Si vous lisez l'interview qui suit en commençant par la fin, vous comprendrez qu'YVONXHE est un groupe qui a de l'humour puisqu'il conclut en plaisantait sur la longueur de ses réponses qui contraste avec la durée toujours riquiqui de ses morceaux. Ce sont d'ailleurs les trois membres qui ont fait l'effort de répondre à mes questions et ils ont été excellents. On s'attendait à des bourrins trve underground un peu pédant, eh bien pas du tout. Ils sont bavards et vont nous parler aussi bien de MAYHEM, que de BABYMETAL, de Ukiyo-e, de politique et de Thrashocore !1. D’abord pouvez-vous nous donner des explications sur le nom du groupe ?
Shit-Cho : On nous dit souvent que c’est un drôle de nom. Et on le pense aussi. Pour être honnêtes, on a juste choisi des lettres de l’alphabet comme ça, sans réfléchir. Sans même réfléchir à la prononciation non plus. Nommer un groupe avec un mot qui a un sens bien défini est dangereux, car cela entraine des idées préconçues. Choisir un nom avec une signification devient un engagement important, valable pour un groupe qui se forme avec la volonté d’exprimer une idée en particulier et qui se sent de la garder, mais nous, nous voulions interpréter le black d’une manière plus souple. C’est pour cela que nous avons opté pour un nom qui ne veut rien dire. Nous voulions exprimer l’ensemble des émotions, pas quelques-unes seulement. Cela explique notre choix. On a décidé de le prononcer I-Von-Kché, mais ça aussi c’est parce que c’était la proposition d’un ami américain quand on lui a montré l’orthographe
YVONXHE. Il était bien ennuyé d’ailleurs. Bah oui, c’est comme si un étranger avait choisi des idéogrammes au hasard et demandait un japonais comment ça se lit... Du coup voilà, le nom du groupe n’a aucun sens, mais ça représente bien la façon de penser du groupe.
Jirolian : Quand je suis arrivé dans le groupe j’étais pas un membre permanent. J’ai vu le nom du groupe et je me suis dit : « Cool ». Mais j’ai appris la prononciation récemment (rire).
Diezine : Dès que nous avons formé le groupe, on s’est dit que notre musique allait évoluer. On nous étiquette comme Black Metal Primitif, mais c’est juste qu’à nos débuts nous faisions tout par nous-mêmes pour les enregistrements, et nous n’avions pas les connaissances techniques et le savoir-faire pour sonner autrement que primitif. On ne va pas dans une direction pré-établie. On se laisse volontairement aller par l’alchimie entre nous. On est du coup « black metal » maintenant, mais ça pourrait bien changer. On se contente de pousser au maximum nos sentiments.
2. J’habite au Japon depuis près de 15 ans. Mais pourtant je rencontre peu de personnes qui aiment le black. Pourquoi à votre avis ? Comment avez-vous découvert ce style musical ?
Shit-cho : Au Japon, le public de black est très restreint. Et d’ailleurs c’est le metal dans un sens large qui n’est pas très exposé ici. On dit que le Japon est le vivier du metal, mais enon, en fait c’est un puit à musique occidentales. Pendant longtemps au Japon ça a été la mode d’écouter de la musique étrangère. Et dans les années 80, le heavy metal qui marchait dans les pays occidentaux connaissait le succès ici aussi. Dans les années 90 ce genre n’était plus trop à la mode en Amérique et en Europe, mais il est resté populaire au Japon, il y a eu un décalage. Les groupes qui venaient faire des concerts au Japon en étaient surpris, et c’est pour ça qu’on a dit que le Japon était le pays du metal et que le public y était nombreux. Et les choses ont changé avec le 21ème siècle. Et puis les frontières entre « musique occidentale » et « musique japonaise » se sont atténuées. Pour de plus en personnes ce n’est même plus une priorité d’écouter de la musique. Et pire, la plupart des Japonais n’ont jamais écouté de musique metal, ils s’en foutent. Ça, c’est la réalité. Alors bien entendu, il y a encore moins de chance de découvrir le black ! Mais bon, de toutes façons ce n’est pas un genre qui a vocation à être aimé de tous, donc pour nous ça ne change rien, ça n’apporte aucune frustration. La scène underground continue de vivre, quelle que soit l’époque. C’est sûr que vous ne risquez pas de rencontrer des fans de black metal tous les jours au Japon dans votre vie quotidienne... Par contre c’est une autre histoire si vous pénétrez dans le monde de l’underground. Il y a des gens passionnés qui tiennent des discours très profonds. C’est juste qu’il faut réussir à accéder à ce monde... Personnellement j’ai découvert le black metal lorsque j’étais étudiant et que j’ai monté un groupe avec le vendeur d’un magasin de musique metal. Il m’a présenté
MAYHEM et
BURZUM. C’était nouveau pour moi qui étais fan de thrash et qui écoutait surtout
PANTERA,
METALLICA,
SLAYER,
EXODUS, ou
DESTRUCTION. A partir de ce moment-là je suis resté à fond dans le black. Alors au lieu de parler de rencontre avec le black metal, je dirais que c’est une rencontre avec une personne qui m’a amené ici.
