Black Sabbath - Tyr
Chronique
Black Sabbath Tyr
Nous sommes en mille neuf cent quatre vingt dix, soit au début d’une décennie qui allait être très prolifique pour le metal dans l’ensemble de ses spectres musicaux, et pourtant Black Sabbath sortait aussi en cette année son quinzième album studio, entamant ainsi une troisième décennie d’existence. Seize mois séparent la sortie de Headless Cross du présent Tyr et l’on notera que pour la première fois depuis un très long moment, Tony Iommi n’a pas du faire face à des gros soucis de line-up. En effet, l’on retrouve sur ce nouvel album quasiment les mêmes musiciens présents sur le précédent opus, à savoir Cozy Powell à la batterie et à la coproduction de l’album, Geoff Nichols aux claviers et Tony Martin au chant, faisant de lui le chanteur le plus régulier du groupe après Ozzy Osbourne. L’on notera l’arrivée du bassiste Neil Murray sur cet album, il avait rejoint le groupe juste après la sortie de Headless Cross, et était passé auparavant chez Whitesnake, à l’instar de Cozy Powell. Mais c’est tout de même un fait notable que de souligner la stabilité, certes éphémère, du line-up de Black Sabbath, après une décennie de galère en la matière. Et sans doute que le guitariste avait trouvé en Cozy Powell un alter égo pour ce qui est de la musique, chose qu’il n’avait plus eu depuis la défection de Geezer Butler. Tout ce petit monde s’enferma assez rapidement en studio pour composer ce nouvel album, avec d’ailleurs un certain Gaz Jennings et un certain Lee Dorrian qui écoutaient aux murs du studio mitoyen pour savoir ce que les légendes étaient en train de composer. À l’aube d’une décennie qui allait voir pas mal de choses être chamboulées, est-ce que les Anglais avaient encore quelque chose à apporter au genre musical qu’ils ont créé vingt ans auparavant?
Au risque de surprendre nombre de personnes, je répondrai par l’affirmative concernant cette quinzième réalisation. Et j’insisterai même sur le fait que Tyr est sans aucun doute possible l’album le plus sous estimé de la carrière de Black Sabbath. C’est en tout cas ce qui se rapproche le plus de l’approche plus lyrique de Heaven and Hell et de Mob Rules, les deux albums avec Ronnie James Dio, et Tyr n’a sans doute pas à rougir à leurs côtés. Il est évidemment question de heavy metal sur cet album, comment pourrait-il en être autrement. L’on reste donc dans la lignée de ce que le groupe proposait sur Headless Cross, à savoir un heavy metal assez racé et se basant sur les riffs acérés de Tony Iommi et le retour à une certaine puissance. L’on retrouve ces éléments ici, mais avec plus d’ampleur et plus d’espace même, je pense notamment à la batterie de Cozy Powell et aux lignes de chant de Tony Martin. Mais ce qui fait la différence avec le précédent album, c’est que le côté Hard FM a disparu, même s’il y a quelques passages où vont poindre quelques réminiscences des années mille neuf cent quatre vingt. Je pense notamment à la place des claviers de Geoff Nichols sur quelques titres, ou la manière d’agencer certaines choses sur des titres comme Jerusalem, The Law Maker ou Feels Good to Me. Mais tout cela reste assez léger comparativement aux quelques albums précédents où l’on sentait que Tony Iommi essayaient de se rattacher à certaines branches pour ne passer pour un groupe dépassé par les événements. Même les claviers de Geoff Nichols prennent moins les devants, exception faite sur l’instrumental The Battle of Tyr. D’ailleurs, la production est très bonne et rend justice à cet état de fait, remettant les guitares au centre du débat, tout en laissant de l’espace pour chaque instrument, et donnant une grande puissance à la musique pratiquée par le groupe.
