Après avoir tant détruit, détruit les eighties et leurs années grises, détruit l’espoir qui étouffait sous la main des politiciens, jusqu’à s’autodétruire car il n’y avait rien à respirer au sein de cette époque où la radicalité était devenue la seule condition d’exister – temporairement –, il a fallu bâtir, ne pas se contenter des ruines et trouver un nouveau souffle. C’est ce que Godflesh fit avec
Selfless, réponse de lui à lui-même, destructeur de
Streetcleaner.
Résumé des épisodes précédents : Godflesh grogne, arrache, écrase et ce que l’on peut trouver dans le lexique de l’annihilation
Pure. Malgré son extrémisme, il intéresse de plus en plus de monde, au point de profiter d’un deal entre un géant américain de l’industrie musicale – le concernant, Columbia Records – et Earache au même titre que d’autres camarades sortant leurs œuvres sur le label anglais et souhaitant les faire distribuer outre-Atlantique (l’exemple le plus connu étant Morbid Angel et
Covenant sortant sur Giant Records). À la fois album le plus rock et metal de Godflesh,
Selfless suit donc la direction prise par d’autres collègues gagnant en popularité (Fudge Tunnel notamment) et faisant évoluer leur son pour le meilleur et pour le pire.
Les ventes seront décevantes à l’époque, le duo regrettant d’avoir tenté l’expérience d’aller vers un public plus large. Mais ça ne fait pas de
Selfless une expérience ratée ! Il contient une faim propre au projet, loin de vouloir plaire aux masses. Autiste jusqu’à la psychose, il englobe tout, fait sien l’extérieur pour le transformer et l’incorporer. Son flot particulier reste unique, préfigurant des années à l’avance Jesu lors de ces morceaux où la paire Justin Broadrick / G.C. Green plonge dans l'azote et nous noie avec elle. Ce troisième album n’est pas pour autant une totale envolée, possédant quelques-uns des plus durs retours au sol de Godflesh, moins nihilistes et unilatéraux mais plus impactants dans leur groove contrastant avec les instants aériens. Nous sommes alors pris en étau, entre marche ou crève (« Anything Is Mine » et « Crush My Soul ») et plan large sur l'horizon (« Mantra »).
Un horizon qui n'est ni post-apo, ni solarpunk, mais contrasté comme le monde lui-même.
Selfless cherche les ressources pour se transformer et finit par devenir matière parmi la matière, se mêlant à chaque chose, pulsant au rythme de la Terre et ses fourmilières. Avec une certaine distance, comme mu par les ailes du désir, le souhait jamais réalisé de descendre parmi les vivants, « Go Spread Your Wings » est un final d’un aller vers l'immatériel continu, l'empyrée en ligne de mire et jamais à portée de main. Une autre manière de figurer l’oppression, plus humaine et émotionnelle, comme coincé entre une réalité écrasante et une spiritualité qui s’échappe constamment.
Selfless a beau être complexe et varié, il possède un fil rouge constant. L'industriel y quitte ce à quoi il paraît se dédier si l'on a l'esprit trop littéral et finit par évoquer toutes les mécaniques, de celles rituelles à celles faisant circuler le sang dans les veines. Il y a un avant et après cet album pour Godflesh, qui ira vers plus d’expérimentations, quittant l’expression d’une horreur totale pour chercher une plus grande variété de sentiments. Il y a aussi un avant et après cet album pour moi, découvert à une époque où je cherchais un sens à l’existence, cette chose qui n’allait alors pas de soi.
C’est en effet avec
Selfless que Godflesh est devenu un groupe personnel, un groupe qui cherche ses réponses comme nous autres, plus qu’un groupe effrayant (et, quelque part, effrayé par) ce qui l’entoure, plus qu’un groupe culte qu’il s’agissait d’écouter, avec tout ce que cela sous-entend d’essentiel mais aussi d’obligatoire et donc, d’un peu gênant quand on parle avant tout de musique et de plaisir (car cela en reste, malgré tout). Plus important qu’une définition des nineties – qu’il est avec ses névroses borderlines, ses métissages, son sens de la mélodie brute et convulsée comme sur « Xnoybis » et « Body Dome Light » – : une définition d’une partie de moi, ayant incorporé son univers comme une part du mien. Encore et toujours, Godflesh est une histoire de mutation.
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