Le début de la décennie 1990 restera dans la mémoire des fans de Rock comme le moment où le Grunge a tout balayé sur son chemin, remisant aux oubliettes les groupes de Hard US qui avaient fait la décennie précédente. Imposant un nouveau style plus naturel, décontracté et sombre. Avec le recul, le Grunge n’aura duré qu’une poignée d’année et n’a pas vraiment écorné l’aura du Heavy Metal qui lui a d’ailleurs survécu. Mais au début des années 1990, un groupe de “vieux” qui sort un disque de pur Heavy Metal n’est pas du tout dans l’air du temps. C'est pourtant le pari osé de BLACK SABBATH dont le seizième opus,
Dehumanizer parait en juin 1992.
Un peu plus de vingt ans après sa création, BLACK SABBATH n'intéresse plus grand monde. Le dernier opus,
Tyr perçu à tort comme un concept album de proto Viking Metal n'a pas trouvé son public et
Tony Iommi a la rage. Il aimerait renouer avec le succès des année Ozzy, ou des années Dio, il voudrait pouvoir être à nouveau signé sur un gros label et donner des concerts devant des arenas blindées. Alors Tony Iommi va faire un truc dégueulasse: bien que le gang ait déjà commencé à travailler sur le prochain disque, il va congédier son frontman
Tony Martin pour renouer avec
Ronnie James Dio le temps d'un album, et plus si affinités. Les travaux préparatoires commencent avec Ronnie Dio au chant,
Geezer Butler à la basse, Tony Iommi à la guitare et
Cozy Powell à la batterie. Ce dernier a beaucoup de mal à s'entendre avec Dio (qu'il a déjà côtoyé chez RAINBOW) et quitte opportunément le projet à la suite d'un accident d'équitation. Il est remplacé par
Vinnie Appice, dont l'arrivée reconstitue l'équipe responsable du dernier succès de BLACK SABBATH,
Mob Rules en 1981. Malheureusement, l'histoire ne se passe pas exactement comme un conte de fées. La préparation de l'album s'éternise et les tensions qui avaient conduit à l'explosion du combo en 1982 rejaillissent dix ans plus tard. Entre Iommi et Butler d'un côté, Appice et Dio de l'autre, le torchon brûle à tel point que Tony Iommi songe même à rappeler le brave Tony Martin pour remplacer un Dio décidément trop colérique, avant de prendre son mal en patience, conscient de l'importance du lutin dans le succès du futur album. Après près de neuf mois de composition, trois d'enregistrement et autant de mixage, l'album sort en juin 1992.
Pour rappel, 1992, c'est l'année d'apogée de KYUSS, ALICE IN CHAINS, NIRVANA. Quelques groupes de Metal Heavy parviennent à tirer leur épingle du jeu comme SKID ROW ou les GUN's, mais la sortie d'un album de Heavy Metal en 1992 ne va pas vraiment dans le sens de l'histoire. Pourtant Tony Iommi veut y croire. Après tout, son groupe qui existe depuis presque 25 ans n'a pas été ébranlé par le Punk ni par la vague Hard Us, il n'y a donc pas de raison que le Grunge représente une menace, d'autant plus que ces gentils garçons en chemise à carreaux revendiquent tous BLACK SABBATH dans leurs groupes de référence !
Disque composé sous tension,
Dehumanizer est un disque sous tension. De l'artwork où une mort robotisée électrocute un type à une tracklist de dix chansons tendues et nerveuses,
Dehumanizer est l'album le plus lourd, dur et brutal de la discographie du Sab, très différent des deux précédents opus enregistrés avec Dio,
Heaven and Hell et
Mob Rules. Au niveau des lyrics, Dio s'est chargé de l'écriture des textes mais Tony Iommi et Geezer Butler lui ont expressément demandé de ne plus remplir ses lyrics d'arc-en-ciel, licornes et autres dragons (ambiance!). Les textes abordent donc des sujets plus ancrés dans le réel comme la place de l'ordinateur dans notre société (déjà!), les télévangélistes, la vie après la mort et l'individualisme. Toutes les pistes font sensiblement la même taille et distillent le même genre d'ambiance. Finis les hymnes épiques, finis les morceaux de transition expérimentaux, finies les power ballades grandioses, place à l’efficacité massive d’un Heavy Metal pur et dur. Même les claviers de Geoff Nichols sont un peu en retrait sur ce disque qui ressemble à un sursaut de Metal "Oldschool" de la part d’un groupe qui nous a habitués à un peu plus de créativité et d'audace. Du fait de sa construction en mode “rien ne dépasse”, toutes les chansons de la galette ont tendance à se ressembler : soli un peu plus fréquents et systématiques que sur les albums précédents, rythmique tout en nerfs et chant toujours aussi investi de Ronnie James Dio, le lutin adoptant des accents plus durs et gutturaux pour se mettre au diapason des compos. La production anguleuse et sèche met en exergue les tensions. Réalisée par Reinhold Mack,un figure du Hard US des années 80 elle apparaît aujourd'hui comme un peu datée et caractéristique des albums de Metal de cette décennie.
Dehumanizer est un disque mi-figue, mi-raisin, un album sympa mais insuffisant pour BLACK SABBATH. Dire qu'on attendait plus de la réunion de Dio avec le Sab est un doux euphémisme! Certes, tous les morceaux sont agréables à écouter mais aucun n'est vraiment mémorable et on se prend à regretter que cette réunion tant attendue ait accouché d'un résultat si éloigné de ce qu'ils avaient produit dix ans plus tôt.
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