Malenuit - Incandescente
Chronique
Malenuit Incandescente (EP)
Audrey Sylvain est un concept intéressant. Pour ceux qui ne le savent pas, et qui ne doivent d’ailleurs pas être bien nombreux, Audrey est la voix féminine qui se balade sur les albums de Peste Noire, et qui a posé des vocalises sur les projets de pas mal de membres de la fameuse dream team d’Avignon ayant donné lieux à des groupes tous plus ou moins clivants, pour des raisons d’ailleurs très diverses (Amesœurs, Alcest, Peste Noire). Avec son timbre un peu naïf, ingénu, Audrey a mine de rien marqué pas mal de personnes. On a souvent pu lire qu’Audrey « ne savait pas chanter », et on ne peut pas vraiment nier qu’on aura pas beaucoup de mal à trouver des lignes de chant tirant un peu vers le faux ou le crispant parfois. Mais, un peu à la manière d’un Quorthon (toutes proportions gardées, ne nous emballons pas), cette voix pas toujours parfaitement dans les clous arrive à transmettre une vraie émotion. Pour Quorthon, c’était la grandeur, le superbe, les gloires passées et l’esprit du Nord. Pour Audrey, c’est la mélancolie triviale et touchante du vécu lambda, des émotions immatures sacralisées dans le cadre d’une vie qui n’a rien d’extraordinaire en soi, mais qui se ressent comme une tragédie quand on en est le protagoniste principal. Quelque chose d’assez adolescent, en fait, avec une attitude entre blasé et à fleur de peau un peu trop fortement clamé et maladroit pour être entièrement pris au sérieux, mais qui ne se départit pas une seconde de son tragique attendrissant. La définition de « maladresse charmante », en quelques sortes.
Bon, ça fait un paragraphe bien chiant et adipeux pour dire un truc qui se résume en quelques mots : « post-punk », « black metal », « shoegaze ». En gros, la formule Amesœurs. Audrey a décidé de faire du Amesœurs, en plus folk, moins black metal et plus terroir, puisque les paroles gravitent volontiers autour des lieux de vie d’Audrey. La musique de ce projet baptisé « Malenuit » sur ce premier EP Incandescente, est basée sur un piano, une guitare sèche, quelques riffs black par moment, des percussions occasionnelles et la voix d’Audrey qui représente, sans doute aucun, l’élément central. Ça commence sur « Litanies », espèce de slam porté par une rythmique simple et répétitive, comme il sied à chaque litanie, et des orchestrations synthétiques dans le fond pour l’aspect cérémoniel. Audrey chantonne son texte comme une gamine le ferait en revenant chez sa grand-mère en pas chassés sur un chemin de campagne après avoir passé un formidable après-midi d’aventures dans les bois. Cette façon de poser sa voix, un peu comme si Grand Corps Malade avait volé les cordes vocales de Mylène Farmer, tranche avec les paroles qui se veulent très désenchantées (vous l’avez ?). Il n’y a pas à dire, c’est agréable.
Allez, on enchaîne avec « Gemmes de Nuit », qui nous sert du Amesœurs pur jus servi sur son lit de Neige en lamelles. On croirait entendre une piste non réalisée de la formation décédée, tant les mélodies et la voix d’Audrey font penser au seul album du groupe. On s’épanche sur la tristesse urbaine un peu poétisée, avec les joies, les peines et les désillusions d’une vie, celle d’Audrey peut-être. Dans le même genre, « Mémoire d’Outre-Auvergne » préfère se faire plus folk, plus « chanson », avec de jolies parties de chant sur le refrain. On est à mi-chemin entre le terroir, la nostalgie, l’amour romantique et un peu vache pour son lieu de vie et la contemplation de sa propre existence, entre amertume et tendresse. Très autobiographique, très KPN, et assez touchant finalement. Il y a indéniablement un peu de spleen là-dedans.
Il ne fallait sans doute pas le dire, mais un vrai esprit KPN règne sur cet EP. Peut-être la meilleure partie de KPN en fait. Celle qui brûle de nostalgie, de fierté, de crasse et d’amour de la terre sans verser dans la grivoiserie et l’extrémisme un peu futile. Malenuit a attrapé un éclat du grand KPN, et a eu la bonne idée de se passer de la plupart des éléments qui parasitent l’exceptionnelle matière dont est fait ce groupe si marquant. Et ça, c’est bien vu. Famine s’est débarrassé de Neige, il s’est débarrassé d’Ardraos, et Audrey semble s’être aussi éloigné de lui, puisqu’elle n’est officiellement plus dans KPN depuis 2016. Mais au moins leur a-t-il laissé quelques parcelles de ce qui l’habite, et il semblerait que ces atavismes soient faits de ses meilleurs chapitres.
L’EP continue sur « Gerbe de Nuit », plus black metal que le reste, plus sombre et plus franchement négative. Audrey sort ses intonations un peu rageuses, urgentes, quitte à malmener un peu la prononciation de certains mots et les rimes, ou à galérer un peu à rester juste. Mais bon, on en a déjà parlé, c’était sur le contrat, fallait lire toutes les lignes. On a même droit à un solo bien fichu sur la fin. Et cette petite demi-heure d’achève sur « Guérilla ». Et là, on ressort l’esprit KPN dont on parlait plus tôt. On a littéralement un appel aux armes, contre « le flot qui veut nous submerger ». La chanson, puisque c’en est une, est également agréable, même si ça tire un peu beaucoup en longueur, mais alors les incursions dans ce genre, Audrey aurait vraiment pu s’en passer. Sans même s’arrêter sur le fond, ça sonne assez faux dans la forme, pas vraiment convaincu ni authentique. Qu’on ait envie d’afficher ce genre d’idées dans la musique, moi je m’en fous, j’ai même pris un paragraphe entier sur la chronique de la compilation de Seigneur Voland pour en parler. Mais alors il faut vraiment que ça sonne convaincant. Et ici, ce n’est pas le cas, ni dans le fond ni dans la forme. Et ça finit un peu par gâcher la piste.
Ça fait beaucoup pour un EP. Mais pour ma défense, ce dernier a un certain pouvoir attachant. On a envie d’y retourner, même si on ne sait pas trop dire pourquoi. Il faut dire quelque chose, histoire que tout soit clair. Malenuit, et même Audrey dans toutes les production dans lesquelles elle s’est investie, est irrémédiablement mièvre. C’est comme ça, c’est sa griffe, qu’elle soit volontaire ou pas. Et moi, le mièvre, ça m’insupporte. Et pourtant, par un ensorcellement que je n’arrive pas à définir, cette mièvrerie-là, entre chantonnante et doucement agaçante, je l’aime bien. Cet EP m’agace un peu, mais je ne peux pas mentir, je l’aime. Antiq a encore une fois eu une sacrée paire de couilles pour sortir un projet si original.
Beaucoup vont détester Malenuit, c’est certain. Et d’autres, moins nombreux sans doute, vont se retrouver tout surpris de l’apprécier à leur corps défendant. Malenuit est encore très perfectible, mais Audrey prouve qu’elle est capable de sortir son propre projet, et que celui-ci est digne d’attention. En toute honnêteté, je pense que Malenuit est le genre de projet qui gagne à se décliner en EPs, et j’ai du mal à voir cette musique sur la durée d’un album. En tous cas, tous les poids mis dans la balance, cet EP est réussi, et suscite bel et bien de l’émotion.
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