Quand j’ai fait la connaissance de Keverra, groupe composé d’anciens et actuels membres de
16 et
Goatsnake, au travers de son premier album sans-titre, deux questions ont immédiatement habité mon esprit : « Pourquoi ce groupe n’est-il pas sorti sur Relapse Records ? » et « Sera-t-il à la hauteur des hautes attentes que son line-up alléchant met immédiatement en tête ? ».
Concernant la première question, j’avoue ne pas avoir de réponse. Tout, chez Keverra, paraît crier le nom de ce label réputé, au catalogue varié, mais possédant une patte particulière immédiatement reconnaissable. Produit par Sanford Parker (s’étant déjà occupé du son de The Gates of Slumber, Bloodiest ou encore Minsk, soit des groupes plus ou moins liés à... Relapse), doté d’une pochette évoquant le dernier Today is the Day (
No Good to Anyone) moins l’humanité, ce premier album coche toutes les cases chéries par la maison-mère ricaine, jusqu’à des photographies de la formation où un membre arbore fièrement un t-shirt Unearthly Trance (la bande à Ryan Lipynsky ayant une longue histoire en lien avec le label). Mais au-delà de ces réflexions sur l’entre-soi et la prise de risque (probablement que le plus confidentiel mais fervent Seeing Red Records colle mieux à un premier jet d’un projet ayant encore tout à prouver), c’est bien par son style que le trio mené par Kurk Stevens donne envie de faire le lien.
Car avec son mélange entre sludge et noise rock, effleurant les ambiances blackened et la froideur industrielle dans son exécution, Keverra paraît tout indiqué pour nourrir un catalogue rempli de Indian, Seven Sisters of Sleep, Rwake ou...
Unearthly Trance, encore. Ce dernier nom est celui qui m’est directement venu en tête à l’écoute de ces trente-six minutes, tant je retrouve ici le caractère versatile et nocturne, maîtrisé de bout en bout, des créateurs de
Stalking the Ghost. Il est clair que ce premier essai peut être considéré comme tel lors des écoutes de présentation, son bric-à-brac étant constitué d’éléments connus ici ou là. Son style à cheval entre sludge et noise rock bien délimité, son interprétation particulièrement noire et rugueuse ou encore ses interludes noise paraissent en effet aussi réussis que typiques d’une certaine scène (non, le groupe n’est pas originaire de Portland mais de Los Angeles, bien que le doute soit permis). Cependant, au fur et à mesure que les rencontres se succèdent, c’est bien l’expérience dont use le trio qui marque.
C’est que Keverra aime jouer une musique retorse, qui glisse sur nous si l’on n’y prête pas attention mais contenant une ambiance particulière, urbaine, sombre et reptilienne, ainsi qu’une foule de moments prenants. Le concassage méthodique de « Albion » et « Black Tie Event », le groove amer de « Object to Be Destroyed » ou encore les relents post-punk et fantomatiques, presque cold wave, de « Bathsheba » et « No God »... Avec un savoir-faire déjà sûr de lui, des compositions qui hypnotisent et emportent, ce début a des airs de disque de vieux de la vieille puisant leur force dans une impressionnante alchimie en pourtant peu de temps (groupe formé en 2018 !). Certes, en cherchant bien, une certaine immaturité se dévoile, notamment dans des enchainements de pistes noise et morceaux sludge trop systématiques et redondants ou encore un milieu moins marquant (« Tioga »), en particulier par rapport à un dernier tiers mettant K.O. sur K.O. (à partir de « Object to Be Destroyed »). Les Ricains ont encore une certaine marge de manœuvre donc, qu’il me tarde de les voir prendre à bras le corps (un petit coup de cœur, malgré des défauts bien présents).
Je me rends compte que je n’ai pas répondu à la deuxième question que je m’étais posé à moi-même. Mais ai-je vraiment besoin de le faire ? Keverra m’a surpris avec son premier longue-durée, faisant mouche à la fois dans mes goûts et tout court, tant il paraît avoir compris comment jouer un sludge actuel et à part dans le même temps, doté d’une atmosphère que peu arrivent à transmettre. La suite sera surveillée de près, soyez-en sûrs !
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