Le sentiment de perfection en musique n’est, d’habitude, pas ce qui m’intéresse quand j’en écoute. Alors qu’il est généralement de bon ton d’appuyer la maîtrise, la subtilité, la justesse d’exécution d’une œuvre comme des qualités premières, j’ai tendance à mettre ça en second plan, prenant les images et émotions que me procure un disque comme premiers éléments pour construire mon jugement sur celui-ci. Point de dissection de tel ou tel passage, point d’ébahissement sur telle ou telle transition, plutôt la recherche de la mise en mots (souvent maladroite et prétentieuse, c’est le jeu quand on s’attaque à « ce genre de choses ») de ce qui est transmis derrière tout cela.
Mais me voilà bien embêté. Car j’ai beau retourner la question dans tous les sens, c’est bien ce sentiment d’être face à une œuvre parfaite qui prime à l’écoute de
We Are the Romans. Je ne vais pas refaire ici l’historique de Botch, ce groupe aussi éphémère qu’important, approfondir ici son héritage ou ses origines. Wikipédia ou un fan de mathcore le feront bien mieux que moi, quitte à tromper sur la marchandise tant il est de coutume de dire que les Ricains sont ceux qui ont, non pas fondés, mais mis en place les bases de ce hardcore dissonant et complexe, où tout est construit à rebrousse-poil (une légende encore vivace aujourd’hui et dépassant le cadre du hardcore, n’est-ce pas Deathspell Omega ?).
Non, car vingt-et-une années après sa sortie, douze années après sa découverte, c’est bien ce caractère d’œuvre se suffisant à elle-même qui s’est imposé à moi, après un temps où
American Nervoso, son grand frère glaireux et maladroit, avait ma préférence. Aujourd’hui, je me demande comment il a pu en être autrement : tout dans ce disque est – on m’excusera de considérer le remix électro / dub de « Thank God for Worker Bees » comme un bonus et donc de l’évacuer de cette considération (je ne l’écoute par ailleurs jamais) – un manifeste définitif sur comment jouer ce type de hardcore, ce qu’il est, ce qu’il doit être. Un exemple de travail sur le mouvement, le riff et ce qui le suit étant aussi important l’un que l’autre. Un chef d’œuvre d’exécution, mot pris ici au pied de la lettre, avec cette voix stricte, même dans la douceur, cette batterie qui fourmille de mille détails mais n’oublie jamais de cogner à la tête, cette basse au groove rond et autoritaire malgré les contretemps, rage hardcore, grésillements et névroses industriels. Et cette guitare...
Cette guitare. Voilà certainement qui mène la danse ici, bien que ce soit également cette impression de symbiose, de totalité formée de talents individuels, qui marque sur
We Are the Romans. Ce qu’elle joue, encore de nos jours, paraît si extraterrestre et si élémentaire à la fois. D’une facilité d’approche, d’une accroche immédiate, et cependant si complexe, si généreuse d’idées. Ces mélodies qui se construisent au fur et à mesure, une ligne de basse devenant sa ligne, la mélodie principale s’alimentant d’elle pour donner un riff nouveau ; ces tappings s’accumulant, chacun fou et cependant allant si bien ensemble... « Harmonie des contraires » est une expression bien insuffisante pour dire ce que parvient à faire ici Botch, tant tout coule de source dans ces compositions tenant debout par miracle, fluides en dépit de l’ambition qu’elles contiennent. Parfaites, en tous points.
We Are the Romans est parfait, il n’y a finalement que ça à appuyer quand on parle de lui. Mais, heureusement pour moi et mes opinions à l’emporte-pièce, ses mosaïques devenant ensemble architecture d’une grâce baroque incompréhensible contiennent en elles quelque chose de bien assimilable, des émotions bien humaines, des névroses bien humaines également. Une histoire de dépassement de soi, introspection et inspection froide de son environnement quotidien. Une volonté de briser les conventions aussi bien musicalement que personnellement, une puissance s’échappant dans les torsions et flexions des structures. Des paroles surréalistes mais transmises avec une crudité qui laisse échapper la sueur, la colère, les muscles tendus, l’accomplissement dans l’exercice.
Résumons : clarté de la production, clarté du son, au service de la clarté du propos. Soit – hé ! – un autre élément touchant à la perfection ici. Bon dieu, comment voir ici une œuvre qui « a fait date », un « classique essentiel », alors que ce disque est tout autre, qu’il restera à jamais « autre » ? Je laisserai le soin à d’autre de parler de l’avant et de l’après : pour moi,
We Are the Romans n’a pas de catégorie. Il y a eu et, définitivement, il n’y aura que lui.
Par Keyser
Par Lestat
Par Lestat
Par Sosthène
Par Sosthène
Par MoM
Par Jean-Clint
Par Sosthène
Par AxGxB
Par Deathrash
Par Sikoo
Par Jean-Clint
Par Troll Traya
Par alexwilson
Par Sosthène