Sainte Marie des Loups - Funérailles de Feu
Chronique
Sainte Marie des Loups Funérailles de Feu
Il y a déjà deux ans que Fallen Empire s'est éteint. Une écurie vouée à passer à la postérité, marquant définitivement la scène de son empreinte. Il faut bien dire que la qualité fut constante. Des Lluvia, des Skáphe, des Misþyrming, des Hwwauoch et autres Guðveiki, tant de noms imprononçables, des quatre coins du globe, mis en lumière (si je puis dire) huit ans durant par un label d'exception. Chacune réinterprétant, à sa manière, les codes d'un genre qui s'encroûte dans le routinier, le cliché. Jusqu'au bout fidèle à sa ligne de conduite, son dernier soupir, poussé à l'hiver 2018, fut également son ultime fournée : la meilleure pour la fin ? Pas loin. Et c'est dans cette dernière que se trouvait le tout premier long-format, éponyme, de Sainte Marie des Loups : après tout, un nom pareil se suffit à lui-même.
J'en avais d'ailleurs parlé dans ces pages. Un disque de qualité, austère, poussiéreux, servi à la perfection par un clavier qui rote la naphtaline et un chant braillard à souhait, sublimant le propos. Cuisiné dans le même chaudron rouillé que les grands Anciens du genre : certes, le disque se trimballe un arrière-goût tenace, très marqué par ses modèles, mais il reste diablement savoureux pour qui aime son Black Metal quand il est sans fioritures, ni conservateurs (dans tous les sens du terme, diront les taquins). Et c'est donc en guise de dessert, à cette année qui s'est avérée être un vrai buffet gastronomique en matière de musique énervée, que le projet parallèle de O. (Chambre Froide, Meurtrières) revient assiéger nos tympans, sous la coupe du très qualitatif Amor Fati, résumant ce nouveau méfait par trois adjectifs lapidaires : "Triomphant, misérable, vindicatif."
"Funérailles de Feu", le bien-nommé... J'y retrouve, avec délice, tout ce que je peux rechercher dans le style : quelque chose d'authentique, de sincère, et surtout, d'évocateur. Au-delà de cette production très crue, cette batterie qui claque sèchement en arrière-plan, cette basse discrète mais indispensable qui refuse le statut ingrat que lui réserve habituellement le style, c'est cet ensemble de riffs bouillonnants, ces plans tantôt galopants (l'ouverture de "Meurtrières"), tantôt beaucoup plus pesants (l'excellent "Dans les yeux de Meduse"), qui font mouche à chaque flèche décochée. "Funérailles de Feu" est drapé tout entier de ses atours médiévaux, présents sur cette somptueuse pochette et qui résument à la perfection ce qu'il faut attendre de cet opus. La tiare, pour le Seigneur au plectre, qui semble nous regarder de haut à chacune des saillies ultimes et tonitruantes qu'il arrache à ses cordes; L'épée, qui taille, tranche, reflet tout trouvé de cette section rythmique baveuse; et la cape, éternel motif du genre, qui pourraient aussi bien faire écho au mystère qui entoure la formation qu'aux paroles, qui nous réservent quelques instants de gloire : "Le chaos survivra !", "Je n'existe qu'à travers la parole tremblante !", "Dans les yeux de Méduse se termine le tête-à-tête de la jeunesse arrogante avec la mort...", "Ici je suis Seigneur ! Ici je suis Dieu ! Mes voies sont impénétrables !" sans oublier ces "Amen !" qui accompagnent les brutaux coup de boutoir concluant "Interdit et Oublié", probablement l'un des meilleurs titres de l'opus. Ce chant en français, toujours vociféré la bouche écumante, vient parachever l'aura menaçante de "Funérailles de Feu". D'aucuns le trouveront peut-être un peu simplet, peu m'importe, il colle au disque à merveille et ne fait qu'accentuer l'envie de lever le poing au ciel.
Quelle ambiance ! Quelle atmosphère ! Sainte Marie des Loups réussit à convoquer ce qui fait la force de ses influences, sans jamais sombrer dans la copie carbone. J'y retrouve cette impression d'arpenter les couloirs humides de Montségur, accompagné par Abigor ou Satyricon; ce côté ésotérique, quasi-mystique, qui s'incarne tant dans la plume que dans le chant de O., me rappellant à bien des égards l'inimitable verve d'Animal/Maldoror (Sa Meute), celle-là même qui a rendu l'album "50 Contre 1" légendaire. Du Black Metal joué par des chevaliers roublards qui ont renié Roi, honneur et foi pour goûter aux plaisirs interdits; Celui de la fange avinée des tavernes, de la fièvre des sabbats conduits nus dans les bois, du fanatisme dissimulé derrière les lourdes pierres des cathédrales. "Funérailles de Feu" est un bijou de l'underground, s'adressant à une assemblée d'apostats, de grouillots, bref, à la truandaille qui se rêve seigneur - et dont, pourtant, chaque note, chaque motif, chaque break confine au divin, au superbe, au grandiose. Bref, en un mot comme en cent, un cru exceptionnel, qui s'impose sans peine au milieu des nombreuses perles que l'année a pu nous offrir.
| Sagamore 30 Novembre 2020 - 2614 lectures |
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