Salut Pierre-Marie. Tu fais partie de Lex Talionis, avec qui tu as sorti 3 albums, et tu as par ailleurs sorti l'année dernière un album solo, « Illuvatar ». Au vu de la musique pratiquée par ces 2 entités, sur Thrasho tu es perçu comme étant un shredder volubile appréciant les univers froids, martiaux et les sonorités très synthétiques. Tu voudras peut-être compléter / nuancer / recadrer cette présentation et les a priori qu'elle sous-entend?
Personnellement, je ne tiens pas spécialement à ce qu'on fasse de rapprochement entre Lex Talionis et ce que je fais en solo car je pense que c'est très différent. D'un côté, Lex Talionis est le groupe que j'ai formé quand j'étais ado, c'est ce qu'on appelait à l'époque du techno death. On était à fond dans Nocturnus et au fil des disques on a poussé le bouchon un peu loin dans le futuriste, le brutal et les grigris pseudo techniques.
En solo, je ne fais pas du metal, je me fais mon petit plaisir avec mes grattes. C'est de la gratte avec des références à mes idoles : Malmsteen, Holdsworth, Buckethead, Shawn Lane, Satriani, Metheny, Jordan Rudess, Richard Anderson, Kevin Moore, etc,… Je tente aussi de développer des ambiances dans un style un peu musique de film à la Vangelis etc,…
Enfin, notons que Lex Talionis a sorti 4 albums. Le 4ème est sorti sur le label Nosides records de Chicago, en tout cas c'est ce que le mec du label m'avais promis, … Aucune distribution en europe et aucune nouvelle du gars,… C'est un label de musique expérimentale et ce disque était une commande du label lui-même. 3 titres 32 minutes « sorti » en 2007. C'est un disque assez mauvais mais avec un très bon son.
Les deux formations au sein desquelles tu t'exprimes ont en commun beaucoup de choses sur le fond comme sur la forme: l'importance accordée au shred, le traitement informatique du son de la guitare, la BAR, le côté martial … Les deux « groupes » sont ils bien distincts à tes yeux, ou l'un est-il le prolongement de l'autre? Quelles sont les limites de l'un et de l'autre? Comment sais-tu si un morceau doit enrichir le répertoire de LexTalionis ou celui de ton projet perso?
Comme je le disais, en haut, oui, c'est très différent. En revanche, t'as raison, j'ai pas mal édité mes sons de gratte sur le Lex Talionis et sur mon disque solo. Par contre le Lex Talionis est plus axé sur le travail du son. En solo, c'est allé très vite, c'est presque un album live, j'ai surtout essayé de ne pas trop faire de pains. Côté son, j'ai tenté de faire un peu comme Holdsworth sur ses albums où il jouait de la Synth-axe. J'ai alterné le synthétique et le « normal » tout en gardant une unité dans le son de gratte.
Pour les arrangements batterie, j'ai effectivement mélangé les vraies parties et les parties programmées ; J'aime bien ça. Pour les synthés j'aime bien les synthés des 80's. A l'époque ils étaient hors de prix, maintenant ils sont passés de mode.
Les albums que tu as pu sortir, que ce soit avec Lex Talionis ou tout seul, ont en général déclenché des réactions assez extrêmes, certains te plaçant parmi les meilleurs guitaristes français (c'est tout du moins l'avis d'un autre chroniqueur de Thrasho) alors que d'autres (sans doute les plus bruyants) restant fortement dubitatifs (là je fais dans l'euphémisme). Comment vis-tu ces réactions passionnées? Ce n'est pas trop dur d'être confronté à des jugements parfois cruels, alors que je peux imaginer que créer un album demande un fort investissement personnel, voire émotionnel?
L'album de Lex Talionis a eu des chroniques très variées effectivement ; Soit on adhère, soit on déteste. Les deux albums d'avant ont été largement mieux reçus. Ils avaient d'excellentes chroniques, vraiment. Tout a dégringolé avec guitarscreamachine. Mon album solo, lui, a pris de sacrées roustes ! Heureusement il y a eu pas mal de très bonnes appréciations et pas mal de guitaristes m'ont exprimé leur respect, ça a un peu contrebalancé le fiasco commercial et les critiques les plus dures.
Puisqu'on en est à parler des réactions des métalleux à ta musique: personnellement, j'aime le dernier Lex Talionis, qui renferme quelques moments très forts – dont le morceau « The Fall » ! –, alors que je n'ai vraiment pas accroché à « Illuvatar ». Bizarre quand on regarde les points communs évidents qui existent entre les 2 univers … Mais je trouve que sur « Guitarescreamachine » tu as vraiment mieux réussi à développer des morceaux aux identités distinctes et fortes. Tu en penses quoi ?
