Black Sabbath - Technical Ecstasy
Chronique
Black Sabbath Technical Ecstasy
Après avoir surpris son monde avec un album assez audacieux et plus sombre avec l’album Sabotage, Black Sabbath avait une tâche assez ardue que de donner un successeur à son sixième album. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que le contexte entourant l’enregistrement de Technical Ecstasy n’a sans doute pas aidé. En premier lieu, et il faut remonter à l’époque de l’enregistrement de Sabotage, le groupe était alors sous pression à cause des problèmes légaux, dont le procès avec son manager de l’époque, Patrick Meehan, et d’autres, ce qui fait que l’on retrouvait une certaine hargne et quelque chose de plus sombre sur cette réalisation. Tout ceci était donc du passé et le groupe, qui se gérait un peu lui-même, avait ainsi écarté ce poids. C’est un premier élément pour expliquer ce Technical Ecstasy. L’autre tient plus à des choix assez surprenants. Le groupe a en effet décidé de se rendre aux studios Criteria à Miami, au moment au The Eagles enregistrait Hotel California, ces derniers devant d’ailleurs arrêter leurs prises parce que les Anglais jouaient beaucoup trop fort. Le groupe n’ayant pas voulu prendre un producteur extérieur, c’est Tony Iommi qui, par la force des choses, s’est retrouvé à produire ce nouvel album, tandis que les trois autres profitaient de la plage, de l’alcool, des drogues et d’autres amusements. L’on sent bien que les trois musiciens n’étaient pas des masses concernés par cet album, et que tout allait peser sur les épaules du guitariste moustachu. Ce n’est d’ailleurs pas anodin de savoir qu’une fois rentré en Angleterre, Ozzy avait été hospitalisé.
Cet album allait donc reposer sur Tony Iommi et qui était décidé de faire évoluer la musique de Black Sabbath, et ne pas rester dans le carcan des premières réalisations, avec ces titres plus ambitieux, et également une volonté de s’inspirer des jeunes pousses qui avaient été inspirées à leurs débuts par les quatre de Birmingham. Bref, c’est un vrai paradoxe à tel point que c’est le début d’une fracture entre Tony Iommi et Ozzy Osbourne, le chanteur n’appréciant guère la nouvelle orientation plus complexe et moins lourde prise par le groupe depuis deux albums et avait déjà la tête ailleurs, pensant déjà à former son propre projet, Blizzard of Ozz, arborant même des t-shirts à cette effigie. À tout cela, l’on doit ajouter le fait que le groupe était complètement lessivé ayant enchaîné les enregistrements de pas moins sept albums et de nombreuses tournées en à peine sept ans. Autant dire que l’inspiration n’était par du tout au rendez-vous pour cette réalisation et que l’on a ici, sans doute, ce que le groupe a pu faire de pire dans sa discographie. Dans tous les cas, c’en est clairement terminé du proto doom metal des débuts, de cette musique à la fois lourde et inquiétante des débuts, au même titre que cette hargne qui habitait encore le groupe une année auparavant. Il est évident que nous avons ici un album de hard rock, plus qu’un album de heavy metal, et s’il fallait lister les riffs pesants dignes d’antan, je ne pourrai citer que celui du début de You Won’t Change Me, et pour quelque chose de plus direct et à peu près digne des débuts, je citerai Dirty Women.
L’on ne pourra pas reprocher à Tony Iommi d’avoir voulu expérimenter des choses, c’est un fait, et il avait tellement pris les choses en main, qu’Ozzy Osbourne a pu déclarer qu’il s’agissait plus d’un album solo du guitariste. Preuve de son détachement des choses, c’est qu’il a laissé le micro pour cette horrible ballade qu’est It’s Alright. C’est ici Bill Ward qui prend le micro pour un titre que l’on aurait plutôt vu sur un album de The Beatles ou tout autre groupe de pop, dix années auparavant, c’est dire son côté suranné, plutôt qu’ici. Non pas que je n’apprécie guère les ballades du groupe, mais cela la fout mal lorsque ce sont les mêmes qui ont écrit Planet Caravan et surtout Solitude. Le batteur a un chant intéressant, mais ce titre n’a rien à faire sur un album de Black Sabbath. C’est d’ailleurs symptomatique de cet album, c’est que la majorité des expérimentations tombent par terre à chaque fois, ou presque, en étant très indulgent. Et le seul musicien investit en dehors du guitariste sur cet album n’est autre que le claviériste Gerald Woodrofe qui en a mis quasiment partout, et pour le pire si je puis dire. Preuve en est, le titre You Won’t Change Me qui partait plutôt bien avec cette ambiance pesante, ces leads et soli pleureurs et ce côté plus mélancolique, mais qui est totalement sabordé par ces claviers, horribles à souhait. L’on peut aussi évoquer ce piano un peu boogie sur l’interminable Rock’n Roll Doctor, qui est loin de la verve boogie d’un Rock’n Roll du Dirigeable si l’on devait faire des comparaisons.
