Black Sabbath - Cross Purposes
Chronique
Black Sabbath Cross Purposes
Tout ça pour ça, c’est un peu le sentiment que donne cette réunion éphémère du line-up de Mob Rules et qui donna naissance au très bon Dehumanizer, quoi qu’on en dise. En effet, à peine cinq mois après la sortie de cet album, Dio quittait déjà le navire, refusant de faire la première partie d’Ozzy Osbourne avec Black Sabbath lors de la première tournée d’adieu du Madman. Le chanteur partit donc avec Vinnie Appice pour retourner à son propre groupe. De leurs côtés, Tony Iommi et Geezer Butler avaient décidé de poursuivre leur collaboration ensemble et de recruter le batteur Bobby Rondinelli qui avait œuvré un temps dans Rainbow et avec Doro. Après l’avoir jeté comme un malpropre quelques années auparavant, en dépit d’une très belle prestation sur Tyr, les deux musiciens ont donc demandé à Tony Martin de travailler avec eux, et, pas rancunier, le chanteur a accepté. Ce petit monde, auquel s’ajoute l’incontournable Geoff Nicholls aux claviers, s’est rapidement mis au travail pour écrire de nouvelles compositions pour ce qui devait être un projet autre que Black Sabbath, mais, comme souvent, la pression du label a fait que cet album est bien sorti sous le nom plus ronflant de Black Sabbath et constitue donc le dix-septième album du mythique groupe anglais.
Nous sommes en mille neuf cent quatre-vingt-quatorze lorsque cet album sortit, et ce n’est sans doute pas rien de préciser cela. En effet, la vague grunge venait de passer, - même si de grands disques allaient encore paraître cette même année dans ce registre musical -, avec pas mal de musiciens qui citèrent Black Sabbath comme une des influences principales, mais il s’agissait bien entendu de sa version des années soixante-dix. Dans un registre avec une moindre renommée, d’autres formations s’étaient aussi faites remarquer en rendant un hommage clair et net à cette période avec l’émergence de la scène stoner du début des années quatre-vingt dix, avec notamment Sleep et Kyuss en tête, mais également Cathedral. Tout cela pour dire que le groupe avait sans doute une certaine renommée et même un nouveau regain d’intérêt pour un public plus jeune. Il n’y a sans doute pas eu ces considérations en tête chez les Anglais, mais cela a tout de même un impact sur la perception que l’on a pu avoir à la sortie de cet album à l’époque : il sonnait clairement daté. Le groupe y affiche certes une certaine vitalité, mais l’on a l’impression qu’il ne sait pas trop où donner de la tête car l’on y retrouve plusieurs directions prises sur ces dix titres. C’en est à un point tel où l’on reconnait difficilement le groupe de temps à autres, et que l’on a parfois l’impression qu’il cherche à prendre certains wagons en marche.
Cela se ressent assez nettement sur un titre comme Psychophobia qui sonne très Seattle Sound, - pour faire référence au fameux sticker que l’on retrouvait sur certains albums à cette époque -, même si ce n’est pas forcément une réussite, notamment en termes d’écriture, mais aussi en raison de la présence de claviers pas des plus bienvenus. L’autre exemple c’est Virtual Death, qui certes est le titre le plus pesant de l’album, mais où l’on retrouve des mélodies de chant doublées et un riff qui rappellent bien trop Alice In Chains pour être parfaitement honnête. Et c’est bien là où le bât blesse, c’est que l’on a l’impression que les Anglais s’essayent à des choses qui ne leur correspondent pas vraiment et qu’ils s’inspirent de groupes qu’ils ont eux-mêmes inspirés, ce que l’on appelle désormais le syndrome In Flames. C’est d’ailleurs assez déroutant par moment car l’on a l’impression d’entendre un groupe qui ne sait pas s’il est ancré dans les années quatre-vingt ou bien dans les années quatre-vingt-dix. Preuve en est le titre d’ouverture I Witness qui sonne très heavy metal, dans une veine assez up tempo, mais dont les sonorités et les claviers sonnent très datés, déjà pour l’époque, même si le titre est assez sympathique. C’est un peu le même constat avec le titre Evil Eye, qui a été en partie écrit avec Eddie Van Halen, qui sonne assez hard rock, et ne sera pas sans faire penser à un Ugly Kid Joe, autre formation se réclamant aussi de Black Sabbath. C’est un peu le même constat que l’on peut faire sur Back to Eden, un peu trop clinquant, mais entaché par ce faux groove proprement nineties.