Non, c'est pas si bizarre. Je pense que ces deux disques sont très différents du point de vue des styles. Après, je ne suis pas du tout un guitariste polyvalent, mais alors vraiment pas. On doit donc reconnaître mon son et dans une moindre mesure mon jeu.
Après, je pense qu'un pur fan de metal ne peut pas aimer ce que je fais en solo tandis qu'un metalleux qui écoute du techno death mais aussi des trucs comme the berzerker ou agoraphobic nosebleed peut aimer guitarscreamachine. C'est même un truc assez ultime dans ces genres.
Autant on a l'habitude que les musiciens amateurs de machines et de sonorités synthétiques donnent dans l'indus ou l'electro, autant c'est plus inhabituel pour un virtuose de la guitare... D'où te vient cette passion? Tu trouves l'approche classique, « organique » de la guitare – forcément plus sujette aux approximations – trop imparfaite? Y a-t-il des groupes que tu apprécies et qui t'ont inconsciemment conduit dans cette voie (tu me parlais de Nocturnus ...).
Pour Lex Talionis, l'utilisation des machines vient clairement du concept futuriste de nos idoles Nocturnus qu'il était très logique de prolonger ainsi.
Pour ce que je fais à la gratte, rien de bien intellectualisé. J'ai copié Holdsworth et Metheny notamment. Quand j'ai vu Holdsworth sortir la synth-axe ou Metheny faire des sustain fous j'ai voulu jouer du synthé à la guitare. Quand j'ai réussi à le faire, j'ai trouvé ça tellement géant que j'ai développé ça pendant des années.
C'est pas une histoire de perfection, mais d'édition du son. Certains jouent sur certains amplis avec des effets. Moi, j'aime utiliser des capteurs, des synth-axes pour travailler mon son et le toucher du jeu. D'ailleurs je n'utilise que peu d'effets de guitaristes : aucun delay, juste une légère reverb.
Aujourd'hui, je n'utilise presque plus de synthés. Mon envie est repartie. J'ai une gratte assez commune et mon ampli. C'est tout. Parfois je me fais un petit synthé analogique mais j'ai arrêté les synthés traduisant les signaux de la guitare en signaux informatiques. C'est très compliqué et très difficile à jouer. Pour tout dire, ce sont des systèmes qui ne sont pas encore au point. C'est trop d'investissement pour un résultat souvent décevant. C'est bien pour les arrangements mais pas à utiliser souvent en lead.
Après, en live, ça scotche toujours un peu les gens de sortir un solo de saxo ou de batterie à la guitare. C'est bien pour frimer.
Il y a un côté un peu kitsch dans ta musique, qui vient principalement de l'utilisation de certaines sonorités un peu datées « de clavier », ainsi probablement que de l'utilisation de la BAR. C'est voulu et assumé pour participer à l'ambiance générale, ou bien c'est uniquement une question de ressenti … ? Tu n'as pas envisagé de laisser plus de place à un vrai batteur (bien qu'il semble qu'il y en ait déjà un, Jean-Georges, qui soit crédité sur les 2 albums)
Pour Lex Talionis, qui a écouté les sons utilisés par Nocturnus comprendra notre amour pour les synthés de 1989,…
Après, dans Lex talionis, on utilise des BAR, des samples, des boucles des effets, tout ça pour densifier et exprimer le côté apocalyptique de notre musique. La particularité est que Jean-Georges est un peu mon alter ego en matière de batteurs et il a su se mettre en retrait pour travailler avec des capteurs, des boucles etc,… C'est lui qui a tout programmé et qui a tout déclenché avec sa batterie électronique. C'est assez taré à voir. Un mélange entre un batteur et un DJ. Il a même joué des mélodies de synthé avec ses toms. C'est très amusant.
Pour mon album solo, on a fait au mieux. C'est pas du tout pareil car il n'y a pas de mix de batteries jouées et d'autres programmées, ça s'enchaîne. Pour le son, on a fait comme on pouvait en 6 jours. Mais la batterie est très en retrait et il n'y a pas 36 solutions pour qu'on entende les percussions quand en même temps la gratte solo déboule et les synthés font aussi un certain bordel. Enfin, ajoutons que l'objectif était aussi de sonner 80's.
