Je me méfie toujours d’un groupe ou d’un disque qualifié de « perle injustement méconnue, culte pour une poignée d’avertis ». Des formules que j’utilise moi-même, en bon chroniqueur pas toujours inspiré, et que l’on retrouve de plus en plus, sans doute en raison d’un retour en force du rétrograde où l’amateur de metal se déguise en bibliothécaire, Internet aidant. Alors qu’on peut également légitimement se dire que si une œuvre est jetée aux oubliettes, ce n’est peut-être pas pour rien… Ainsi, quand je me suis penché sur Doom Snake Cult, j’avais quelques doutes.
Car oui, cette formation coche toutes les cases de celle rangée aux archives et ressortie on-ne-sait-trop pourquoi. Active au niveau discographique de 1987 à 1992, elle n’aura réalisé qu’un album faisant suite à trois démos :
Love Sorrow Doom, dont les rééditions tarderont à venir, en 2004 puis 2015 via le label Nuclear War Now!. Le portrait d’un disque oublié au fil du temps mais en réalité « culte » semble déjà chargé et la suite continue d’aller dans ce sens, puisque Doom Snake Cult n’est rien d’autre que le projet de Ace Still, réputé pour être le leader du « culte » (hé oui, encore) Goatlord – décédé en 2017. Certes, la réalité est plus complexe, Ace ayant rejoint la bande après sa première démo – et même enregistré avec les autres membres cet unique longue-durée en 1990, soit un an avant la sortie de
Reflections of the Solstice – mais rien que ce bref historique tend à prouver que l’on a ici un groupe que les fanatiques de doom / death et d’exhumation auront envie d’acclamer malgré un anonymat mérité, un peu à la manière d’un Decomposed.
Seulement, je me suis rapidement rendu compte que Doom Snake Cult avait quelque chose pour lui qui le rendait à-part, dépassant la catégorie « des formations qu’il est bon de connaître quand on prétend connaître » (*rires*). Rien de bien original sur le papier,
Love Sorrow Doom présentant un son très inspiré par Hellhammer et les premiers Celtic Frost, cru et primaire. Clairement, l’époque marque ces quarante-et-une minutes, la production stridente – tout de même bonne pour un album de cet acabit, chaque instrument trouvant sa place – et surtout cette façon de composer, basique sans être simpliste, renvoient à une période où le metal se pensait transgressif avant toutes choses. Une somme d’éléments qui peut laisser croire que les Ricains se rapprochent de Winter et son doom / death également influencé par les débuts de Tom G. Warrior.
La réalité est en fait tout autre,
Love Sorrow Doom faisant tout pour mériter son acronyme à peine caché. Le LSD ne se ressent pas uniquement dans le bel artwork de Manuel Tinnemans réalisé pour la réédition de 2015 : il déborde de cette musique rongée et dérangée, jouant d’un groove bêta pour mieux entêter et assaillir d’hallucinations aussi morbides que bigarrées. Le meilleur exemple de cet assaut des sens est sans doute « Carnival Freak Show », son démarrage de fête foraine inquiétante, ses guitares nauséeuses, ses cris d’édenté en pleine descente. Une bizarrerie, faisant imaginer des idiots comme les sludgeux d’Upsidedown Cross se perdant dans le labyrinthe psychédélique de Cathedral et son
Forest of Equilibrium (cf. le malaise « Enchanted Cerebral Forest », proche en esprit de ce qu’a sorti un an plus tôt la bande à Lee Dorian). Urgh.
Voilà qui, derrière des airs de musique inscrite dans son époque, est assez loin de ce que l’on peut imaginer. Quand, en plus, on découvre, surpris puis pris, que ce groove guidant la marche s’avère étrangement jouissif, presque bienheureux malgré une santé mentale partant en lambeaux au fur et à mesure que les riffs s’ébrouent – les vitesses aléatoires de « Tribal Séance », sacrément remuantes –, on se dit que Doom Snake Cult n’était clairement pas un groupe oublié en raison d’une personnalité transparente mais bien car il était trop excessif pour son temps. Un temps dont il garde cette saveur punk, ici retranscrite avec une spontanéité réjouissante (les accélérations de « Fertility Rite » ou encore « Doom ») mais aussi une répétitivité qui, selon les dispositions, peut être aussi ennuyante que prenante.
Indéniablement doom, mais un doom qui se ferait carnassier comme le death, chaleureux comme le stoner, sale comme le sludge, cet album n’est pas à mettre entre toutes les mains, son style particulier pouvant être vu comme trop délirant ou monotone selon les goûts de chacun. Il faut dire que la voix de Ace Still, aussi cramée que constante, demande à s’investir un peu pour apprécier cet univers psychédélique et malade que peint Doom Snake Cult. Mais qu’on n’en doute pas : en dépit d’un plaisir aléatoire en fonction de mon état d’esprit quand je vais vers elle,
Love Sorrow Doom est une perle injustement méconnue, culte pour une poignée d’avertis. Hé…
La pochette de la réédition de 2015
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