Dead Can Dance - Within The Realm Of A Dying Sun
Chronique
Dead Can Dance Within The Realm Of A Dying Sun
De la même manière que mon obsession musicale principale Fields of the Nephilim, Dead Can Dance est partout. Il habite les recoins de nombre de groupes que nous aimons. Souvent les mêmes que leurs compatriotes signés sur le même label parent d’ailleurs. Paradise Lost, Agalloch, Watain, Burzum… tous les illuminés mystiques qui règnent sous nos voûtes y sont passés. Trois albums du duo australo-anglais, en particulier, ont retenu l’attention des blackeux et des doomeux. Et puisqu’il faut bien commencer quelque part, autant attaquer par le plus sombre et le plus gothique de ces trois monuments, à savoir Within the Realm of a Dying Sun.
Moi, le post-punk, de base, ce n’est pas trop mon truc. J’aime bien certaines choses, mais je suis loin d’être un fan absolu du genre. Ce que j’aime bien, en revanche, c’est toute cette frange de groupes assez inclassables qui sont allés fertiliser le genre dont ils sont issus avec des claviers éthérés, des apports de musique classique, des voix rêveuse. Dead Can Dance est sans doute celui qui représente le mieux cette démarche. Passés les deux premiers albums encore bien trempés dans le post-punk, c’est sur Within the Realm of a Dying Sun que le groupe prend une autre couleur. Une âme moins cadrée peut-être, plus originale, plus exploratrice, plus juste surtout. Assez unique, en fait. Quelque chose de « médiévalisant » s’invite déjà à la fête. Des couleurs anciennes distordues, rêvées, romantiques, mais bien perceptibles. Revenez vingt ans plus tard, faites fleurir le tout, et vous trouverez le très baroque Sopor Aeternus (qui me plaît beaucoup moins soit dit en passant). Mais ici, en 1987, tout reste plus sobre. Pas minimaliste, mais austère tout de même. « Anywhere out of the World » fait tomber des notes de clavier tragiques, un tantinet théâtrales, avant de partir se promener dans une ambiance de château hanté. Un château sinistre, mais sans pour autant s’accompagner d'un ressenti lugubre ou glauque. On a plutôt l’impression d’une échappée, d’une traversée dans des lieux inquiétants, impalpables, diaphanes, peut-être un rien menaçants mais toujours plus évocateurs que ceux d’où l’on vient. On emprunte le passage sans savoir ce que l’on y trouvera et sans réellement comprendre ce que l’on y voit, mais délesté de tout regret. Il faut aller voir.
« Windfall » prend la suite idéale de cette entrée en terres oniriques. Cette fois, c’est la nuit en personne qui cueille l’arpenteur de rêve. Comme Randolph Carter, nous nous enfonçons dans les contrées du rêve, bigarrées, pittoresques, mythiques, et ses paysages tissés au fil d’éther sur le cadre du fantasme, de l’indicible. Les lois changeantes de ces lieux sont édictées de telle manière qu’il est impossible de deviner ce qui succédera aux visions déjà allongées sous nos yeux. Ainsi, « In the Wake of Adversity » donne un peu plus de fil à retordre L’adversité est bien présente, sous-jacente, dissimulée, ondulante. Les visions satinées de « Windfall » reposent déjà loin en arrière, et pourtant tout garde une unité exceptionnelle. Le son est si homogène, si cohérent d’une piste à l’autre que l‘on conserve l’impression indéfectible de randonner à travers des panoramas terriblement variés dans les émotions qu’ils suscitent, mais profondément liés par leur substance première.
En chemin, un monument est aperçu. Un cénotaphe, dressé à la mémoire d’un être cher parti vers l'Ailleurs. Un inconnu pour le voyageur égaré, pourtant touché en profondeur par cet hommage rendu. Les chants lointains de Lisa résonnent à travers les collines sous un ciel gris laineux, lâchement tendu devant un soleil mourant. Puis, la voix de Brendan prend le relais, altière et douce, sobre. Sublime. Un point culminant dans ce périple, un recueillement au pied d’un sanctuaire que l’on ne soupçonnait pas.
La seconde partie de notre traversé en ces étranges landes est tout aussi forte. Le tragique total de « Dawn of the Iconoclast » fait peur à entendre, avec ses nappes telluriques, son chant de flaminique et ses longues plaintes de cordes délétères. « Cantara » fait redescendre la tension avec des sonorités plus apaisées, plus claires, mais jamais totalement dénuées de trouble et de mystère. Un vent venu d’Orient s’invite, et lèche les mailles du rêve en une caresse soufrée. Les tambours se font battants, les incantations plus fiévreuses. La danse, tribale, rapide, rythmée, s'impose, inévitable.
C’est dans la beauté et la solennité que s’achève l’errance. « Summoning of the Muse « est un miracle de pureté, de grâce et de clarté. Une cathédrale aérienne, légère, aux formes simples et amples, tendues vers le zénith. Les lanuginosités accrochées à chaque spire tournoient indéfiniment, dans une lumière venue d’autres cieux. Grandiose. Et naturellement, c’est « Persephone » qui clôt la marche, cueillant ses ultimes pensées avant d’être ravie à nouveau par le Seigneur d’en-dessous. Une dernière récolte, sous le soleil mort d’une saison achevée, laissant place à une ère désolée. Tel est le cycle qui régit les contrées du rêve.
Sobre. Toujours sobre. Toujours juste. Dead Can Dance supprime le superflu, s'épanoui dans l'épure et le calme. Il ne s'agit plus même de dosage dans la composition musicale, mais bien de souveraine perception de ce qui doit être, du nécessaire. Et rien de plus. Et rien de moins.
Terminé, le voyage. Bien peu de temps s’est pourtant écoulé à l’échelle terrestre. Seulement, à la terre, nous n'appartenons plus complètement, désormais. Dead Can Dance a ravi une part de l’âme, et la tient enfermée dans des lieux envolées. Les contrées du rêve, lointaines, aperçues en songes, drapées dans les derniers rayons d’un astre éteint, se sont refermées. Ne demeurent que les échos de ce périple hanté, de ces paysages gravés dans l’esprit en une tapisserie fantomatique.
Crépusculaire. Cette fresque est crépusculaire.
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