Les titres des morcaux de« Guitarescreamachine » sont assez spéciaux (du type « Study N°xyz##, blabla »). C'est pour souligner que cet album est constituée d'une suite d'expériences pas forcément faciles à appréhender quand on n'est pas initié ?
Non. En fait, c'est juste que les titres ont des noms de code quand on les travaille. On en fait plusieurs versions et on est obligé de différencier les noms. Résultat, à la fin, on se trouve avec des noms de codes qui n'ont plus de sens et qui sonnent très énigmatiques. On a donc repris ces noms de code car on aimait bien cette idée de titre par accident.
Es-tu impliqué dans d'autres formations évoluant dans des styles différents qui nous permettrait de découvrir ton jeu de guitare dans un mode plus « classique » ?
Non, plus maintenant je ne joue plus dans d'autres groupes.
Après, mon jeu est assez limité. C'est de façon assez basique un jeu de hard rocker néoclassique qui mise tout sur la vitesse. J'ai appris des plans jazz-fusion que je place dans tout ça car j'aime ce style mais il ne serait pas honnête de dire que je sais jouer du vrai jazz. Je sais aussi jouer du metal. En dehors de ça, je suis assez nul.
Donc ce que vous entendez sur mes disques c'est tout ce que je sais faire. Sur le 3ème Lex Talionis, j'alterne le jeu avec des sons synthétiques et le jeu avec des sons plus classiques. C'est globalement pareil sur mon album solo.
Même sur ces disques on peut donc entendre un son relativement habituel et un son plus synthétique, un peu comme si on ajoutait un côté instrument à vent. J'ai piqué l'idée aux gratteux fusion que je citais plus haut.
Sur les anciens albums de Lex Talionis, il y a moins d'arrangements, moins de guitares synthé et je suis moins bon aussi, donc on peut entendre plus facilement un jeu qu'on peut qualifier de plus classique.
A propos de la scène: Je crois savoir que Lex Talionis s'est déjà produit sur les planches … Mais est-ce le cas de ton projet solo ? Je suppose que ça doit demander une certaine logistique pour reproduire ta musique en live … Vous en profitez pour interpréter une version plus brute des morceaux ou bien arrivez-vous à garder cette marque de fabrique « Musique from The Matrix » ?
Avec Lex Talionis, à l'époque de The supreme aggression, on a pas mal joué surtout en festivals, en République Tchèque, en Hollande et en France. On a partagé des scènes avec de gros groupes : Cannibal Corpse, Behemoth, Kataklysm, Impaled Nazarene, Dismember, Holy Moses, etc,… On peut jouer du Lex Talionis fidèlement en live mais il faut des retours casque et d'autres machins techniques. J'aimerais bien faire ça maintenant. Avec mon expérience, je pense que ça pourrait être vraiment super bien.
J'ai jamais joué live en solo. C'est impossible pour un groupe qui ne fait pas ça 8h par jour. J'ai pas vraiment fait dans le modeste pour ce disque.
Quels sont tes plans pour l'avenir: un album en solo, un autre album de Lex Talionis, un nouveau projet ?
J'aimerais bien faire les deux. Par contre, je suis motivé pour faire des disques largement plus old school, j'ai suffisamment bidouillé avec mes précédents disques. En devenant vieux peut-être que je deviens nostalgique aussi.
Ensuite, le marché du disque a « légèrement » changé et il me faut le temps de m'adapter. Désormais, j'ai mon propre studio, ce qui me donne une grosse indépendance. Je pense que je vais très bien m'acclimater au nouveau marché de la musique qui passe par Internet, assurément.
Enfin, je me laisse le temps pour tout ça car en ce moment, je me concentre pour m'accomplir techniquement. C'est peut-être idiot mais je suis persuadé que dans mon domaine je peux atteindre un niveau vraiment intéressant. En parallèle à la technique pure, j'intègre à mon jeu le plus de plans de musique classique et baroque possible car c'est vraiment ce vocabulaire que je veux employer.
Merci pour cette interview Pierre-Marie. Tu peux profiter de cette dernière « question » pour faire passer tous les messages qui te tiennent à coeur.
Merci à toi surtout et à toute l'équipe de Thrashocore. J'invite les gens à découvrir les disques de Lex Talionis qui valent le coup. Par contre vous pouvez oublier mon disque solo qui semble destiné à rester une sorte de private joke. Vous pouvez aussi attendre mes prochaines productions car je bosse la technique tous les jours et en plus, avec l'âge, je commence à avoir une certaine maturité artistique.
@bientot et merci encore à tous ceux qui soutiennent Lex Talionis, nous apprécions vraiment beaucoup.
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