Diezine : Shit-cho m’a fait écouter l’album
Si Monumentum Requires, Circumspice de
DEATHSPELL OMEGA à sa sortie. Je connaissais déjà le style black metal, mais je n’avais pas vraiment approfondi. Cet album a été un choc, uné révélation qui m’a fait oublier mes préjugés. Depuis, je suis dans le black, car c'est la musique qui plonge le plus dans l’obscurité de l’âme humaine.
3. En écoutant le musique d’YVONXHE on a l’impression d’écouter un groupe des 90’s. Surtout les Légions Noires. J’ai l’impression que beaucoup de groupes japonais ont été influencés par la France, non ?
Diezine : C’est vrai que si on sonne 90’s c’est à cause de nos influences ancrées dans les années 80 et 90. On ne se focalise pas vraiment sur les groupes français, même si effectivement on a une certaine sympathie pour beaucoup d’entre eux. Il se peut que nos deux pays aient une sensibilité proche concernant l’esthétique. Cela fait plaisir d’être comparé à la scène française, mais ce n’est vraiment pas fait intentionnellement. Et on la connaît assez mal en fait. Nos influences, ce serait plutôt la musique qu’on écoutait avant le black, et donc le death metal ou la NWOBHM...
4. Avec seulement deux très courts EP et un album lui aussi riquiqui, YVONXHE est parvenu à devenir un espoir du Trve black japonais, mais aussi mondial. Vous faites attention aux retours concernant votre musique ?
Diezine : Quand on a sorti notre premier EP on a été surpris de voir des chroniques à l’étranger, avant même de sortir un album ! Les fans de black metal ont quand même de sacrées antennes ! Alors c’est vrai qu’on est curieux de connaître les réactions après une sortie mais on ne peut pas dire que cela ait une influence sur notre travail. Notre musique est particulièrement introvertie et elle reflète plutôt ce qu’il y a de plus profond dans notre conscience. Quand on se concentre sur la composition, toutes les opinions et commentaires extérieurs deviennent des barrières. On a donc plutôt envie de savoir ce que les gens pensent du résultat final. Du coup, on a tendance à lire les chroniques de nos albums. C’est pour ça qu’on a traduit et lu les chroniques de nos sorties sur Thrashocore (rire). Désolé de faire des albums trop courts !
5. Vous faites une musique qui est mue par la haine, la colère, l’aigreur, l’esprit de vengeance... Pourtant à l’étranger on dit souvent que « les Japonais sont tous gentils », que « le Japon est un pays sûr et pacifique ». On a l’image d’un pays agréable, serein. Cela en étonne certains d’y trouver une musique comme la votre. D’ou vient votre « haine » ?
Diezine : C’est vrai, le Japon est un pays en paix et sûr. Il a un peu perdu de sa splendeur mais il reste un pays riche. Et s’il n’y a pas de problème de faim au niveau national et que les gens semblent satisfaits, il y a tout de même un sentiment de vide qui empêche d’être réellement satisfait. Le Japon c’est une société qui cherche la perfection. On y trouve normal de pouvoir tout faire, qu’il n’y ait pas d’impossible. C’est un pays où l’on bosse tous les jours sans que les trains ne soient en retard ne serait-ce que d’une minute. Le monde est devenu dur à vivre pour des gens comme nous, des personnes imparfaites qui ne peuvent malheureusement pas se familiariser à ce système si « parfait ». Du coup on devient une minorité. Et au Japon, quand on descend du bus, personne ne nous aide à y remonter. La deuxième chance, ça n’existe pas. Et puis il y a le problème de la politique. Un gouvernement traître à la Nation, de faux patriotes, une gauche de merde qui n’arrive pas à s’unir, une pléiade de problèmes au quotidien… On est largué, on n’a pas notre place… Alors on a bien entendu de la colère, mais on a surtout de la tristesse. Parce que la mort, on la voit, elle n’est pas si loin que ça. On a souvent l’impression d’être déjà morts. Notre black metal ce n’est pas de la fantasy, ce n’est pas un jeu en l’honneur d’un diable qui n’existe même pas. La vie réelle est déjà un enfer. Le Japon semble heureux, comme ça, en surface mais en fait l’air du Japon actuel est suffocant. Si on copiait une attitude occidentale et que nous nous réfugions dans des délires sur Dieu et Satan, ce ne serait rien d’autre que la fuite de la réalité. Nous, on veut au contraire raconter la réalité des choses.
