Black Sabbath - Headless Cross
Chronique
Black Sabbath Headless Cross
La seconde partie des années quatre vingt, pour ne pas dire la décennie entière, aura vraisemblablement ressemblé à un chemin de croix pour Tony Iommi plutôt qu’un réel parcours de santé. Et la période entre la sortie de The Eternal Idol et celle de Headless Cross a une nouvelle fois été mouvementée. En mille neuf cent quatre vingt huit, après dix huit ans de bons et loyaux services, Vertigo Records, sans doute échaudé par le peu d’intérêt que suscitait Black Sabbath en cette période, a décidé de se délester du groupe anglais. C’est donc vers un label plutôt orienté rock alternatif et new wave, I.R.S Records, que le guitariste moustachu va se tourner, ce dernier lui laissant une certaine liberté artistique. Mais ce n’est pas le seul obstacle qu’il a du franchir, car il dut de nouveau faire face aux grands maux de son groupe durant cette décennie: l’instabilité du line-up de Black Sabbath. En effet, depuis le début des années quatre vingt pas moins d’une vingtaine de musiciens ont défilé dans le groupe, et l’on ne peut pas dire que cela ait donné une réelle stabilité à Black Sabbath durant cette période. Ainsi, entre The Eternal Idol et la sortie de ce quatorzième album, Tony Iommi a vu les départs du batteur Eric Singer et du bassiste Dave Spitz, remplacé par Jo Burt pour la tournée de promotion de The Eternal Idol. Le premier musicien que Tony Iommi recruta fut le batteur Cozy Powell, qui avait préalablement joué dans Rainbow et Whitesnake. Et l’arrivée du batteur allait sans doute faire du bien à Tony Iommi qui allait retrouver un partenaire d’écriture. Mais, comme on s’y attendait, rien ne fut aussi simple.
Cozy Powell et Tony Iommi commencèrent a répéter et à écrire ensemble des nouveaux titres, invitant d’ailleurs Tony Martin à ces sessions. Pourtant, ce n’est pas forcément le chanteur que Iommi et Geoff Nichols avaient en tête pour enregistrer ce futur album, ces derniers avaient pensé à engager Ronnie James Dio, voire même David Coverdale. C’est Cozy Powell qui a plaidé pour la cause du brave Tony Martin qui a finalement enregistré le chant pour cet album. D’ailleurs, depuis la sortie de Mob Rules, Black Sabbath n’avait pas eu deux fois de suite le même chanteur sur une album. Jo Burt ayant rapidement été congédié aux débuts des sessions de ce nouvel album, le groupe s’est mis à la recherche d’un nouveau bassiste. Gloria Butler épouse et manager d’un certain Geezer Butler contacta Tony Iommi pour lui annoncer que le légendaire bassiste souhaitait reprendre son poste au sein de Black Sabbath. Mais finalement, il décida de rejoindre Ozzy Osbourne pour sa tournée No Rest For the Wicked. Iommi a donc opté pour les services d’un bassiste de session, Laurence Cottle, le Gallois ayant un curriculum vitae assez imposant, et, surtout, un niveau technique bien au-dessus des bassistes ayant succédé à Geezer Butler. Tout ce beau monde allait donc se mettre au travail sur la seconde partie de l’année mille neuf cent quatre vingt huit pour donner naissance à ce quatorzième album des Anglais, un album qui mérite sans doute que l’on s’y attarde, en dépit du désamour que Tony Iommi porte sur la période avec Tony Martin.