En cela, l’on pourrait presque se dire que les Anglais auraient appliqué sur Tyr les mêmes recettes que sur Headless Cross. D’une certaine manière, ce serait assez pertinent, dans la mesure où ce qui avait fait l’essence des meilleurs titres de leur quatorzième album, se retrouve ici. Sauf que sur Tyr, Tony Iommi et consorts vont bien au-delà de tout ceci, prenant certains sentiers qui n’avaient guère été empruntés par le groupe, ou par intermittence. L’on a sans doute ici l’album le plus lyrique du groupe et même, par certains aspects, le plus épique de Black Sabbath. Le groupe se détache un peu de ses schémas de compositions classiques et surtout d’une certaine manière de faire. Cependant, il ne faut pas non plus le considérer comme un album où la lourdeur aurait disparu du groupe, au même titre que l’inspiration chez le guitariste, comme il est fréquent de le lire un peu partout. Des riffs bien pesants et puissants, cet album en regorge, il suffit d’écouter ceux présents sur Anus Mundi, The Sabbath Stone ou Jerusalem. Et tous les titres recèlent de soli formidables. Il y a des titres plus véloces, comme The Law Maker ou Valhalla, mais mêmes sur ceux là, l’on retrouve parfaitement la patte de Tony Iommi. Mais c’est sans doute ici que l’on va retrouver le plus souvent des éléments plus mélodiques, pas forcément employés en règle générale par le groupe, comme ces arpèges sur Anno Mundi, Feels Good to Me ou The Sabbath Stones, où l’on a souvent une alternance entre ces arpèges et des riffs bien puissants. Il y a aussi une présence accrue des acoustiques sur certains titres, aussi bien sur Odin’s Court que sur The Sabbath Stones, encore une fois. Ce sont ces éléments qui vont donner une note plus mélodique à l’ensemble, voire même quelque chose de plus poignant, et même une part de mystère à la musique du groupe.
Il faut dire que l’on a ici des titres qui misent bien plus sur le côté lyrique, comme ce fut pas mal le cas sur les deux albums avec Dio, que sur le côté volontiers plus sombre qu’il y avait sur Headless Cross, même si cela ne respire pas non plus la joie ici. Il faut dire que les thématiques abordées sur les paroles de cet album n’ont plus grand chose à voir avec celles centrées sur le satanisme et l’occulte comme ce fut le cas sur le précédent album. En effet, les musiciens avaient demandé à Tony Martin d’être plus subtils dans ses textes, ce dernier ayant eu sur le précédent album cette vision de restreindre les textes de Black Sabbath à ces thèmes. Elles ne sont pas totalement absentes de l’album, puisqu’on les retrouve sur The Law Maker ou bien encore sur Heaven In Black, où il est question de la décision du Tsar Ivan le terrible de rendre aveugles les architectes responsables de la construction de la cathédrale de Saint-Basile-le-Bienheureux pour qu’ils ne reproduisent pas un tel édifice. L’on a ainsi de nombreuses références historiques sur cet album, au même titre qu’à la mythologique scandinave, avec le triptyque The Battle of Tyr - Odin’s Court - Valhalla. Si le chanteur s’est appliqué pour les paroles, il offre surtout sa meilleure prestation au sein de Black Sabbath sur cet album. C’est bien simple, tous les titres sont illuminés par sa voix puissante et brillante, rendant bon nombre de titres très poignants, notamment avec ces refrains très accrocheurs où il y donne une belle emphase. Mais ce n’est pas qu’une voix qui joue sur la puissance, car il sait faire preuve de nuance, comme en atteste un titre plus posé tel que Odin’s Court. C’est même une forme d’injustice que de le voir reléguer derrière d’autres chanteurs du groupe, alors qu’il est ici assez époustouflant.
En même temps, c’est plus aisé de se donner à fond lorsque les titres sont bien composés et que les musiciens y ont fait preuve d’une grande inspiration. Si Tyr n’a pas forcément la même saveur que les classiques du groupe, et que tout ne repose pas uniquement sur les riffs de Tony Iommi, il y a toutefois ici de très beaux titres qui sont assez diversifiés. Et puis l’on sent bien que le groupe est assez soudé et a retrouvé une certaine verve, chose en grande partie due au jeu toute en puissance de Cozy Powell, dont l’instrument est bien mis en valeur par la production, mais l’on n’est jamais mieux servi que par soi-même. L’on aussi une belle surprise avec les lignes de basse de Neil Murray qui est suffisamment technique pour savoir se démarquer de l’ensemble. Tyr comprend des titres assez diversifiés, assez hétérogènes. Cela commence d’ailleurs avec un des meilleurs titres du groupe, l’excellentissime Anno Mundi. Si le début aux arpèges nous renvoie à un Children of the Sea, l’on se rend compte rapidement qu’il n’en est rien, tant le groupe y fait preuve d’une tournure très mélodique, avec un Tony Martin qui donne directement le ton sur sa prestation sur l’album, et l’on n’est pas si éloigné que cela de l’épic doom metal avec cette composition car elle dégage surtout une grande vigueur. Plus directs, The Law Maker et Jerusalem nous montrent que Tony Iommi n’a rien perdu de sa dextérité au niveau du riffing, et encore moins au niveau des soli. Là encore, Tony Martin brille par sa présence, et je pense qu’il sera difficile de rester de marbre devant le refrain fédérateur de Jerusalem, où l’on y retrouve quelques petites sonorités arabisantes. La robustesse du groupe est clairement illustrée avec des titres comme Heaven in Black et The Sabbath Stones. Ce dernier est plus alambiqué dans sa construction, avec notamment un magnifique passage aux acoustiques avant que le groupe ne revienne à la charge et monte en intensité sur la seconde partie du titre: un vrai régal.