Shit-Cho : Le Japon est un bon pays. Je suis content d’être né japonais. Malgré tout, je ne peux pas dire que je n’ai pas d’insatisfaction. La réalité ne se limite pas à ce que l’on peut voir avec ses yeux. Il existe une frustration, une aliénation, un complexe d’infériorité, un dégoût et un désespoir qui sont toujours comme une épée de Damoclès, comme une ombre sombre derrière soi. Et ce n’est pas facile de s’en débarrasser. Ces sentiments existent, c’est indéniable, mais leur cause n’est pas vraiment très claire. L’homme est une créature qui de naissance est faible et avide. Ça ne se corrige pas. En visualisant dans une certaine forme les raisons internes, on cherche peut-être juste à souffler un peu. Il y en a qui choisissent la littérature, d’autres la peinture, la musique, le cinéma… Nous, on a choisi le black metal. Mais au final personnellement j’aime plutôt bien le Japon…
6. Il n’y a pas vraiment de passages japonais dans votre musique, mais par contre les pochettes sont très japonaises. J’aimerais en savoir plus. Ce sont de vieilles illustrations ? Pourquoi les avez-vous choisies ? Moi, je les aime bien.
Shit-Cho : Merci. Et oui, on a utilisé de vieilles illustrations. L’image du 1er EP vient du « Jigoku Zôshi » (« Rouleaux des enfers ») du 12ème siècle. Celle du premier album date de la même époque et est tiré des « Gaki Zôshi » (« Rouleaux des mauvais esprits » ou encore « Rouleaux de l’entre deux vies », lieu de transition des esprits avant leur prochaine existence et où demeurent de mauvais esprits). Le deuxième EP est un Ukiyo-e connu du 19ème. Si nous continuons de choisir ce genre d’illustration c’est parce qu’on voulait se concentrer sur le grotesque de l’époque les Japonais avaient peur du monde après la mort. On pense que c’est un esprit commun au black metal, parler de la peur des hommes pour ce qu’ils n’ont jamais connu. On voulait des pochettes avec un esprit japonais même si les compositions n’en avaient pas. Et c’est le « Jigoku Zôshi » qui nous est venu à l’esprit en premier. En fait si on n’a pas intégré de musique traditionnelle dans notre musique, c’est qu’on n’a pas l’habitude d’en écouter, mais le visuel, c’est vrai que là on est bien plus familier avec lui. On pourrait dire que c’est une erreur de calcul heureuse parce qu’on reçoit pas mal de commentaires positifs d’étrangers qui ont trouvé l’artwork « cool ». Ces vieilles illustrations japonaises, poussiérieuses pour nous, ont un goût de nouveauté pour les Occidentaux. Et puis on est content que cela donne un bon effet « black metal japonais ». Maintenant on ne va pas utilsier que de vieilles estampes pour la suite. On dans l’idée de prendre de jeunes graphistes japonais plus modernes. C’est parce qu’on aimerait bien utiliser un visuel à nous, et pas un qui existait déjà auparavant.