Si, ça et là, The Eternal Idol donnait quelques signes de vitalité, en dépit de conditions d’enregistrement des plus chaotiques, Headless Cross voit Black Sabbath renouer avec une certaine vigueur que l’on n’avait pas connu depuis le début de la décennie. Il est ainsi question ici de heavy metal, dans la lignée de ce que le guitariste avait fait avec les deux albums avec Dio au chant, c’est déjà cela de pris. Mais l’on retrouve aussi une certaine puissance que l’on n’avait pas entendu depuis belles lurettes, et des titres plus lourds comme Headless Cross ou When Death Calls auront de quoi réjouir les amateurs du sabbat noir. L’on va d’ailleurs énumérer ce qu’il y a de plus fâcheux sur cet album: les claviers de Geoff Nichols qui prennent, à mon goût, bien trop souvent les devants. Je pense à un titre plus rentre dedans comme Devil and Daughter, qui comporte d’excellents riffs et une certaine vivacité, mais c’est trop souvent gorgé de claviers au point qu’ils englobent de manière trop proéminente les guitares, et pas seulement sur ce titre. Il faut dire que la production de cet album baigne bien dans le jus des années mille neuf cent quatre vingt, avec ce son assez sec de la basse et cette batterie gorgée de réverbération. Et puis l’on trouve encore des traces de Hard F.M. sur certains titres, notamment dans la manière de poser les lignes de chant ou dans certaines mélodies plus faciles et accrocheuses, comme c’est le cas sur Devil and Daughter ou bien encore sur Kill in the Spirit World, Call of the Wild, et, surtout, sur Black Moon, titre le plus faible de l’album. Voilà les tares que l’on peut accoler à cet album, mais, et fort heureusement même, elles ne prennent pas les devants constamment comme ce pouvait être le cas sur les deux précédentes réalisations.
Comme évoqué plus haut, Black Sabbath renoue ici avec un heavy metal racé, celui dont il s’était fait le chantre depuis le début de la décennie. Et c’est même assez plaisant de retrouver, enfin, si je puis dire, un Tony Iommi dans une grande forme, car le maître enchaîne riffs inspirés sur riffs inspirés, c’est juste dommage que le son de sa Gibson SG ne soit pas plus massif et plus incisif. Mais en dépit de ces quelques griefs, il y a une belle inspiration dans ce qu’il fait ici, se permettant d’ailleurs quelques petites expérimentations comme ces motifs arabisants sur Kill in the Spirit World ou sur Call of the Wild. Ce n’est pas grand chose, pourrait-on me rétorquer, mais sans doute que cela va le libérer un peu plus pour la suite des événements. Et au niveau des soli, c’est un vrai régal sur chaque titre, c’est même assez rassurant de voir que malgré toutes ces galères, il n’a pas perdu la foi. Si l’on renoue ici avec un Black Sabbath à la puissance accrue, l’arrivée de Cozy Powell derrière les futs n’y est sans doute pas étrangère. L’on retrouve ici un batteur qui n’a rien perdu de la superbe qui l’habitait une décennie auparavant lorsqu’il était dans Rainbow et il a toujours cette intelligence dans son jeu de batterie. Il n’a surtout rien perdu de sa frappe de mule et cela se ressent. D’ailleurs, l’ambiance était tellement au beau fixe entre lui et le guitariste, qu’il a produit avec ce dernier cet album. Laurence Cottle n’est pas uniquement venu toucher son chèque pour enregistrer cet album, il a vraiment fait l’effort de nous donner des lignes de basse intéressantes, comme sur l’introduction de Nightwing jouée à la fretless, même si je ne suis pas très friand de la manière dont sonne son instrument, mais c’est un peu le problème de la plupart des productions des années mille neuf cent quatre vingt.
Mais s’il y a bien un musicien qui se démarque particulièrement sur cet album, c’est bien Tony Martin. L’on sentait bien tout son potentiel sur The Eternal Idol, mais c’est un potentiel qui avait été un peu bridé dans la mesure où il avait du réenregistrer les lignes de chant de Ray Gillen. Sur Headless Cross, le chanteur anglais a eu le champs libre pour poser ses lignes comme il l’entendait, et cela se ressent nettement, et pour le bien du groupe. S’il avait la lourde tâche de succéder à des noms plus ronflants et avec des personnalités pleines de charisme, il s’affirme à merveille ici comme étant un excellent chanteur de heavy metal. Il a une voix un peu éraillée mais dotée d’une grande puissance et est capable de monter assez haut dans les tonalités aiguës. En tout cas, c’est loin d’être le mauvais clone de Ronnie James Dio comme beaucoup de personnes ont bien voulu le faire croire. Certes, l’on ne peut nier une filiation entre les deux, mais il y a une réelle personnalité chez Tony Martin. Et les exemples de ses moments de bravoure sur cet album sont assez nombreux, je pense au titre éponyme, à tous ces refrains poignants, ou bien encore sur Nightwing qui vient clore de fort belle manière cet album.
