Actuellement l’époque médiévale semble bénéficier d’un intérêt grandissant voire carrément d’un effet de mode, tant celle-ci se retrouve mise à l’honneur sous diverses formes artistiques, et le Metal noir n’échappe pas à cette tendance où AORLHAC et VEHEMENCE ont récemment sorti chacun des albums impressionnants, à l’instar des sudistes de DARKENHÖLD. Après un excellent
« Memoria Sylvarum » ceux-ci remettent le couvert avec quatre nouveaux titres de haute volée, à la fois différents mais aussi dans la lignée de ce qu’ils proposent depuis quelques années. Mais avant cela ce sont les parisiens de GRIFFON qui vont avoir l’honneur et la tâche délicate d’ouvrir ce Split, qui sur le papier a tout ce qu’il faut pour faire passer un bon moment. Peu connu encore le groupe n’est certes pas des plus productifs (n’ayant rien sorti depuis son premier opus en 2016), pourtant loin d’être resté inactif il a écumé les différents festivals en France, tout en ouvrant pour WYRMS ou encore MOONREICH. Evoluant dans un registre plus fougueux et guerrier que ses aînés, il conserve cependant une partie de cette trame moyenâgeuse qui va se retrouver ainsi parfaitement mêlée au concept global de cette galette.
Il n’y a qu’à écouter le long et prenant « Si Rome Vient à Périr » pour s’en apercevoir vu qu’il va débuter par un mélange mélodieux où l’acoustique et l’électrique sont posés l’un sur l’autre, avant qu’ils ne se séparent pour mettre en valeur leurs propres moments personnels. Mélangeant les rythmes élevés et plus lents le combo insère ici toutes ses influences où se greffent des voix religieuses envoûtantes complétés par du break à la guitare sèche qui sert de pause au milieu des passages plus virulents et explosifs, et montrent ainsi toute la panoplie créative de ses membres. Ceux-ci vont continuer de surprendre avec le très bon « Souviens Toi, Karbala » plus classique et sombre qui mise sur les ambiances, tout en jouant le grand-écart entre brutalité et lenteur, à l’instar du religieux et maléfique « Jérusalem » qui s’étire un peu inutilement mais qui a les arguments nécessaires pour qu’on n’en tienne pas rigueur. D’obédience ésotérique il révèle aussi un classicisme plus affirmé encore, où retentit sur la fin un clavecin particulièrement inquiétant qui renvoie aux messes-noires et à un certain côté kitch propre aux films de la Hammer. D’ailleurs cet instrument sera le seul à se faire entendre sur « Interlude » qui fait office d’outro, et dont l’intensité va aller crescendo, complétée par un côté symphonique agréable qui termine la prestation des franciliens. Sans être grandiose ni d’une violence folle, elle montre cependant une subtilité musicale plus affirmée chez eux par rapport à leurs précédentes sorties, avec également des morceaux relativement longs mais jamais ennuyeux ou linéaires, portés par un univers assez personnel qui fait plaisir à entendre, du coup il va être intéressant de voir comment sera la suite de leurs aventures, mais s’ils continuent comme cela elles vont être positives c’est certain.
Si du côté des niçois on avait déjà entendu des arrangements à la guitare sèche par le passé, ceux-ci poussent plus loin l’expérience en réalisant presque un Unplugged où leur touche spécifique ne sera pas absente, ce qui permet de (re)découvrir ce qu’ils sont capables de faire en débranchant les amplis. Si on savait que la musique de ceux-ci comportait une certaine joie et chaleur, ces points vont littéralement exploser au grand jour grâce justement à cette douceur des instruments jusqu’à présent insoupçonnée. Cela saute aux oreilles dès les premières notes du magnifique « Marche Des Bêtes Sylvestres » qui montre un rythme entraînant porté par des chœurs nostalgiques et des notes de claviers sobres et efficaces, ainsi que par une batterie fine et à peine effleurée (on croirait presque que les baguettes ont été remplacées par des balais jazzy). On retrouve ici toute la patte de la bande jouée de façon différente où les ambiances sont forcément plus présentes du fait du manque d’électricité, qui est compensé par un bien-être et une découverte à la fois sur soi-même comme dans un passé qui a façonné l’histoire de notre pays. D’ailleurs « Le Sanctuaire De La Vouivre » continue sur cette même voie en voyant l’apparition d’une voix chuchotée comme pour conserver un certain mystère, ce qui ajoute un peu de noirceur (chose qui va se confirmer dès la plage suivante) et un entrain communicatif et rythmé. Si ce point n’en démord pas sur « Les Goules Et La Tour » vu que ça reste très remuant question rythmique, cette composition voit l’apport de claviers qui amènent un sursaut d’obscurité, comme si l’orage pointant le bout de son nez. D’ailleurs on s’imagine très bien lever les yeux en l’air et regarder ce qui se peut se trouver au-dessus de nos têtes, tant son mid-tempo est propice au questionnement spirituel et à la contemplation même si l’heure n’est plus à la fête, vu qu’un évènement imprévu semble prêt à gâcher le cours normal des choses. Heureusement la « Citadelle d’Obsidienne » remet les pendules à l’heure et sert de rappel car tout y est de sortie, notamment les différents instruments traditionnels qui s’en donnent à cœur joie. Jouant sur la variation ainsi que par des cassures qui ne gâchent pas l’impression générale cette clôture festive est parfaite pour terminer ce projet commun, et confirme ici qu’Aldébaran et ses acolytes restent toujours dans le haut du panier national, et qu’ils ont vraiment passé un cap depuis quelques années. Car miser uniquement sur l’acoustique était un pari risqué qui a été franchi haut la main et reste dans la droite ligne de ce qu’ils avaient créés auparavant. Tout cela a été rendu possible notamment grâce à une écriture dont la durée qui ne s’éternise pas, et aussi parce que ses créateurs restent sobres et ne blindent pas l’ensemble d’éléments inutiles qui auraient fini par gâcher le ressenti et le plaisir entendu jusque-là.
Avec ces deux parties totalement différentes ce Split montre là-encore la qualité du catalogue du label angevin, et aussi celles des deux formations qui arrivent à se sublimer et à surprendre pour ce genre de travail toujours dangereux à la base. Chacun a en tout cas acquis une maturité qui en fait un élément à suivre… avec intérêt pour l’un et de manière incontournable pour l’autre, dans un style qui pullule actuellement et qui ne cesse de prendre de l’ampleur et de se montrer attractif. Si la France du moyen-âge a été d’une richesse culturelle et créatrice sans égal, notre époque moderne bien que n’ayant rien à voir fait preuve aussi d’un bouillonnement musical et intellectuel impressionnant sur tout le territoire, à la fois d’ouest en est comme du nord au sud. Autant dire qu’il serait dommage de passer à côté de cette réalisation réussie du début à la fin, vu que tout ce qui a été proposé ici n’augure que du bon pour la suite ce dont on ne va franchement pas se plaindre !
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