Worm - Gloomlord
Chronique
Worm Gloomlord
En amour comme en musique, il arrive parfois que ce ne soit pas toujours le coup de foudre dès le premier regard et que par conséquent un petit travail de séduction ou d’usure soit nécessaire pour espérer arriver à ses fins. C’est ce qu’il s’est passé avec les Américains de Worm qui fin 2019 n’ont pas su m’emballer avec la sortie de leur deuxième album paru sur le label Iron Bonehead Productions. À leur décharge, j’ai le souvenir de ne pas avoir été très assidu à la tâche, bâclant probablement cette première rencontre par un manque d’attention pour le moins pénalisant... Il faudra attendre un second rendez-vous, espacé de plusieurs mois, pour que je succombe enfin aux charmes rances du duo américain.
Originaire de l’état de Floride, Worm fait des débuts modestes et discrets avec les sorties en 2014 et 2016 de deux démos cassettes proposant à l’époque un Black Metal primitif et rudimentaire comme on en trouve à la pelle aujourd’hui, en tout cas pour tous ceux qui savent creuser là où il faut. Le duo décide pourtant de changer son fusil d’épaule et de pointer son canon dans une toute autre direction en empruntant dorénavant le chemin d’un Death/Doom vicieux et maladif ayant pour toile de fond les marais humides et étouffants du Sunshine State. Sous la bannière d’Iron Bonehead Productions, Worm sort son premier album en 2017 (Evocation Of The Black Marsh) avant de poursuivre deux ans plus tard avec la parution d’un deuxième opus intitulé Gloomlord dont l’illustration verdâtre fort à propos sera confiée au jeune (Rock you like a...) Yuri Kahan, ancien guitariste de Funebrarum ayant déjà usé ses crayons/pinceaux/stylets pour des formations telles qu’Antichrist Siege Machine, Cerebral Rot, Chthe’ilist, Mortiferum, Ossuarium, Tomb Mold, Witch Vomit...
Suffocante, moite et particulièrement vicieuse, la formule du duo américain n’est pas sans rappeler par certains aspects celles de quelques-uns de ses ainés à commencer par diSEMBOWELMENT, Thergothon, Spectral Voice, Evoken et Goatlord. On va notamment retrouver sur Gloomlord ces mêmes mélodies lointaines, étranges et désarticulées qui d’emblée vont donner une couleur fantomatique et crépusculaire bien particulière à ce Death/Doom littéralement possédé. Des premières secondes de "Putrefying Swamp Mists At Dusk (Intro)", "Rotting Spheres Of Sentient Black" et "Apparitions Of Gloom" en passant par "Abysmal Dimensions" (titre en forme de clin d’oeil à la première démo avortée des Finlandais de Thergothon), les références à Transcendence Into The Peripheral, Eroded Corridors Of Unbeing, Antithesis Of Light et Stream From The Heavens semblent pour le moins évidentes.
Alors certains ne manqueront probablement pas de crier au scandale face à ce genre de mimétisme mais au-delà du simple fait que j’adore ce type de mélodies déglinguées desquelles émanent un véritable sentiment de folie, Worm a surtout choisi d’aborder les choses un petit peu différemment de tous ces groupes précités (à l’exception de Goatlord peut-être pour cette production très à l'ancienne et l'usage sporadique de ce clavier) notamment en conservant une partie de son identité première, lorsque le groupe faisait encore du Black Metal. Cela va se jouer au niveau des vocalises de Phantomslaughter qui à la manière de ce que l’on peut trouver chez Swallowed et Black Curse, va faire s’entremêler plusieurs types de chants. D’abord une voix profonde et caverneuse qui ne surprendra personne puisque c’est bien ce genre de vocalises abyssales que l’on trouve en règle générale sur ce genre de Death/Doom aussi rampant. Ensuite ces brèves envolées quasi-religieuses constatées à quelques reprises sur l’excellent "Abysmal Dimensions" et qui à leur manière vont nourrir une espèce d’atmosphère plus lumineuse et solennelle. Mais c’est surtout ce chant écorché et littéralement possédé à l'esprit résolument Black Metal qui va renforcer le caractère atypique des Floridiens. Déjà particulièrement épaisse et suffocante, la musique du duo va se retrouver enveloppée d’une sensation de malaise extrêmement dérangeante et particulièrement saisissante qui ne laissera probablement personne indemne. Autre atout de Worm, plus discret néanmoins, ces quelques leads mélodiques assez incroyables dispensés sur "Apparitions Of Gloom" à 5:53 et "Melting The Necrosphere" à 5:58. Des leads que je n’avais pas vu venir mais qui vont pourtant réussir à me coller systématiquement des frissons et qui, plus surprenant encore, vont d'une certaine manière faire écho à la scène Tech Death floridienne des années 90 et notamment à Chuck Schuldiner et Death ! Il est ainsi presque dommage que Worm n’ait pas choisi d’en proposer davantage tant leur apport est grand sur chacun de ces deux morceaux. Une absence relative qui s'explique probablement par le fait qu’ils soient à priori l’oeuvre d’un troisième larron identifié comme étant monsieur Nihilistic Manifesto...
Vous l’aurez compris, il y a quelque chose de pas net chez Worm et c’est bien cela qui fait le charme et l’intérêt de ce Death/Doom particulièrement moite et putride. De ces mélodies tordues et inquiétantes à ces voix complètement habitées en passant par ces riffs pesants et décharnés, ces brefs et plutôt modérés changements de rythmes (pas de franches accélérations ici comme chez diSEMBOWELMENT ou Spectral Voice par exemple) ou bien ces quelques touches mélodiques qui n’auront aucun mal à vous hérisser le poil, il y a chez les Floridiens un sens de la particularité finalement bien plus développé qu’il n’y paraît de prime abord. Une identité affirmée qui emprunte effectivement à d’autres en même temps qu’elle réussi à créer quelque chose d’assez unique. En attendant que la suite arrive (et elle devrait d’ailleurs arriver d’ici peu), voilà un album de Death/Doom pour le moins atypique et vénéneux qui ne devrait pas manquer d’interpeller ceux qui encore aujourd’hui seraient passés à côté...
| AxGxB 15 Mars 2021 - 1108 lectures |
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