Même lorsque le groupe se permet une incartade avec une ballade, le titre Feels Good to Me, - qui ne devait pas figurer à l’origine sur l’album, étant prévue de sortir en single -, cela ne vire point au naufrage. L’on a ici quelque chose de plus classique et c’est même le titre qui se démarque un peu du reste de l’album, mais qui passe finalement bien, sans trop couper la dynamique de l’album. Et puis il y a ce triptyque central, qui aura fait penser à pas mal de monde que cet album était un album concept, ce qu’il n’est absolument pas. Si The Battle of Tyr, Odin’s Court et Valhalla sont distincts dans le track listing, à mon sens ils ne forment qu’une seule et même composition, et constituent un morceau de choix sur cet album. C’est d’ailleurs là que le groupe s’affranchit totalement de ce que l’on pouvait attendre de lui. Cela commence doucement avec cette introduction aux claviers, un peu inquiétante, mais qui donne le ton et va bien lancer la donne pour ce qui suit. Pour le coup, c’est assez rare d’avoir un Geoff Nichols pas trop kitsch dans ses choix. L’on poursuit avec Odin’s Court: un très beau morceau posé. Ici les acoustiques prennent les devants, avec quelques nappes de synthétiseurs, et quelques leads disséminées sur ce titre. L’on est bien plus dans l’émotion avec une touche médiévale à laquelle le groupe ne nous avait guère habitué. Et pour le coup, l’on penserait à un tout autre groupe que Black Sabbath vu ce qu’il décline ici et l’ambiance qui en émane. En tout cas, ce court morceau nous montre aussi que Tony Martin sait être plus doucereux même si l’intensité grimpe petit à petit avant l’explosion sur le titre Valhalla. Ce titre, c’est une merveille de metal épique, comme on en fait rarement. Entre les riffs bien trouvés de Iommi et les patterns intelligents de Powell, l’on a ici ce genre de titre qui donne envie d’en découdre. Et autant dire que Tony Martin y est étincelant, avec ce refrain à reprendre avec le poing serré levé en l’air. Dans tous les cas ce triptyque est une grande réussite et dans un domaine où l’on n’attendait aucunement le groupe.
C’est donc tous ces éléments qui font le charme de cet album et le rendent précieux, vraiment. Tyr, c’est bien plus qu’un énième album de Black Sabbath sans ses têtes de gondoles mythiques au chant, car, finalement Tony Martin démontre ici qu’il n’a pas grand chose à envier à ses prédécesseurs, si ce n’est une plus grande reconnaissance. C’est avant toute chose un album excellent et à part dans la discographie du groupe, de part sa coloration plus lyrique et surtout plus épique et qui ne dénote pas du tout par rapport à des jeunes pousses d’alors qui évoluaient dans ce style. Il y a véritablement une aura particulière sur cet album qui est assez diversifié et qui montre que Black Sabbath est capable de s’affranchir de son aura et de son histoire pour proposer quelque chose de vraiment inspiré et qui sonne encore frais plus de trente ans après sa sortie. L’on a surtout ici des titres remarquables, avec de très belles idées et une volonté de tenter des choses sans toutefois vouloir se rattacher à ce qui était en vogue à l’époque. Ce choix est d’autant plus pertinent dans la mesure où l’on retrouve ici un groupe bien plus en forme que lors de la seconde partie des années mille neuf cent quatre vingt, et qui a même retrouvé une fougue qui l’habitait dix ans auparavant. Cet album mérite amplement que l’on s’y attarde et que l’on découvre les pépites qu’il contient, avec des titres qui font partie des tous meilleurs de leur répertoire, dont Anno Mundi. Il n’y a d’ailleurs pas de temps morts ici et l’on peut se délecter d’un heavy metal de très grande classe et qui a gardé une certaine lourdeur et renoue avec une inspiration qui aura assez souvent fait défaut depuis Mob Rules. Malheureusement, l’histoire retiendra de cet album qu’il est celui qui précéda la réunion du line-up de Mob Rules, avec la sortie de Dehumanizer deux ans après, et sera injustement éclipsé depuis lors. Il ne reste qu’à vous de lui rendre enfin justice et de le laisser conter ces histoire d’un autre temps par un groupe ayant retrouvé le feu sacré.
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