7. Rares sont les groupes japonais qui ont percé à l’étranger. Qu’est-ce qui leur manque pour s’exporter ?
Die-Zine : Alors pourquoi est-ce que le black ne perce pas au Japon, et pourquoi il n’y pas de groupe qui puisse faire une carrière internationale... Alors ce n’est pas qu’une question de musique mis aussi de contexte. Le contexte est primordial. N’importe qui peut reproduire un son black. Mais c’est pas ça l’important. C’est un peu comme quand on déchiffre l’histoire de l’art... Les artistes et oeuvres qui sont devenus éternels, leurs réputations se sont formées en se basant sur le contexte de l’Histoire. Alors si l’on estime que le black metal originel qui vient des pays nordiques est le plus pur, c’est évident que le black du Japon en est le plus éloigné possible. Pour être considéré comme une norme mondiale dans une telle situation, il faut non seulement que nous héritions du « sang du black metal pur », mais aussi que nous proposions de nouvelles valeurs, un nouveau son et qu’on y ajoute le contexte... D’où venons-nous et où allons-nous ? Si on pense de la sorte, alors on peut être capable de faire un black metal proprement japonais capable de toucher même à l’étranger. Par exemple SIGH qui a pris conscience d’être dévoyé et qui l’a exprimé dans sa musique. C’est normal que son black metal avantgardiste soit considéré comme japonais et ait autant de succès. Par contre, on n’aura aucun résultat en copiant l’étranger. Il faut vraiment qu’on réfléchisse à ce que nous sommes, plus en profondeur. Je ne sais pas si c’est judicieux de prendre
BABYMETAL en exemple mais alors qu’elles faisaient juste figure d’idoles parodies de
X-JAPAN elles ont étendues leur activité à l’étranger et y ont trouvé en un temps record le succès.Et quoi qu’on en dise, de nombreuses légendes du metal ont adopté ces
BABYMETAL. Et à partir de là elles ont admirablement intégré l’histoire de la musique metal. Et finalement ce sont ceux qui les ont boudés, comme le magazine Burrn! qui passent pour des vieux croûlants. Ce magazine ne met en avant que les vieux groupes, et ils ont toujours été frileux envers la nouvelle scène et les petits nouveaux. Ça veut dire aussi envers les jeunes groupes japonais et l’underground. Ils s’amusent à mettre des notes sur 100 à des albums mais en fait ils sont pourris car ils font acheter les bonnes notes ! Putain ! Du coup ça fait une éternité qu’ils ont lâché la scène black japonaise et on n’y trouve ni de gros noms comme
SIGH ni de groupes en devenir... Rien. Avant il n’y a avait pas de système de soutien pour la scène, alors les groupes de l’époque étaient obligés de chercher à l’étranger. Nos aînés étaient doués mais on ne peut pas dire qu’ils aient vraiment contribué à créer une scène nationale. Mais maintenant il y a le label Zero Dimensional Records qui contribue vraiment à la scène et participe à créer un contexte. On remarque aussi une augmentation des fanzines et de la circulation des informations. Les groupes étrangers qui viennent jouer au Japon se font aussi plus nombreux. J’imagine que cela va permettre aux groupes japonais de saisir des opportunités...
8. Quand on lit les commentaires concernant vos titres, on lit souvent qu’ils sont bien trop courts. Pourquoi ne pas faire de titres qui dépassent les deux minutes ?
Jirolian : On pense que c’est le prix pour garder la tension au maximum. On voulait surtout éviter d’être prévisibles pour l’auditeur. Mais moi je trouve pas vraiment que nos sorties soient courtes. Il y a peut-être bien une longueur appropriée au sentiment qu’on veut faire passer. C’est pour ça qu’en fonction des sentiments qu’on voudra exprimer sur la prochaine sortie il pourrait y avoir des changements.
Diezine : Si la qualité d’un titre était dû à sa longueur alors
Art of Life de
X-JAPAN serait une oeuvre d’art. Pour la plupart des chansons au Japon le schéma est le même... Après le refrain on fait un petit arrangement et hop, on repart pour un tour... C’est d’un chiant... Notre philosophie, c’est de briser les stéréotypes et styles existants. On pensait que ce serait un plus, mais bon voilà quoi... En plus il y a un sens à la brièveté de nos titres jusqu’à maintenant. Enfin... on va sûrement changer par la suite, on n’est pas bornés sur la longueur.
Shit-cho : C’est parce qu’on n’a pas senti de nécessité. On n’est pas sensible à la durée. On ne se dit pas qu’il faut faire une durée « normale ». La première chanson que j’ai imaginée pour
YVONXHE faisait à peu près 1mn30. J’avais enchaîné des riffs et voilà, fini. C’était un prototype. Et à partir de là, je comptais faire des titres plus longs, de 4 ou 5 minutes. Et en écoutant la demo je me suis dit que même si un morceau était court il était bien comme ça, suffisant pour l’efficacité. Je me suis dit que ça ne servait à rien de rallonger pour rallonger. J’en ai parlé avec Diezine et il a pensé la même chose. C’est pour ça que les titres sont courts. Mais on ne compte pas non plus faire des titres courts notre identité, hein ! (rires)
Voilà, on fait des morceaux courts mais des réponses à rallonge ! Merci !
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Traduction par
Sakrifiss
Par Keyser
Par Lestat
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