Aurvandil - Thrones
Chronique
Aurvandil Thrones
On est fortiches quand même, nous autres les francs de Francie. On se débrouille déjà pour afficher l’une des scènes black metal les plus intéressantes du monde toutes périodes confondues, mais en plus de ça, on arrive à planquer derrière cet impressionnant plastron toute une kyrielle de formations moins connues mais presque aussi folles que les têtes de file. Tu as siroté tes Légions Noires, dévoré ton Deathspell Omega sur son lit de Blut Aus Nord, éclusé ton Belenos et ton Aosoth, et tu t’es même envoyé les suppléments Peste Noire, Antaeus et Nehëmah ? Ben j’espère que t’as encore de la place, parce que le cellier déborde toujours !
Dans la galaxie des groupes français, une constellation brille particulièrement en ce moment ; celle formée autour de ce cher Fog, seigneur et maître d’Ossuaire Records, actif récemment sur des projets tels que Cénotaphe, Caverne ou Nécropole, plutôt à la mode donc. Mais avant cela, le sieur avait bossé sur de jolis noms tels qu’Angmar, Iphicrate… et Aurvandil. Cet étrange nom à consonances tolkieniennes m’avait souvent intrigué, mais jamais suffisamment pour me pousser à dépasser le stade de l’écoute rapide et trop peu concentrée. Il a fallu que Monsieur Marchenoir qui chronique ici-même rappelle le groupe à mon bon souvenir lors d’une discussion passionnée au Jardin du Luxembourg pour que je me décide à poser une nouvelle oreille sur cet album.
Et pan, en plein dans l’égo, tiens. Album de folie inattendu dans ta tronche. Il est beau le connaisseur de black metal, à passer à côté d’une telle tuerie pendant des années.
Thrones ne déconne pas une minute. Une heure de black metal épique au possible, la bride lâchée, les sabots fumants, le vent en lanières franches pile dans les yeux et les flancs qui chavirent des deux côtés de la fragile selle émotionnelle. On démarre doucement, sur un petit feu tout calme et une gentille guitare folk humblissime. On avance, on s’attend presque à du black contemplatif et forestier, puis débarque soudain cette mélodie arpégée aristocratique au possible, d’abord érigée lentement puis brutalement abattue sur le tonnerre de blast qui débarque sans prévenir. Re-pan. Pensez à quelque chose dans le goût d’un Satyricon période Nemesis Divina, ou bien peut-être à… ben Cénotaphe. Pas la peine de jouer le mystère, la voix ressemble fort à celle de Khaosgott, et le riffing ne trompe pas. C’est la même équipe, m'est avis, et contrairement à ce que l'on peut lire un peu partout. Autant dire que le duo a déjà fait ses preuves.
De fait, Aurvandil sonne très Cénotaphe. Peut-être la version moins solaire et zénithale de Cénotaphe, plus tourmentée, moins claire, plus guerrier et moins ascète. Pas mal tiens, voyons cela comme les deux facettes de ces parèdres antiques, l’archétype du combattant contre celui de l’ermite. Cénotaphe n’est plus d’ici. Il a quitté les vicissitudes d’en-bas, il se tient sur son Mont Vérité, il contemple l’Ailleurs, l’Ultime, et n’a plus que faire des luttes de ce monde. Aurvandil, au contraire, mène le combat jusqu’au bout. Victoire, défaite, pertes, regains… lui aussi se fait détaché, distant. Tout ce qui compte, c’est l'affrontement, la lutte. Le reste peut bien s’éteindre, lui brûle toujours.
Le combat, certes, mais jamais sans sous-jacence de l’éternel tragique qui caractérise toute action. Aurvandil sait parfaitement faire ressentir sa haine comme son dépit, son amertume (n’est-ce pas ?), ses velléités comme ses défiances. Les riffs se tendent et se détendent, comme de juste, sur un mur de blast à peu près constant mais non pas monotone. On officie dans le traditionnel de chez traditionnel, mais avec le plus grand des talents. Jamais à l’abri d’une lead poignante, d’un passage particulièrement mélodique ou d’un changement de rythme. Là, à mi-parcours sur « Summon the Storms », après cet extraordinaire épanchement à trois guitares, la cassure à la batterie sur gros larsen qui remonte ensuite en accords folks galvanisés aux trémolos mélancoliques, c’est-y pas superbe ça ? Et puis cette production toute chaude, granuleuse, typique de la Fogosphère, avec guitares qui sonnent comme du magma, la batterie très réverbérée, la basse grondante et la voix lointaine… Parfait.
Aurvandil ne risque vraiment pas de sonner avant-garde, bien sûr. Il fait partie de ces groupes qui ne dépassent pas d’un centimètre le périmètre de leur style, mais s’y dévouent avec tellement de sincérité qu’ils s’élèvent naturellement loin au-dessus des autres. Un trône, c’est exactement ce sur quoi peut compter Aurvandil pour faire sentir à quiconque qu’il n’a rien à faire avec les faiblards et les timorés des pitoyables étages inférieurs. En cela, et malgré une voie différente que celle choisie par son alter ego Cénotaphe, il parvient finalement à la même hauteur, au même sommet. L’ascète et le guerrier se retrouvent debout en haut du même aplomb, chacun ayant gravi un versant différent. Finalement, les voici qui se tiennent droits et fiers sous le même soleil invaincu.
Erratum du chroniqueur penaud : il semblerait que je me sois emmêlé les pinceaux sur le line-up, comme indiqué en commentaire. Plutôt que de tout passer sous le tapis dans l'immédiat, je préfère rectifier le tir plus tard et admettre ma bourde ici. Amertume = Aurvandil, groupe comme musicien, Fog n'est effectivement que batteur et ingé son sur ce disque, et Khaosgott n'a rien à faire ici (ils braillent pareil aussi...). Mea culpa.
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