Je tiens à réparer une injustice. Cela fait trop longtemps que
Born Again est considéré comme un mauvais album. Est-ce son artwork immonde, choisi à dessein par Don Arden, alors manager de BLACK SABBATH pour choquer les culs bénis? Est-ce son mixage dégueulasse, réalisé intentionnellement pour que le disque passe mieux sur les radios américaines, le son originel plus gras et plus riche n’étant pas calibré pour les passages radio ? Est-ce la participation unique de
Ian Gillian qui apporte au disque une coloration particulière ? Ou bien est-ce juste que pour une grande partie des fans, le Sabbat Noir ne peut exister sans Ozzy ou Dio au micro?
Quelles que soient les raisons invoquées par ses détracteurs, cet album paru en 1983 est souvent considéré comme raté, y compris par ses protagonistes.
"J'ai vu la pochette et j'ai vomi, puis j'ai écouté le disque et j'ai encore vomi" (Ian Gillian, 1983).
Pourtant, à bien y regarder, le onzième album studio de BLACK SABBATH est bien plus intéressant que la somme de ses défauts. Le disque réunit trois des quatre membres historiques :
Tony Iommi, Geezer Butler et
Bill Ward qui enregistre ici son dernier album avec BLACK SABBATH. Le jeu du batteur n’a plus la fougue débridée des premiers opus (il sort de cure de désintox et confessera que c’est le premier album qu’il ait enregistré en étant totalement sobre), pourtant on retrouve dans les plans de batterie un petit peu du Sab des années 70. On ne peut malheureusement pas en dire autant de la basse de Geezer Butler, totalement sous-mixée et la plupart du temps inaudible.
Comme à son habitude, Tony Iommi envoie du bois,
Born Again étant un recueil de riffs cool (“Trashed”, “Disturbing The Priest”, “Zero The Hero”, “Digital Bitch”, “Keep it Warm”) égaillés par quelques soli lumineux, notamment le magnifique pont de “Zero The Hero”. Suite à la défection de
Ronnie James Dio (pendant le mixage du
Live Evil), le chant est confié à
Ian Gillian. Selon la légend, l’ex DEEP PURPLE aurait accepté le poste à l’issue d’une journée et une nuit entière de beuverie au pub.
"We had a drink, then another drink, and another drink, and another drink. The pub opened and closed and opened again and closed and we were still ther. And at the end of the night we had a band together" (Tony Iommi, 2012). Enfin,
Geoff Nicholls présent dans le groupe mais non crédité comme membre à part entière, est plutôt discret, ses nappes de claviers ne venant que parcimonieusement enrichir quelques instrus.
Le mixage n’a pas la rondeur habituelle des disques du combo mais ce qu’il perd en lourdeur, le disque le gagne en agressivité et en tranchant.
Born Again est un album plus hard que heavy, assez similaire en cela aux productions de l’époque, notamment la vague naissante du Glam Metal et du Sleaze Rock (c’est tout particulièrement marquant sur “Digital Bitch”, son intro endiablée, son riff tranchant, son chant agressif et ses paroles faisant subtilement référence à Sharon Osbourne).
La galette est aussi le témoignage d’une époque où Tony Iommi et ses potes avaient encore quelques idées amusantes pour pimenter leurs productions.
Born Again est en effet le dernier opus du Sab intégrant des interludes instrumentaux pour briser le rythme et faire ressortir les parties agressives. Pour l’instru aqueux “The Dark” et l’intro de “Stonehenge”, les brummies ont eu l’idée d’enregistrer le son produit par une enclume frappée par une barre d’acier pendant qu’elle sombrait lentement dans une baignoire en fonte pleine d’eau. Il faut s’imaginer la scène : pendant toute une journée les gars se sont relayés pour soulever une enclume (c’est lourd, une enclume) et la lâcher dans une baignoire en enregistrant le son avec un magnéto. Aujourd’hui, il suffit de choper un sample sur le net, mais en 1983, ces quelques secondes énigmatiques ont demandé une journée de prises de son, ça force le respect.
Certes, les paroles écrites par Ian Gillian n’ont pas la profondeur ni la noirceur de celles de Geezer Butler, le gallois s’étant souvent inspiré d’événement survenus pendant l’enregistrement pour ses lyrics. Bill Ward plante sa voiture : “Trashed”, le curé de la paroisse locale se plaint de ne pas pouvoir faire répéter sa chorale à cause du bruit des enregistrements : “Disturbing The Priest”. Don Arden évoque la trahison de sa fille Sharon devenue le manager et l'épouse d'Ozzy Osbourne : “Digital Bitch”. Mais le chanteur apporte aussi au disque une folie débridée voisine de celle d’Ozzy et totalement absente du répertoire de Dio. En attestent notamment les cris hystériques sur "Thrashed", les rires de dément sur “Disturbing The Priest” et “Digital Bitch”. Et puis Ian Gillian est un vocaliste au moins aussi bon que Dio, quoique dans un registre différent, il donne à ses compos une profondeur remarquable reposant sur des variations de rythmes, des changements de tessiture notamment sur le très réussi “Zero The Hero” et le mid tempo brumeux “Born Again”.
Unanimement descendu en flamme par la critique, l’album remporte un vif succès public à sa sortie en août 1983. Il faut dire que la réunion des interprètes de deux formations britanniques mythiques a de quoi séduire. Malheureusement, la lune de miel est de courte durée, Ian Gillian, décidant de quitter le Sab pour participer à la reformation de DEEP PURPLE à l’issue de la tournée
Born Again.
La tournée a surtout marqué les mémoires pour avoir inspiré une scène hilarante de
Spinal Tap. Suite à un quiproquo entre Tony Iommi et son décorateur, la réplique de Stonehenge destinée à décorer la scène a été construite à l’échelle 1:1 au lieu de 1:10. Non seulement c’est un enfer à transporter mais la plupart des salles réservées pour la tournée ne sont pas assez grandes pour l’installation qui servira seulement une poignée de fois. En outre, Ian Gillian n’ayant pas réussi à mémoriser les textes des chansons antérieures du Sab collait des antisèches sur la scène et finissait par improviser des paroles ou fredonner vaguement pour masquer les blancs. Malgré cela, les concerts donnés par le gang à cette époque figurent parmi les meilleurs lives du Sab. L’album réédité en 2012 comporte un cd bonus avec des prises live captées pendant cette tournée, Ian Gillian y interprète des compos des période Ozzy et Dio avec une maestria et un feeling bluffants. Ce live est un témoignage d’autant plus intéressant que après le départ de Ian Gillian à la fin de la tournée Born Again, aucune des chansons de l’album n’a plus jamais été interprétée en live.
Born Again n’a probablement pas la portée historique d’un
Master Of Reality ni le génie baroque d’un
Sabbath Bloody Sabbath mais le disque a beaucoup de choses à vous apprendre sur le Sab. Il est le témoin de son époque et un vestige d’une réunion curieuse et attachante entre cinq artistes ayant partagé, le temps d’un disque, une vision commune.
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