C’est bien tout le mal de cet album, où l’on a plus l’impression que Tony Iommi et consorts en voulant faire plus simple ont souvent sombré dans le plagiat d’autres formations. Je pense notamment au titre Gipsy qui partait pourtant bien, et qui possède des chœurs intéressants, mais qui est rendu horrible avec ce côté limite plus dansant et pop et qui rappelle Supertramp, et comme je ne puis supporter cette formation, autant dire la douleur. L’on a des titres plus directs avec Back Street Kids et All Moving Parts (Stand Still), mais rien de bien fameux en fait, car l’on sent que tout cela ne sonne pas naturel pour le groupe. Il y a peut être deux titres potable sur cet album, à commencer par cette ballade She’s Gone, où Ozzy est assez touchant en étant accompagné par un orchestre, bien que l’on sent les limites de son chant pour ce type d’exercice. L’on renoue ici avec une certaine mélancolie, totalement absente du reste de l’album, même si c’est un peu sirupeux. L’autre titre que l’on peut sortir du lot étant Dirty Women qui est un peu plus inspiré que la moyenne avec quelques bons riffs à la clef et une belle accélération sur sa fin. Le seul titre de satisfaction que l’on peut soustraire de cet album, c’est sans doute au niveau des soli de Tony Iommi, qui sont plus expressifs, plus fluides d’une certaine manière, exprimant pas mal de choses, mais malheureusement, c’est trop léger sur des compositions aussi mal fichues. L’on retrouvera cependant l’expression de ceci quelques années plus tard, sur les morceaux de bravoure de Heaven and Hell et de Mob Rules. J’ai d’ailleurs peine à me dire qu’il y a Geezer Butler sur cet album, tant c’est assez pauvre en lignes de basse mémorable, c’est dire le peu d’investissement de ce dernier dans cet album, et que le chant d’Ozzy Osbourne trahit aussi ce manque d’implication.
C’est en effet pas bien lourd pour un album que beaucoup de personnes semblent réhabiliter depuis quelques années, et je ne vois pas trop pourquoi, même en le considérant comme un album de hard rock. L’on sent que le groupe perçoit que c’est la fin et que les choses semblent changer, à quelques mois de l’explosion punk qui va en faire, temporairement, des dinosaures du rock comme beaucoup d’autres. Black Sabbath fait preuve ici d’un réel manque d’inspiration, quoique l’on puisse en dire car expérimenter ne signifie en aucun cas parvenir à écrire de bons morceaux, et cet album est l’exemple même d’un groupe en perdition, au bords de l’explosion. À sa décharge, il n’a pas eu les conditions les plus favorables pour enregistrer cet album, mais cela fait clairement tâche dans leur discographie. Il est évident que cet album est loin du lustre d’antan, et qu’il y a un réel fossé qualitatif entre lui et ses six prédécesseurs, je le considère même comme étant l’un des pires du groupe au même titre que Forbidden et Cross Purposes. Même en le prenant pour ce qu’il est, c’est à dire pour un album hard rock, il fait pâle figue face à des Presence, Rising, 2112, High Voltage, Destroyer, Jailbreak et Johnny the Fox ou même un Sad Wings of Destiny, des albums qui sont tous sortis en mille neuf soixante seize. Il n’y a rien de mémorable sur ce Technical Ecstasy, même la pochette est une erreur, et l’on sent bien que nous sommes sur la fin d’un ère pour Black Sabbath.
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