"As I have said, our ancestors were taken captive and driven to Hwéeldi for no reason at all. They were harmless people, and, even to date, we are the same, holding no harm for anybody...Many Navajos who know our history and the story of Hwéeldi say the same."
- Howard Gorman, 1964
Malgré ce titre poétique aux allures de quête mystique, La "Longue Marche Des Navajos" prend racine dans l’histoire sanglante et oppressive des Etats-Unis. En 1864 est en effet ordonnée par le gouvernement fédéral américain la déportation de milliers de Navajos qui seront alors dépossédés de leurs terres, de leurs biens et de leurs dignités. Pendant deux ans, plus de 9000 natifs américains seront contraints d’effectuer à pied et dans des conditions évidemment épouvantables (malnutrition, équipement inadapté, comportement abusif de l’armée...) les 500 kilomètres qui séparent Fort Defiance à l’est de l’Arizona de Fort Summer (Bosque Redondo) situé au Nouveau-Mexique. Un exil qui durera quatre longues années avant que ne soit finalement acté et ce à titre exceptionnel un retour sur leurs terres natales. Vous l’aurez compris, si le Stoner Rock instrumental des Américains continue sans grande surprise d’évoquer le désert dans ce qu’il a de plus envoutant, celui-ci revêt pour l’occasion des atours beaucoup plus sombres qu’à l’accoutumée.
Sorti en juin 2023 sur le label italien Heavy Psych Sound Records,
Long Walk Of The Navajo marque le retour pour le moins inattendu du bassiste Billy Cordell (ex-De-Con, Big Scenic Nowhere...) qui avait quitté la formation il y a presque vingt ans juste après la sortie de
Pot Head. Un retour possible grâce au départ de l’un des pères fondateurs du Desert Rock, monsieur Mario Lalli dont la basse métallique est expressive de l’excellent
Live At Giant Rock résonne encore dans mes oreilles. Pour ce retour en studio, Yawning Man a souhaité non pas revoir sa formule mais plutôt l’expression de cette dernière. Aussi, à la manière de cet album live enregistré en plein désert Mojave,
Long Walk Of The Navajo est un album totalement improvisé donnant lieu à des compositions au long cours s’étirant de neuf à quinze minutes. Certes, celles-ci ne sont qu’au nombre de trois mais sans surprise ces trente-huit minutes sont une fois de plus une belle invitation au voyage et à la méditation.
Servi par une production moins brute et anguleuse que celle de
Live At Giant Rock,
Long Walk Of The Navajo va pourtant emprunter le même chemin que son aîné avec en guise de fondations une section rythmique tranquille mais néanmoins solide (un Bill Stinson à l’économie mais toujours très juste) ainsi qu’un groove discret mais particulièrement entêtant. En effet, Mario Lalli a peut-être laissé sa place à Bill Cordell mais ce dernier n’a pas à rougir de quoi que ce soit, offrant à l’image de son prédécesseur à lunettes des lignes de basses exquises aux rondeurs tout aussi délicieuses. Une approche des plus décontractées et relaxantes qui, comme je l’évoquais plus haut, confère à la méditation, les yeux fermés, allongé quelque part en pleine nature...
Mais ni cette batterie ni cette basse n’ont jamais vraiment suffi à faire de la musique de Yawning Man ce Stoner Rock progressif et psychédélique que l’on connait. À ces deux instruments il convient en effet d’y ajouter la guitare filante et libre comme l’air de monsieur Gary Arce. C’est lui qui mène la marche ici grâce à ses motifs enfumés et aériens qui vont ainsi nous porter et nous transporter non pas en plein désert des Mojaves mais cette fois-ci en territoire Navarro entre ces "buttes" et autres "mesas" faisant depuis déjà belle lurette parties de l’imaginaire collectif. Si certaines séquences (notamment sur "Long Walk Of The Navajo" et "Blood Sand") ne sont pas sans évoquer des titres comme "Tumbleweeds In The Snow" ou "The Last Summer Eye", on n’en reste pas moins une fois de plus happé par ces mélodies envoutantes et apaisantes et ces progressions naturelles jamais forcées.
De "Long Walk Of The Navajo" à "Respiratory Pause" en passant par "Blood Sand", chaque morceau s’avère construit sur une même idée, celle d’une introduction bâtie crescendo laissant petit à petit la place à la guitare de Garcy Arce afin que celle-ci puisse alors mener la danse au son de pérégrinations mélodiques et psychédéliques. Certes, la formule ne conviendra bien évidemment pas à tout le monde puisqu’au-delà de l’aspect purement instrumental qui constituera probablement un premier frein, il y a également dans la musique des Californiens un caractère relativement répétitif qui pourra en laisser d’autres sur le bas-côté... Pourtant, malgré ce côté effectivement un brin redondant et naturellement atmosphérique, difficile de ne pas se laisser séduire puis transporter en plein cœur de ces paysages immenses et grandioses où, quel que soit l’endroit où le regard se pose, l’émerveillement est systématiquement de mise. Des lieux chargés d’histoires pas toujours très reluisantes mais des lieux immuables gardiens du temps qui passe et témoins insolubles de notre court passage sur cette Terre…
Destiné aux rêveurs et aux contemplatifs, à tous ceux capables de se laisser porter par des mélodies enivrantes chargées d’images et de photographies mentales, la musique de Yawning Man continue ici de faire mouche. Si j’ai été au départ peut-être un petit peu moins emballé qu’avec l’excellent
Live At Giant Rock, il a pourtant bien fallu se rendre à l’évidence après seulement quelques écoutes que la formation californienne maitrisait une fois de plus son sujet sans jamais faillir. Et pour tous ceux qui seraient passés sur cette chronique par simple curiosité mais qui auraient par le plus grand des hasards une quelconque appétence pour ce genre de sonorités atmosphériques et psychédéliques, je vous invite à glisser une oreille ou deux sur la musique des Californiens de Yawning Man pour trente huit minutes d’évasion sans même sortir de chez soi...
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