Le chanteur s’est également chargé des textes pour cet album, centrant toutes les paroles de ce dernier sur des thématiques liées à l’occultisme ou au satanisme, le chanteur ayant cette vision que des chansons de Black Sabbath ne devaient qu’être centrées sur ces sujets. Cela fait de ce Headless Cross un album un peu à part puisqu’il est le seul à être ostensiblement consacré sur ces thèmes. C’est même une singularité d’Headless Cross qui en fait l’album le plus sombre de Black Sabbath depuis Sabotage. Il suffit de voir cette pochette un peu plus énigmatique, avec cette photo dans un cimetière, de nuit, avec un peu de brume et la pleine lune en arrière fond. C’est évidemment assez cliché, mais cela donne une idée de ce que l’on va avoir sur cet album. Dans le même ordre d’idée, l’on a cette petite introduction aux claviers assez inquiétante avec The Gates of Hell qui lance parfaitement les hostilités avec Headless Cross. D’ailleurs, ce titre fait référence à un village non loin de Birmingham qui avait été dévasté par la peste de mille six cent soixante cinq, où tous les habitants moururent en dépit de leurs prières. C’est bien cette atmosphère plus sombre qui est dépeinte sur ce titre éponyme et où l’on retrouve un Tony Martin assez poignant.
Si certains titres sont en dessous d’un point de vue qualitatif, je pense à Black Moon qui provient des sessions de The Eternal Idol, et cela s’entend, il y a toujours quelques petites idées qui viennent agrémenter chaque titre. Outre les motifs arabisants évoqués ci-dessus, l’on retrouve aussi une belle utilisation des acoustiques sur quelques titres, comme sur Nightwing et sur When Death Calls. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si ce sont les deux titres qui se démarquent du lot avec l’éponyme. Nightwing voit le groupe renouer avec une certaine puissance de feu et quelque chose de plus sombre, histoire de bien conclure cet album. Mais l’on ne va pas se mentir, la grande réussite de cet album c’est évidemment When Death Calls. L’on voit ici Black Sabbath mettre en avant sa lourdeur légendaire sur la première partie, après une introduction très poignante et qui donne même quelques frissons. C’est toujours assez jouissif de se prendre ce riff des plus costauds, et cette montée en puissance sur la seconde partie. Tony Martin y est incandescent et nous avons même le droit à un solo de le part de Brian May de Queen, un grand ami de Tony Iommi. C’est d’ailleurs assez symptomatique de nombreux albums de Black Sabbath considérés comme mineurs, je pense à Born Again ou bien encore à Tyr, qui comportent pourtant d’excellents titres, certes pas aussi emblématiques que les grands classiques des albums avec Ozzy ou Dio au chant, mais qui restent de purs joyaux de heavy metal. Et When Death Calls fait partie de cette lignée, avec ce côté doom metal, presque epic doom metal, qui vient rappeler qui est le père de tout ceci, et qui me plait beaucoup.
Si Headless Cross est loin d’être parfait, il possède toutefois de nombreux motifs de satisfactions, non seulement pour ce qui est de la qualité de certaines de ses compositions, - pas toutes cela étant dit -, mais aussi au niveau de l’inspiration, de la vitalité et de l’engagement des musiciens présents sur cet album. Si le Black Sabbath qui nous est présenté ici est bien dans son jus des années mille neuf cent quatre vingt, et donc éloigné des standards qu’il avait imposé quasiment vingt ans plus tôt, il n’en demeure pas moins un bel étendard d’une certaine forme de heavy metal, racée et un peu originale, et qui sait toujours autant faire preuve d’efficacité, notamment lorsqu’il décide de ralentir le tempo. Il y a évidemment encore quelques scories sur cet album, mais l’on sent l’envie de bien faire. Et puis lorsque l’on voit d’où vient Tony Iommi et ce qu’il avait encore enduré au moment de composer cet album, cela relève du miracle d’avoir une réalisation avec une telle consistance, chose qui n’a pas toujours été le cas dans l’histoire du groupe. Headless Cross mérite vraiment que l’on s’y attarde car il recèle de très bons, voire même excellents, titres, pour peu que l’on ne soit pas trop allergique à certains effets de manche inhérents de la fin des années quatre vingt. En soi, il n’y a rien de révolutionnaire ici, ni de quoi changer la donne à une période où tant de courants musicaux étaient ou allaient être au firmament, mais un bel album de heavy metal, avec ses forces, qui passe, malgré tout, l’épreuve du temps.
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