombre. Il faut dire que son thème global est particulièrement travaillé et conceptuel, que ce soit au niveau de la musique comme des textes (chantés par son acolyte de COWARDS Julien Henri), où pendant près d’une heure son créateur va nous emmener dans un voyage intérieur plein de mystères (à l’instar de la pochette signée Gustave Moreau et intitulée « Thomyris et Cyrus » - dit aussi « La Reine Thomyris ») où psychologie et questionnement sur l’âme humaine et l’éventuelle vie après la mort sont de la partie. Du coup il n’est pas étonnant que les compos originales prennent toute leur ampleur sur la durée, en privilégiant principalement les ambiances à la violence, vu qu’elles durent au minimum dix minutes chacune (à l’exception du très court interlude « South Of No North »), chose qui va se révéler être parfois à double tranchant.
C’est d’ailleurs ce qui marquer d’entrée avec le très long « Yesteryears », qui débute par un riff glacial avant qu’un tempo lent ne se pose afin de renforcer cette impression d’errance personnelle, conjuguée ici à une ambiance nuageuse liée à un break tout en douceur où les notes ont l’air de voler, donnant ainsi le sentiment que l’âme est à cheval entre la vie et l’au-delà. Mettant l’accent sur un certain onirisme l’ensemble voit l’apparition d’une longue série de blasts (les seuls présents de tout l’opus) où au milieu des breaks et parties alourdies les cris de désespoir résonnent tel un écho en recherche de souffle et de vie. Devenant par moment particulièrement sombre et ténébreux ce premier morceau côtoie facilement ceux plus éthéré et mélodieux et offre du coup un vrai panel de tout le concept du binôme, où l’auditeur passe par tous les états via un rendu oppressant et passionnant, même si l’ensemble aurait pu être un peu raccourci (certains passages traînants un peu inutilement en longueur). Après le court interlude place à « Oldborn » qui reprend les choses où elles en étaient restées, tout en se faisant plus direct et mettant de côté la violence pour laisser plus de place à des sensations comateuses, où l’impression de ne pas savoir où se situer est tenace. Si on reprend progressivement ses esprits on reste malgré tout toujours balloté entre bien-être et pessimisme, la faute à une conclusion plus écrasante que le reste d’où émerge un solo tout en tessiture qui apporte là-encore une dualité surprenante et bienvenue.
Comme pour montrer qu’ils n’ont peur de rien les deux comparses s’attaquent ensuite à « Erblicket Die Tochter Des Firmament » de BURZUM, qui bien que restant relativement fidèles à la version originale arrivent néanmoins à y amener leur touche personnelle, mise en avant par la production granuleuse et craquelante signée Francis Caste (qui réalise d’ailleurs un boulot impressionnant et à saluer) où la froideur norvégienne côtoie ainsi la saleté parisienne. Retour à du fait-maison avec « Tongueless (part III) » qui reste dans la même lignée que ce qui a été entendu précédemment tout en étant plus lumineux et rampant, maintenant ainsi l’espoir d’un renouveau et de choses meilleures qui ne sauraient arriver bientôt. Si le froid est encore présent et enveloppe le corps de son souffle au fur et à mesure que l’on avance vers la conclusion de ce titre on ressent une lumière approchante et un espoir renaissant (presque contemplatif) via un long passage où la musique s’impose devant le chant et laisse ici libre court à l’imagination. D’ailleurs il faut souligner que les parties instrumentales sont prédominantes sur toute cette galette, la voix n’étant présente que de façon discrète et éparse, servant ainsi juste à apporter un supplément d’âme nécessaire sans pour autant le dénaturer. D’ailleurs sur « Mestreguiral » qui fait office d’outro nulle trace de corde vocales afin de créer une fin de disque totalement aquatique et étonnante, car l’eau est en effet ici prépondérant vu que cela commence avec la pluie qui tombe avant que des ambiances de grandes profondeurs ne se fassent entendre. Emmenant donc l’esprit et le corps vers les abysses pour un voyage dans le grand bleu celui-ci semble enfin totalement serein et apaisé, grâce (ou à cause) également de l’absence d’instruments électriques, vu que seuls des ambiances synthétiques et apaisantes ont droit de cité ici. Pendant quasiment dix minutes les questionnements et angoisses qui pouvaient se ressentir auparavant ont visiblement disparu, pour laisser place cette fois à un ultime départ vers des contrées inconnues mais où la sérénité et la paix semblent régner, comme pour laisser croire que la mort l’a définitivement emporté mais que ce qui suit n’est pas forcément négatif pour autant.
Si l’on peut penser à une conclusion religieuse basée sur l’éternité et la réincarnation, chacun pourra néanmoins se faire propre opinion là-dessus tant les ressentis sont nombreux, et amèneront à un vrai travail de réflexion. Pas évident d’accès à la première écoute ce « Solstices » mérite incontestablement une attention toute particulière afin d’être disséqué finement, et surtout à de nombreuses reprises tant il réserve des surprises et fait passer l’auditeur par tous les états. Si la technique globale est assez rudimentaire et limitée (les plans de batterie et riffs sont souvent simples et joués en boucle) et que certaines longueurs évitables apparaissent ici et là, on reste néanmoins étonné de la réussite générale de ce projet tant il semblait initialement difficile d’accès. Mélangeant habilement le Doom le plus étouffant avec la noirceur du Black Metal il serait dommage de passer à côté et de ne pas lui laisser une chance de faire ses preuves, même s’il pourra au début décontenancer et déconcerter les oreilles les plus averties et habituées ou non à ces mélanges musicaux et textuels originaux et personnels.
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