Et l’on va souvent souffler entre le chaud et le froid sur cet album, avec des titres assez heavy metal dans l’ensemble, dont quelques-uns bien plus lourds, et d’autres qui dénotent d’essais peu concluants, comme les deux titres cités plus haut. L’on retrouve ainsi un titre bien plus épique avec Cross of Thorns qui n’aurait pas dépareillé sur Tyr et qui est une belle réussite, avec cette introduction aux acoustiques et avec quelques nappes de claviers. C’est évidemment sur ce genre de titre que l’on est ravi de retrouver un Tony Martin en grande forme et toujours aussi poignant, et cela en fait une grande réussite. L’on retrouve peu ou prou la même recette sur The Hand that Rocks the Cradle, avec un peu moins de réussite, et le plus incisif Cardinal Sin qui est aussi une belle réussite de cette réalisation, même si le riff principal nous rappelle un peu trop un certain Kashmir d’une autre légende des années soixante-dix. Mais c’est un peu rageant de se dire que l’aurait aimé avoir plus de compositions de ce genre, avec cette trame épique qui sied tellement mieux à la tessiture de voix du chanteur. C’est un peu le constat que l’on fait sur le plus enlevé Immaculate Deception, où il s’en donne à cœur joie et où l’on renoue avec une certaine verve. L’on a parfois des sueurs froides à l’écoute de certains titres, comme notamment sur cette introduction assez sirupeuse sur Dying Love, pour une power ballade qui ne restera aucunement mémorable, si ce n’est la prestation du chanteur, notamment quand le groupe repasse à la saturation. Mais là encore, ce genre de titre sonne vraiment daté avec ce côté bande son d’une comédie romantique.
Mais ce ne sont pas les seuls griefs que l’on peut accoler à ce Cross Purposes. Il y a ainsi assez souvent un petit arrière-goût d’inachevé sur certaines compositions, comme s’il manquait quelque chose pour passer du côté plus qualitatif de la chose. Pourtant, le groupe n’a pas perdu de ses qualités, que ce soit Tony Iommi sur une bonne partie de l’album tant au niveau des riffs qu’au niveau des soli, ou certains sont de toute beauté. Il en va de même pour Geezer Butler qui n’a rien perdu de sa dextérité, bien que pas forcément mis en valeur par la production. Bobby Rondinelli ne démérite pas, même s’il n’a pas forcément la frappe de mule de ses deux prédécesseurs à ce poste, mais il n’y a rien de vraiment de transcendant ici. Dans tous les cas, l’on est parfois assez dérouté par les directions prises par le groupe entre passéisme et modernité. Et, finalement, il s’en sort mieux quand il reste sur ses fondamentaux plutôt que lorsqu’il s’essaie à des choses plus dans l’air du temps, ou bien lorsqu’il tente de renouer avec le groove des années soixante-dix. Sans doute est-ce pour cette raison que les musiciens ne voulaient pas sortir cela sous le nom de Black Sabbath. Mais je trouve que bon nombre de titres ne conviennent pas vraiment au type de chant de Tony Martin, alors que Geezer Butler et Tony Iommi avaient justement sus s’adapter par le passé à leurs différents chanteurs.
Si ce Cross Purposes n’est pas en soit catastrophique, le groupe ayant fait bien pire avant et juste après, l’on reste toutefois sur notre faim, surtout après les deux très bons albums que sont Tyr et Dehumanizer. Il y a quelque chose qui ne va pas dans ce disque, entre son côté passéiste, et cette tentative de sonner un peu plus moderne, - ce sera bien pire sur l’abominable Forbidden. Il n’y a rien de bien honteux ou presque sur cet album, mais juste cette mauvaise impression que tout ce beau monde a vieilli et sonne quasiment presque daté. Pour autant, Iommi et Butler n’avaient pas encore tout dit, puisqu’on les retrouvera en forme une bonne dizaine d’années plus tard sur un autre projet avec Dio. Mais là, il faut avouer qu’ils sont moins séduisants et intéressants qu’ils n’avaient pu le montrer auparavant et que ce Cross Purposes sonne bien trop pépère pour vraiment séduire, aussi bien si l’on prend l’entièreté de la discographie du groupe, que si l’on s’attarde à ce que venaient de sortir leurs propres héritiers. Sans doute que la donne n’aurait pas été la même si cela était sorti sous un autre nom que celui de Black Sabbath, encore que ce serait sans doute passé inaperçu. Dans tous les cas, cela reste un album mineur dans la discographie du groupe, et si certaines compositions méritent le détour, il n’y a franchement rien d’aussi remarquable ici qu’un TV Crimes, qu’un After All ou bien encore un Anno Mundi ou un Valhalla.
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